Rabat — Il est 19h00, le centre de gaming "Next Level", niché en plein coeur du quartier Agdal à Rabat, affiche complet. Les yeux fixés sur l'écran, casques bluetooth montés sur la tête, une vingtaine de jeunes gamers, filles et garçons, semblent voguer sur une autre orbite.
Aussitôt l'entrée franchie, le visiteur est plongé dans une ambiance presque féerique où la couleur rouge-orange de l'éclairage donne la réplique au reflet des PC gamers. Ici, le monde se réduit à une effervescence vidéoludique et une atmosphère immersive où la technologie embrasse la passion.
Badr El Bardai fait partie de cette génération 3.0 qui a très tôt cédé aux sirènes des jeux électroniques. A 22 ans, il est déjà considéré comme un "vétéran" du gaming. Happé par cet univers hanté de sons et de lumières, depuis l'âge de 10 ans, il confie comment cette passion a forgé sa personnalité et influencé, au passage, les choix de sa vie.
Résultat des courses : plusieurs victoires dans des compétitions nationales et internationales, dont la dernière en date était en juillet dernier avec l'équipe Maroc lors du tournoi universitaire de Dubaï "University Masters Tournament".
"Avec mon équipe, les 'VoidWalkers', nous avons pour ambition de créer une véritable pépinière de champions", lance Badr d'une voix entonnée mélangée d'enthousiasme et de confiance en soi.
Ce projet de coaching des jeunes gamers, Badr oeuvre à le mettre en place en partenariat avec l'Institut Supérieur des Métiers de l'Audiovisuel et du Cinéma (ISMAC). L'objectif est de pouvoir fournir "un accompagnement sur mesure dès le plus jeune âge, permettant à chaque talent de s'épanouir et de révéler tout son potentiel", soutient-il.
Au départ, le jeune homme ne savait pas que derrière les écrans se cachait une communauté de joueurs de toute nationalité, interconnectés via des forums de discussion, des chaînes de streaming en direct et des tournois d'e-sport d'envergure internationale.
Cet engouement des jeunes Marocains, qui du reste ne date pas d'hier, ne fait que gagner en intensité, fait observer à ce propos Nissrine Souissi, chargée du développement de l'industrie du gaming au ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication.
Pour accompagner cet élan, explique-elle, le ministère a mis en place la "stratégie de développement de l'industrie du gaming au Maroc" qui vise à permettre aux jeunes gamers de gagner en visibilité, notamment à travers le salon "Morocco Gaming Expo" et la plateforme digitale moroccogamingindustry.ma.
Et pour cause. Si le gaming est encore perçu par certains comme une activité ludique, il représente pour d'autres un véritable projet de carrière, et les joueurs les plus talentueux peuvent désormais transformer leur hobby en une carrière gratifiante.
Le parcours de Badr en est la parfaite illustration. Il n'est pas le seul à rêver grand, à la faveur d'initiatives institutionnelles dédiées à accompagner cet élan.
"Le ministère a pour objectif de créer au moins 6.000 emplois directs d'ici 2030, dans 70 métiers inhérents au gaming", assure Mme Souissi. Ces métiers couvrent un large éventail de compétences, de la conception des jeux vidéo à leur distribution, en passant par la commercialisation.
C'est dans cette logique que le programme de formation "Video Game Creator", dédié aux métiers de développement des jeux vidéo, a été lancé dans le cadre de la Déclaration d'intention signée entre le Maroc et la France en octobre dernier, sous l'égide de Sa Majesté le Roi Mohammed VI et du Président français Emmanuel Macron.
"Ce programme répond à plusieurs enjeux : le développement de compétences de pointe, le soutien à l'emploi des jeunes ainsi que la participation active à la structuration d'un écosystème gaming au Maroc", explique Abdessamad Gharis, chargé de mission et de formation continue à l'Université internationale de Rabat (UIR).
Adossé à une approche inclusive, intégrant des profils variés issus de différentes régions du Royaume, ce programme a enregistré plus de 2.100 candidatures, dont 35 % de sexe féminin, "un pourcentage éloquent en terme de parité", se réjouit M. Gharis.
Zhor El Hamdouchi, une des jeunes bénéficiaires de cette formation, ne cache pas la passion qu'elle nourrit de longue date pour le gaming.
"Mon projet de carrière est de monter mon propre studio de création de jeux vidéo 3D", affirme cette lauréate de l'UM6P de Benguerir, formée sur le développement des jeux vidéo en réalité virtuelle et des applications de la réalité augmentée (XR Development).
"Plus qu'un simple jeu, le gaming est aussi un outil de rapprochement culturel", tient à souligner Mme Souissi, également Commissaire du salon "Morocco Gaming Expo".
"Le jeu vidéo est un produit facilement exportable. Les rencontres avec les jeunes marocains nous ont permis de réaliser à quel point ils sont imprégnés par la culture marocaine et ne ménagent aucun effort pour l'intégrer dans les jeux vidéo, que ce soit au niveau des sites, des monuments historiques, ou encore des tenues vestimentaires (Jellaba, Caftan)", argue-t-elle.
Même son de cloche du côté de Karin Houpillart, directrice et co-fondatrice de l'Ecole parisienne "ISART Digital", partenaire académique du programme "Video Game Creator". Pour elle, le Maroc dispose d'atouts culturels, artistiques et historiques "indéniables" ne demandant qu'à être mis en scène sur le terrain du jeu vidéo.
"Et il y a de quoi. La quête de nouveautés par le public incarne un formidable vecteur d'investissement et de développement pour le rayonnement de la culture marocaine à l'international", ajoute-t-elle.
C'est justement l'objectif du projet porté par Issam Chentoui, jeune bénéficiaire du programme "Video Game Creator", qui est en train de peaufiner un jeu vidéo Made in Morocco, dont le coeur bat au rythme de l'architecture et des monuments historiques de Marrakech.
"Né sur les bancs du lycée, ce projet a commencé à voir le jour au fil des années grâce à une auto-formation sur la programmation et l'animation 3D", raconte Issam, qui ambitionne de nouer des collaborations avec ses pairs au sein de "Video Game Creator" pour donner vie à son jeu vidéo.
Le gaming s'impose certes comme vecteur d'immersion et de créativité, mais aussi comme levier puissant d'investissement au regard des chiffres d'affaires en jeu, notamment au niveau mondial.
En effet, si le marché marocain de cette industrie est estimé à 2,24 milliards de dirhams, le secteur du gaming génère au niveau international des recettes estimées à quelque 300 milliards de dollars. Un chiffre qui donne le vertige et renseigne sur le potentiel économique et financier important du secteur.
Pour préparer le terrain à un véritable écosystème au Maroc, une cité dédiée au gaming devrait voir le jour prochainement à Rabat, suivie d'autres infrastructures à Casablanca et dans d'autres régions du Royaume, assure Mme Souissi.
Des initiatives qui s'inscrivent dans le cadre des efforts visant à développer la création de jeux vidéo Made in Morocco. "Encore faut-il être en mesure d'internationaliser le produit", tient à nuancer Mme Houpillart.
Pour elle, c'est là tout l'enjeu pour les éditeurs et développeurs. "Un sujet dont les jeunes créateurs marocains doivent absolument s'emparer s'ils veulent rayonner en dehors des frontières".
Une ambition que prend à bras le corps Badr El Bardai, qui incarne l'ambition de toute une génération de gamers marocains.
"Je veux devenir le meilleur gamer au Maroc et dans la région, et me forger une réputation sur la scène mondiale du gaming", confie-t-il.
L'histoire ne fait que commencer, et l'avenir des gamers marocains est entre leurs manettes !