Ile Maurice: Virage nécessaire pour éviter le drame

Pas un jour ne passe sans qu'un accident, qu'il soit fatal ou non, ne soit signalé sur les routes mauriciennes. Lundi soir encore, un nouvel accident tragique a coûté la vie à un homme de 41 ans, à Mare-aux-Vacoas. Face à une campagne de sensibilisation qui peine à atteindre son objectif, des experts réclament une réforme du système d'apprentissage de la conduite.

Le constat est alarmant. Chaque jour, les usagers de la route affichent des comportements irresponsables. Avec un parc automobile dépassant désormais les 700 000 véhicules, les autorités tentent de sensibiliser un maximum de personnes, mais la tâche reste colossale, comme le souligne Alain Jeannot, expert en sécurité routière. Il attire particulièrement l'attention sur les conducteurs de deux-roues : «Trente-sept pourcents du parc automobile sont constitués de deux-roues motorisés et leurs conducteurs sont les plus vulnérables sur les routes.» Il précise que ce phénomène ne touche pas uniquement Maurice, mais qu'il est mondialement prouvé que ces usagers sont les plus exposés lors d'accidents. «Autrefois, les gens utilisaient les motos pour parcourir de courtes distances. Aujourd'hui, ils parcourent des trajets beaucoup plus longs», observe-t-il.

Pour Alain Jeannot, il est impératif de réduire cette exposition. «Pourquoi ne pas encourager ces usagers à opter pour les transports en commun ? Bien sûr, cela nécessite que ces derniers soient accessibles à tous et fonctionnent également en soirée.» Il insiste aussi sur l'importance d'intégrer la sécurité routière dans les écoles. «Combien d'enseignants disent bonne route à leurs élèves à la fin des cours ? Un membre du personnel pourrait se tenir à la sortie pour prodiguer un conseil quotidien. À la fin de l'année, l'enfant aura assimilé plusieurs recommandations.»

L'expert préconise également d'exploiter les réseaux sociaux pour diffuser des messages de prévention. «Ces plateformes servent à promouvoir des produits commerciaux. Pourquoi ne pas les utiliser dans l'intérêt public ?», ajoute-t-il. Il propose en outre de tirer parti des télécommunications pour alerter lors des journées de mauvais temps : «Faites attention, les routes sont glissantes. Une simple phrase peut encourager les conducteurs à redoubler de prudence.» Cependant, il constate avec inquiétude une montée de l'indiscipline à Maurice. «Trente pourcents des enfants se battent même dans l'enceinte des écoles. Et en dehors des établissements, c'est pire, comme on peut le constater actuellement.»

Selon lui, l'introduction d'un service communautaire obligatoire pourrait changer les choses. «Pendant leur parcours scolaire, les enfants pourraient découvrir ce qu'est un hôpital et voir les conséquences d'un accident de la route sur une victime. Cela pourrait les inciter à modifier leur comportement sur les routes. La discipline doit être repensée.» Une campagne axée sur les dangers des drogues de synthèse s'avère également essentielle. «Ces individus doivent comprendre qu'ils ne peuvent pas conduire un véhicule sous l'influence de ces substances. Ils deviennent des bombes sur les routes.»

Enfin, Alain Jeannot appelle les autorités à revoir les infrastructures routières. «Les nids-de-poule, les passages cloutés à peine visibles, les panneaux en mauvais état... Autant d'incohérences qui contredisent ce que les jeunes apprennent dans leurs livres scolaires. Tout cela doit être corrigé.»

Sensibilisation et éducation

Si Alain Jeannot insiste sur l'importance de l'éducation scolaire, Asraf Sohawon, président de la Driving Instructors Association , plaide pour une refonte complète du système d'apprentissage de la conduite. «Avec les avancées technologiques des véhicules et les nouveautés sur les routes, nous ne pouvons plus enseigner la conduite comme il y a cinquante ans. Passer les portes des Casernes, faire un petit tour, revenir et obtenir son permis en se contentant du strict minimum, ce n'est plus acceptable aujourd'hui.» Selon lui, il est essentiel de familiariser les nouveaux conducteurs avec différents types de routes, notamment les autoroutes, avant qu'ils ne passent leurs examens. «Ces conducteurs ne connaissent encore rien de leur véhicule et pourtant, on les retrouve déjà sur les routes, roulant à vive allure», déplore-t-il.

Un autre aspect du système qui nécessite une refonte est le test oral. «En Europe, les aspirants conducteurs sont placés dans des situations concrètes et, informés des dangers potentiels, ils apprennent à y réagir. Ici, le test se limite à la reconnaissance des panneaux de signalisation.» Il souligne également que les auto-écoles ont à maintes reprises demandé aux autorités de réviser le processus d'attribution des permis, sans succès. «Il faut savoir que la majorité des moniteurs ont suivi des formations dispensées par des experts belges ou français sous la supervision de Ben Buntipilly.»

Asraf Sohawon partage son expérience des examens pour jeunes apprentis à La Réunion : «Les épreuves durent 45 minutes. Les aspirants chauffeurs empruntent même l'autoroute, respectent les vitesses exigées et passent par des ronds-points.» Concernant les permis suspendus, il propose que les conducteurs concernés soient suivis par un psychologue et refassent leur formation. «Il faut réévaluer leur manière de conduire et en fonction de leur âge, déterminer s'ils sont encore aptes à prendre le volant. Le système doit être repensé.» Il note par ailleurs que les chauffeurs d'aujourd'hui sont plus agressifs qu'auparavant. «On observe qu'ils sont stressés, bloqués dans la circulation et frustrés de ne pas pouvoir rouler à la vitesse prévue.»

Un autre facteur favorisant les accidents, selon lui, est le manque de concentration des conducteurs. **«Beaucoup sont distraits par leur téléphone ou par ce qui se passe autour d'eux, au lieu de se concentrer sur la route», déplore-t-il. Asraf Sohawon évoque également le nouveau système de délivrance des permis qui pourrait être mis en place. «En tout cas, c'est ce que l'on a entendu. Il s'agirait d'un processus en trois étapes : d'abord un test écrit, ensuite, une provisional driving licence, et enfin un permis probatoire. Après une certaine période, le conducteur pourrait obtenir un permis permanent. Ce système ressemble à celui en vigueur au Canada.» Il propose également qu'une fois le permis obtenu, les nouveaux chauffeurs soient obligés de conduire accompagnés d'un conducteur expérimenté après 20 heures, afin d'assurer leur sécurité. «Il faudrait aussi instaurer une limitation de vitesse spécifique. Pourquoi ne pas fixer la barre à 80 km/h ?»

Par ailleurs, il insiste sur l'importance de disposer de manuels pratiques pour mieux préparer les conducteurs. «Ces guides devraient expliquer les distances de freinage dans différentes conditions et les réactions à avoir en une fraction de seconde. Il reste beaucoup à faire pour sensibiliser les jeunes à ces réalités.»

Réformes nécessaires

Même au sein de la force policière, un changement serait bienvenu pour réduire les accidents sur les routes. Le chef inspecteur Shiva Coothen propose que les moniteurs utilisent un carnet de progression (progress book) pour évaluer les candidats au fil de leur apprentissage. «Les examens pourraient être divisés en plusieurs étapes. Ils ne devraient pas seulement avoir lieu par temps ensoleillé, mais aussi sous la pluie, afin d'observer le comportement des aspirants chauffeurs face aux flaques d'eau.»

Il suggère également la mise en place d'un centre spécialement conçu pour ces examens, réunissant toutes les conditions nécessaires, à l'image de ce qui se fait à l'international. «Si l'aspirant chauffeur réussit à remplir tous les critères, alors il pourra obtenir son permis. Mais pour l'instant, nous ne pouvons rien faire. Les décisions doivent venir des autorités supérieures pour trouver de nouvelles méthodes d'évaluation des candidats.»

Pour le chef inspecteur Shiva Coothen, il serait judicieux d'instaurer un permis probatoire d'une durée d'un an pour les nouveaux conducteurs. «Si aucune infraction n'est commise durant cette période, alors le permis permanent pourra leur être délivré.» Il propose également que les personnes âgées passent des examens devant un panel de médecins afin de renouveler leur permis. «Un jugement de la Cour suprême avait interdit cette pratique, mais je pense qu'il est nécessaire d'amender la loi pour la réintroduire, peut-être pour les personnes âgées de plus de 70 ans. Ces examens devraient être menés par des médecins du ministère de la Santé. Si nous voulons vraiment résoudre le problème des accidents de la route, il faut envisager de telles mesures.»

Tous espèrent que le ministre du Transport Osman Mahomed prendra des décisions concrètes en réponse à ces propositions, notamment après le lancement en début d'année d'une campagne de sensibilisation axée sur la conduite en état d'ivresse et sous l'influence de drogues.

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