Des lois répressives, ainsi que le harcèlement et la détention d'activistes, entravent le travail des organisations
- Les autorités libyennes ont eu recours à une litanie de lois draconiennes et excessives qui violent le droit international pour menacer, harceler, détenir arbitrairement et attaquer des membres de la société civile et des activistes.
- Cibler les organisations non gouvernementales risque de fermer complètement l'espace de libre réunion et d'association dans le pays. De nombreux activistes s'autocensurent ou quittent le pays.
- Les autorités des deux gouvernements qui se disputent le contrôle de la Libye devraient cesser de cibler les groupes civiques, et adopter d'urgence une loi sur la société civile de manière conforme au droit international.
Le harcèlement et le ciblage de plus en plus fréquents des activistes et des membres d'organisations non gouvernementales par les autorités libyennes risquent de fermer complètement l'espace pour les libertés de réunion et d'association dans ce pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les autorités devraient cesser de cibler les groupes civiques et adopter d'urgence une loi sur la société civile, de manière conforme au droit international.
Les autorités libyennes, appuyées par des milices agissant en toute impunité et des forces de sécurité intérieure responsables d'abus, ont utilisé une litanie de lois draconiennes héritées du passé, d'une vaste portée et qui violent le droit international, pour menacer, harceler, détenir arbitrairement et attaquer fréquemment les membres et les militants de la société civile. Un activiste interrogé a indiqué à Human Rights Watch avoir été torturé en détention.
Depuis 2011, les autorités ont adopté divers décrets et règlements comportant des exigences d'enregistrement et d'administration onéreuses, empêchant les groupes de s'établir ou de maintenir une présence dans le pays. En conséquence, des dizaines d'activistes ont dû quitter le pays, tandis que ceux qui sont restés ont recours à l'autocensure ou travaillent de manière clandestine.
« Les autorités libyennes devraient d'urgence mettre fin à leurs politiques répressives qui anéantissent l'espace civique dans le pays, et rendent quasiment impossible le travail essentiel des organisations », a déclaré Hanan Salah, directrice adjointe de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les groupes de défense des droits humains et les autres organisations de la société civile devraient pouvoir fonctionner sans avoir constamment à être sur leurs gardes, par crainte de représailles. »
Entre avril et octobre 2024, Human Rights Watch a mené des entretiens en personne et par téléphone avec 17 membres d'organisations de la société civile libyenne et des activistes en Libye et en Tunisie, et a rencontré des représentants de syndicats étudiants et des membres du Conseil national des libertés générales et des droits de l'homme (NCGLHR). Seuls cinq membres de la société civile ont accepté de se rencontrer en personne en Libye, les autres ont demandé des entretiens téléphoniques ou ont refusé de répondre par crainte d'être harcelés par l'Agence de sécurité intérieure de Tripoli. Human Rights Watch a anonymisé tous les entretiens avec les activistes pour éviter toute représaille.
Les chercheurs ont également rencontré les autorités de Tripoli, Zawiya et Misrata, notamment le ministre de la Justice, la Commission de la société civile et des responsables des Nations Unies. Human Rights Watch n'a pas obtenu les autorisations nécessaires pour se rendre dans l'est de la Libye.
Deux autorités rivales se disputent le contrôle de la Libye : le Gouvernement d'unité nationale (GNU) basé à Tripoli, nommé comme autorité intérimaire par un processus de consensus mené par l'ONU, et les groupes armés affiliés contrôlent l'ouest de la Libye. Leurs rivaux, les Forces armées arabes libyennes (FAAL) et les appareils de sécurité et milices affiliés, contrôlent l'est et le sud de la Libye. Une administration civile affiliée aux FAAL est connue sous le nom de « gouvernement libyen ».
Human Rights Watch a écrit aux ministères de la Justice et des Affaires étrangères à Tripoli le 2 décembre 2024 pour leur faire part de ses conclusions, mais n'a pas reçu de réponse.
Les autorités de l'est et de l'ouest de la Libye ont eu recours à une série de lois pour réprimer la société civile, notamment celles datant de l'époque de l'ancien dirigeant Mouammar Kadhafi. Il s'agit notamment de la Loi 19/2001 sur la réorganisation des organisations non gouvernementales, qui restreint considérablement le travail de la société civile ; cette loi contestée est considérée comme abrogée par certains juristes, en raison de l'adoption en 2011 du Pacte constitutif libyen par le Conseil national de transition, ainsi que d'autres lois régissant la liberté d'expression et la cybercriminalité et des lois formulées en termes vagues sur les crimes contre l'État.
Le Code pénal libyen prévoit des peines sévères, y compris la peine de mort, pour la création d'associations « illégales », et prévoit des peines de prison pour la création ou l'affiliation à des associations internationales sans « autorisation » préalable. Des réglementations et des décrets sur l'organisation du travail des organisations non gouvernementales restreignent et musellent de manière injustifiable les groupes civiques.
Les autorités législatives libyennes devraient réformer les articles du Code pénal qui portent atteinte à la liberté d'expression, d'association et de réunion et devraient garantir l'exercice pacifique de ces droits, a déclaré Human Rights Watch. Les autorités devraient également abroger rapidement la peine de mort, notamment comme sanction pour la création ou la participation à des organisations illégales.
Les autorités de l'est comme de l'ouest du pays et des groupes armés ont arrêté et détenu des membres de la société civile, souvent sur la base d'accusations fallacieuses et motivées par des raisons politiques. Après qu'un groupe armé affilié à l'Agence de sécurité intérieure, basée à Tripoli, a arrêté arbitrairement quatre membres du mouvement de jeunesse « Tanweer », un tribunal de Tripoli les a condamnés en décembre 2022 à des peines de trois ans de prison avec travaux forcés pour « athéisme, agnosticisme, féminisme et infidélité ». Deux activistes, qui ont souhaité garder l'anonymat par crainte de répercussions, ont déclaré que ces arrestations et poursuites judiciaires envoyaient un message effrayant à la société civile. Une personne a mis fin à un mouvement sur les questions féminines qu'elle avait lancé, à la suite de cet incident.
Les autorités libyennes, en particulier dans l'ouest du pays, ont imposé des conditions et des exigences excessives et souvent irréalisables aux organisations non gouvernementales - nationales et internationales - qui souhaitent s'enregistrer et obtenir des permis de travail, ce qui entrave leur travail. Les autorités ont imposé des exigences d'approbation contraignantes pour des activités aussi simples que l'organisation de séminaires et d'ateliers, tandis que les exigences onéreuses en matière de rapports financiers sont souvent impossibles à respecter pour les petites organisations.
La création en 2018 de la Commission de la société civile par l'ancien gouvernement d'entente nationale, chargée d'enregistrer et d'approuver les organisations civiques et leurs activités, a annoncé de nouveaux obstacles pour les groupes non gouvernementaux en raison des rivalités et des incohérences entre les différentes branches. Un processus visant à unifier les branches orientale et occidentale a débuté en 2023 et est toujours en cours. Des activistes ont déclaré que la Commission avait contraint certaines organisations à changer de nom ou à modifier leurs objectifs pour obtenir leur enregistrement.
En l'absence d'une loi sur les organisations de la société civile conforme au droit international et aux meilleures pratiques garantissant les droits à la liberté d'association, de réunion et d'expression, les autorités libyennes devraient supprimer les restrictions onéreuses à l'enregistrement et autoriser la libre création d'associations, a déclaré Human Rights Watch.
En vertu du droit international des droits humains, les libertés d'expression, de réunion et d'association sont reconnues comme des droits humains fondamentaux ayant certains « éléments communs », et qui sont essentiels au bon fonctionnement d'une société démocratique et à la jouissance d'autres droits individuels.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la Libye en 1970, stipule que les droits de réunion pacifique et d'association ne peuvent être limités que par des « restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l'intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l'ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d'autrui ».
Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, qui interprète avec autorité le Pacte, a souligné qu'un gouvernement ne devrait pas être plus restrictif que ce qui est absolument nécessaire pour toute restriction de la liberté d'association, le préjudice subi et la durée de la restriction. La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, ratifiée par la Libye en 1963, stipule ceci : « Toute personne a le droit de constituer librement des associations avec d'autres, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi. »
« Les autorités libyennes ont eu recours à une série de lois répressives pour cibler les groupes civiques tout en dressant obstacle après obstacle pour les empêcher d'opérer légalement », a conclu Hanan Salah. « Les groupes civiques ne peuvent pas fonctionner efficacement et en toute sécurité tant qu'ils restent dans un vide juridique, travaillant dans le secret ou dans la peur constante d'une menace, d'une attaque ou d'une arrestation. »
Suite plus détaillée en anglais.