Le béton coule à flots, mais l'eau et la santé sont laissées en rade. Alors que l'île Maurice fait face aux défis climatiques et à une pression grandissante sur ses ressources, les investisseurs étrangers, eux, misent toujours sur l'immobilier.
L'immobilier en plein boom, malgré les enjeux climatiques
Les chiffres récemment révélés par la Banque de Maurice parlent d'eux-mêmes : pour les trois premiers trimestres de 2024, le secteur immobilier a engrangé Rs 17,3 milliards d'investissements directs étrangers (IDE), contre Rs 15,8 milliards sur la même période en 2023. Inondations, vagues de chaleur, érosion des plages ? Qu'importe ! Le bétonnage de Maurice ne ralentit pas.
À lui seul, le secteur du luxe (Integrated Resort Scheme, Real Estate Scheme, Invest Hotel Scheme, Propety Development Scheme et Smart City Scheme) a capté Rs 12,8 milliards d'IDE, en hausse de Rs 2 milliards par rapport à l'année précédente. Cependant, les investissements dans l'hébergement et la restaura- tion, eux, s'effondrent de moitié, passant de Rs 2,4 milliards en 2023 à seulement Rs 1,2 milliard cette année.
Autre surprise : le secteur de la construction enregistre une petite embellie, avec une hausse des IDE de Rs 8 millions à Rs 20 millions. Une goutte d'eau dans un océan d'investissements immobiliers.
L'industrie et l'agriculture en plein essor
Si l'immobilier règne en maître, d'autres secteurs commencent à se démarquer. Le secteur manufacturier a vu ses IDE bondir de Rs 63 millions en 2023 à Rs 244 millions en 2024. Quant à l'agriculture et la pêche, elles connaissent une explosion des investissements étrangers : Rs 507 millions injectés, contre seulement Rs 68 millions en 2023 !
Le secteur des finances et de l'as- surance suit cette tendance, passant de Rs 102 millions à Rs 960 millions en un an. Même constat pour l'énergie : les IDE dans l'électricité, le gaz et la climatisation atteignent Rs 326 millions, soit une augmentation de plus de Rs 200 millions.
(L'argent coule à flots pour l'immobilier, mais pas pour l'eau : zéro roupie investie dans la gestion des ressources hydriques en 2024.)
La santé et l'eau : les grands oubliés des IDE
Mais pendant que l'argent coule à flots ailleurs, certains secteurs pourtant essentiels restent désertés. Le plus frappant ? Zéro roupie investie dans la santé et les services sociaux en 2024, alors qu'ils avaient attiré Rs 311 millions en 2023. Un signal inquiétant pour un pays qui ambitionne d'être un hub médical.
Même constat alarmant pour la gestion de l'eau et des déchets. Alors que Maurice est classée comme un pays water-stressed, aucun investissement étranger n'a été enregistré dans ce secteur.
Autre secteur en berne : l'administration, qui voit ses IDE chuter de Rs 376 millions à seulement Rs 81 millions.
L'Europe, toujours premier investisseur, mais des contrastes frappants
L'Europe reste le moteur des IDE à Maurice, avec des investissements en hausse : Rs 14,4 milliards injectées en 2024, contre Rs 13,5 milliards l'année précédente. L'Union européenne à elle seule pèse Rs 11 milliards, avec une performance remarquable de la France, qui double quasiment sa mise, passant de Rs 4,7 milliards à Rs 7,1 milliards.
En revanche, le Royaume-Uni décroche : ses investissements chutent de Rs 1,2 milliard à Rs 509 millions.
Côté Afrique, la tendance est timide, sauf pour l'Afrique du Sud, qui enregistre une hausse significative, avec Rs 3,5 milliards injectés en 2024, contre Rs 2,5 milliards en 2023.
Maurice investit aussi à l'étranger
Les entreprises mauriciennes ne sont pas en reste et placent de plus en plus d'argent hors du pays. Rs 3 milliards d'IDE ont été envoyés à l'étranger en 2024, contre seulement Rs 793 millions en 2023. L'industrie manufacturière capte une large part, avec Rs 1,4 milliard investi.
Les destinations privilégiées ? La Réunion, l'Inde et la France, avec une explosion des investissements vers l'Inde et l'Afrique du Sud (Rs 579 millions en 2024 contre Rs 1 million en 2023).
Un boom économique, mais des priorités discutables
Avec des IDE estimés à Rs 24,8 milliards pour les trois premiers trimestres de 2024, l'attractivité de Maurice ne se dément pas. Mais cette manne financière profite-t-elle aux secteurs stratégiques ? L'absence d'investissements dans la santé et la gestion de l'eau soulève des questions, alors que l'immobilier et le luxe continuent de rafler la mise.
Maurice peut-elle se permettre de privilégier le béton au détriment de services essentiels à son avenir ? Une question qui mérite réflexion...