Ex-haut cadre d'un groupe d'assurances, directeur non-exécutif de plusieurs entreprises et observateur attentif de la bonne gouvernance au sein des entreprises privées et publiques, Jean-Paul Chasteau de Balyon apporte son éclairage sur le rôle et la responsabilité des directeurs au sein des conseils d'administration en s'appuyant notamment sur la saga MIC. En 55 ans de carrière, il a été témoin «de nombreuses déconvenues de chefs d'entreprise trop proches du pouvoir et qui se sont fracassés sur les rochers de l'alternance».
L'affaire MIC a mis en lumière la responsabilité des directeurs siégeant sur les conseils d'administration. Aujourd'hui, dans ce cas spécifique, seuls son «Chief Executive Officer» et l'ex-«Second Deputy Governor» de la Banque de Maurice ont été interrogés par les enquêteurs de l'«Anti-Money Laundering Unit» de la police. Estimez-vous que les autres directeurs du board, même démissionnaires, doivent également être entendus, vu qu'ils sont collectivement responsables de la décision prise par la filiale de la BoM ?
Il ne m'appartient pas de répondre directement à cette question. Les enquêteurs disposent de leur libre arbitre et je suis certain qu'ils sauront prendre les initiatives qui conviennent. Je souhaiterais m'en tenir à la généralité des principes de bonne gouvernance. La pertinence de votre question n'en demeure pas moins.
D'une manière générale, dans quelle mesure les directeurs sont-ils collectivement responsables des décisions prises par le board, même s'ils ont officiellement exprimé leurs désaccords, qui ont été minutés, comme c'est dit dans le cas de PulseAnalytics/Menlo Park ?
Dans la mesure où un directeur aura clairement exprimé son désaccord et aura prié le secrétaire de séance de le consigner au procès verbal, il ne devrait pas être tenu responsable des conséquences de la décision prise par le conseil d'administration. Je me dois de souligner le rôle central que joue un secrétaire de séance par le soin, le sérieux et le professionnalisme qu'il devra consacrer à la transcription des délibérations au procès-verbal. Son rôle est également crucial dans la mesure où la Companies Act le désigne comme le conseiller du board. À ce titre, il doit attirer l'attention des directeurs sur les implications juridiques de leurs décisions. Ce procès-verbal est soumis à la réunion suivante et chacun des directeurs a la faculté de le commenter et de demander les modifications qu'il jugera appropriées afin qu'il reflète fidèlement les délibérations en question.
Si une décision du conseil s'avère préjudiciable à l'organisation, tous les directeurs partagent-ils la même responsabilité ou cela dépend-il de leur implication individuelle ?
Le désaccord d'un directeur ne devrait pas le soumettre à la responsabilité collective. Seulement, celui qui aura soutenu cette décision, si celle-ci s'avérait préjudiciable à l'entreprise et/ou entachée d'irrégularités ou contraire au cadre juridique au sens le plus large du terme, ce directeur en sera tenu responsable. Ce, au même titre que tous les membres du conseil qui auront pris cette décision.
Il faut faire toujours attention à la différence entre les directeurs exécutifs, non-exécutifs et indépendants lorsque nous considérons la responsabilité de chacun. S'il y a des similitudes, il y a aussi des particularités selon que vous soyez l'un ou l'autre.
Je souhaite, à ce stade, que soit mis en lumière le rôle important que jouent l'ensemble des directeurs non-exécutifs des compagnies étatiques et leurs responsabilités fiduciaires. Il ne serait pas conforme à la structure juridique au sein de laquelle ces entreprises opèrent si seuls les présidents et CEO étaient tenus pour responsables de fautes quand elles sont avérées. Tous les directeurs ont le devoir de s'assurer que les process et contrôles sont mis en place et qu'ils sont respectés. Les comités d'audit et de risques et ceux de gouvernance ont été conçus à ces fins et le conseil est toujours appelé à les valider. En établissant ces contrôles, les directeurs doivent notamment considérer particulièrement le degré de liberté conférée à l'exécutif sans l'aval d'un ou de plusieurs directeurs non-exécutif.
Comment un directeur peut-il protéger ses intérêts et son intégrité, tout en participant à une décision collective ?
Nous touchons ici au principe du devoir fiduciaire d'un directeur. Celui-ci doit, à tout moment, s'assurer de maîtriser l'ensemble des éléments qui sous-tendent la décision qu'il est appelé à prendre. Aussi, il doit être attentif aux responsabilités qui lui sont dévolues et à l'intérêt de la compagnie. Car celle-ci constitue le bien d'autrui qui lui a été confié afin qu'il le gère en collaboration avec ses pairs de manière compétente, impartiale et dépourvue de toutes pressions externes et étrangères à la compagnie et à ses intérêts. Avant même de donner son accord ou de faire acte de candidature, chacun doit mesurer tous les facteurs susceptibles d'influencer une telle décision ainsi que l'ensemble des conséquences qui pourrait en découler.
Quels sont ces facteurs ?
Il y en a une multitude, les plus importants étant les conflits susceptibles de surgir, les compétences relatives aux responsabilités inhérentes à la particularité du poste à pouvoir au regard notamment du secteur, du profil, de l'importance de la compagnie en question et du temps dont il dispose afin de s'y consacrer pleinement et consciencieusement.
Vous parlez de profil ?
En effet, un principe m'interpelle particulièrement dans les circonstances. Je pense, par exemple, qu'un CEO du privé doit s'abstenir de siéger comme directeur non-exécutif sur le conseil d'une compagnie d'Etat, surtout si celle-ci est une Politicaly Exposed Company. Une telle situation est porteuse de nombreux germes, qui pourraient s'avérer nuisibles et préjudiciables aux deux parties en présence, c'est-à-dire l'entreprise dont est issu le CEO et celle où il doit faire office de directeur non-exécutif dans le public. Dans de telles circonstances, une ou deux questions fondamentales peuvent et doivent se poser afin de savoir comment ce directeur pourra accomplir son devoir fiduciaire et s'acquitter de lourdes responsabilités qui lui incomberont, sans mettre en péril les intérêts de l'une et de l'autre compagnie ; et si son énergie ne sera pas indûment dispersée au détriment de son poste prioritaire où il est redevable envers les actionnaires. Voit-on la situation inverse où un haut fonctionnaire siégerait sur le conseil d'une entreprise du privé ? C'est inconcevable.
Comment appliquer cette idée ?
J'invite les institutions compétentes du privé à consacrer une réflexion sur le sujet et à considérer si elles ne devraient pas faire l'objet d'une disposition particulière dans les codes (de gouvernance, de conduite et d'éthique) et des Board Charters, par exemple. Ce, en pensant qu'une telle réflexion pourrait constituer comme un «mur de verre», qui empêcherait toutes sollicitations qui seraient de nature à enfreindre ce principe que je considère comme important et qui prend une dimension additionnelle dès lors que l'entreprise du privé serait cotée en Bourse. Cette réflexion devra également prendre en compte que les acteurs du privé ont de multiples opportunités de faire valoir leurs idées en collaborant au sein d'institutions de leur secteur comme Business Mauritius, la MCCI, la MEXA, le MioD, etc., contribuant ainsi à la coopération légendaire public-privé, qui est la pierre angulaire du succès économique et social de la nation.
Comment le conseil d'administration peut-il s'assurer que les décisions sont prises de manière transparente et dans le meilleur intérêt des parties prenantes ?
Le Code of Corporate Governance en est la pièce maîtresse, ainsi que d'autres codes et Charters auxquels j'ai déjà fait allusion, complètent un arsenal de référence qui encadre la fonction de directeur. La formation continue est également un élément important et l'institut des directeurs ( MIoD) en est un acteur incontournable. De plus, les groupes d'entreprises constitués de nombreuses filiales et d'une multitude de cadres devraient s'assurer que ces principes percolent au sein de l'ensemble de ses structures organisationnelles.
Y a-t-il des sanctions spécifiques pour les directeurs en cas de faute collective ou individuelle ?
Il me semble qu'elles dépendent du cadre juridique sous lequel une faute aurait été commise. Il incombera aux cours de justice d'en découdre.
Estimez-vous que les directeurs doivent souscrire à une assurance de responsabilité civile pour se protéger contre d'éventuelles poursuites ?
La compagnie est tenue de souscrire à une assurance communément appelée Directors & Officers Liability (D&O) qui couvre ces responsabilités.
Quel regard portez-vous sur la proximité des CEO d'entreprises et d'institutions privées avec le gouvernement ?
C'est une de ces questions fondamentales que les institutions du privé devraient considérer et analyser avec beaucoup de recul et de circonspection. L'étroitesse du pays apporte une proximité porteuse d'autant d'opportunités salutaires que de retombées négatives. Au cours d'une carrière longue de 55 ans dans l'entreprise, aussi bien qu'au sein de plusieurs institutions du privé, j'ai été témoin de nombreuses déconvenues de chefs d'entreprise trop proches du pouvoir du jour et qui se sont fracassés sur les rochers de l'alternance politique.
Une entreprise est faite pour durer, un gouvernement pour changer, ainsi que la démocratie l'entend. C'est pourquoi les chefs d'entreprise doivent être tenus par le devoir de réserve, tout en collaborant avec les autorités à travers les forums que j'ai mentionnés. Cette méthode constitue une forme saine et salutaire de collaboration, dans la mesure où elle se pratique dans un cadre bien défini et transparent.
Nous en venons forcément au financement des partis politiques par les entreprises du privé et ses conséquences désastreuses. Je m'étais opposé aux directives du Joint Economic Council, aujourd'hui Business Mauritius, à l'effet d'adouber ce financement en le divulguant dans le rapport annuel. Je soutenais les recommandations du rapport Sachs, qui promouvait l'idée d'un financement exclusivement gouvernemental en proportion au poids de chacun des partis représentés à l'Assemblée nationale aux dernières élections. Cette idée avait le mérite de la neutralité à laquelle le privé devrait être soumis, la démocratie y trouvant son compte. J'ai pris note avec beaucoup d'intérêt que le discours-programme a annoncé une réflexion sur le financement des partis politiques.