Burkina Faso: Accidents de circulation - L'assurance moto, un instrument de couverture méconnu des usagers

31 Janvier 2025

Si rouler en motocyclette au Burkina Faso est devenu banal, la culture de l'assurance moto est la chose la moins partagée. Pourtant, il s'agit d'un outil efficace de couverture qui soulage les usagers en cas d'accident. Cette assurance permet de bénéficier d'une indemnisation pour assurer la prise en charge des frais engagés pour les soins mais aussi pour remettre l'engin en état de rouler. Malgré ses multiples avantages, ce produit assuranciel reste peu connu des motocyclistes burkinabè. Le journal de tous les Burkinabè, Sidwaya, en a fait le constat à Ouagadougou, la capitale de deux roues.

Mardi, 28 janvier 2025, il est 13h à la société de gardiennage, Pyramide sécurité, sis au quartier Wemtenga de Ouagadougou. Jean-Baptiste Palenfo, gestionnaire de ressources humaines est en train de gérer les instances. Les yeux rivés sur l'écran de son ordinateur, il reçoit un appel relatif au Procès-verbal (PV) de son accident délivré par le commissariat central de police de Ouagadougou. Sur une motocyclette de type scooter, avec laquelle l'accident s'est produit en novembre 2024 les dégâts corporels et matériels étaient énormes. Un choc à la tête, des égratignures sur d'autres parties du corps, la douleur était vive pour lui.

Il a été transporté aux urgences traumatologiques du Centre hospitalier universitaire Yalgado-Ouédraogo (CHU-YO) par les sapeurs-pompiers. D'un scanner à la tête en passant par d'autres examens médicaux, les dépenses engagées pour lui sauver la vie sont élevées. Sa seule chance est que l'assurance « tous risques » à laquelle il a souscrit pour sa motocyclette le couvre contre les dégâts matériels et corporels « quelles que soient les circonstances de l'accident ».

Après avoir recouvré la santé, M. Palenfo revient sur les circonstances de sa souscription à l'assurance moto et de son accident.

« La moto a été assurée le lendemain de son achat. L'accident a eu lieu six mois après la souscription. Dès le lendemain des évènements douloureux, l'assureur a délégué un agent pour me rendre visite à l'hôpital après avoir été alerté. Ce jour, il m'a

demandé de rassembler les ordonnances et les frais médicaux. J'ai dépensé la somme de 104 000 F CFA pour les soins médicaux. Une semaine après, j'ai perçu un peu plus de

80 000 FCFA comme indemnisation des dommages corporels », explique-t-il. Il est ainsi pris en charge par sa compagnie à hauteur de 80% des frais engagés pour recouvrer sa santé. Pour sa part, sa moto endommagée de toutes parts, attend toujours réparation, trois mois après l'accident. Cela, dit-il, s'explique par une lenteur administrative due au manque d'informations pour situer les circonstances de l'accident.

Se prémunir contre les risques d'accidents

« La moto a été conduite chez un mécanicien. L'assureur a déjà les images. Ce qui m'est revenu, le devis fait 453 000 F CFA. Je dois apporter une contribution forfaitaire de 25 000 F CFA. Je pense que l'assureur va négocier avec le garagiste pour trouver une meilleure formule », se réjouit-il. Convaincu de l'importance de l'assurance, Jean-Baptiste Palenfo soutient qu'en plus de la voiture de son épouse, les motos de ses enfants sont assurées.Dieudonné Marcel Koutiebou, propriétaire d'une moto grosse cylindrée, est aussi un souscripteur de l'assurance moto. Agent d'une compagnie d'assurance installée dans le quartier Patte d'oie, secteur 52 de la ville de Ouagadougou, il soutient avoir opté pour l'assurance tous risques. Alors que la moto était garée dans un lieu public, une personne inconnue, selon lui, a endommagé le feu-arrière de l'engin.

« La moto était garée. Quelqu'un l'a certainement cogné puis cassé le feu-arrière, avant de se fondre dans la nature. J'ai fait la déclaration. Le devis était estimé à 250 000 F CFA. C'est une charge pour l'assureur », confie-t-il. En personne avertie des bienfaits de l'assurance, dans sa famille, tous les engins sont aussi assurés, en vue de se prémunir contre les risques d'accidents de circulation, avec leurs lots de conséquences fâcheuses. Cette précaution est également observée chez les autres membres de son club de motards qu'il a convaincus de la nécessité de souscrire à l'assurance moto.

Consciente du danger qui pourrait survenir en cas de sinistre, Abiba Yampa, un agent de l'administration publique officiant dans un service de sécurité, explique sa décision de souscription à une assurance tous risques pour son engin acquis en début de mois de janvier 2024. Pour elle, non seulement, l'accident est involontaire mais aussi imprévisible. Son objectif, se protéger personnellement, et, au cas où l'accident se produit avec des dégâts, l'assurance va prendre en charge l'autre partie.

« C'est une période difficile »

Contrairement à Jean-Baptiste Palenfo, Dieudonné Marcel Koutiebou et Abiba Yampa, de nombreux Burkinabè détenteurs de motos ne les ont pas assurées. Certains l'ont appris à leurs dépens à la suite des accidents de circulation. C'est le cas de Abdoul Kader Kaboré, un étudiant inscrit en première année à l'Institut supérieur privé de santé Saint Camille de Lellis.

Hospitalisé aux urgences traumatologiques du CHU-YO, il a été victime d'un accident de circulation à moto, le vendredi 24 janvier 2025, au quartier Pissy, secteur 26 de la ville de Ouagadougou. Sur son lit d'hôpital, il se tord de douleurs avec des blessures sur les orteils, aux genoux, aux paumes, une luxation de l'épaule, une colle biologique appliquée sur le visage ..., en attendant les résultats d'autres examens médicaux.

Au regard des charges financières qui pèsent sur la famille, l'étudiant exprime son regret de n'avoir pas porté de casque, et pire, de n'avoir pas assuré sa moto. « C'est une période difficile. J'imagine le fardeau sur mes parents. Mon école s'est engagée à prendre en charge une partie des dépenses. Je ne savais pas qu'il existait une assurance pour les engins à deux roues. A l'école comme en famille, personne ne m'en a parlé », confie le jeune étudiant.

Abdoul Kader Kaboré n'est pas le seul à être interné dans ce box des urgences traumatologiques.

Sopheniste Somé, une monitrice dans une école maternelle est allongée sur un lit de soins curatifs depuis, le mercredi 12 janvier 2025. Pour un problème de freinage de la moto autour d'un rond-point, les pneus arrière d'un véhicule poids lourd roulent sur son pied droit après qu'elle ait heurté les pavés de la place circulaire. « Quand je suis arrivée ici, le médecin nous a recommandé de faire une radio. Les résultats ont montré trois fractures à la cheville. Je devais faire une intervention hier (ndlr, 23 janvier 2025), mais par insuffisance de sang dans mon organisme, le médecin me recommande de patienter », explique-t-elle difficilement.

Pour les soins, en plus de ses petites économies, elle dit avoir reçu du soutien de la responsable de l'école et des parents d'élèves. Dans ces moments de dures épreuves, la monitrice se souvient d'une journée où des assureurs sont passés présenter leurs produits dans l'enceinte de son établissement. « Parmi ces produits, je n'ai pas souvenance d'une assurance moto. Ce jour-là, ce sont les assurances auto, incendie et maladie qui nous ont été présentées. C'est sur ce lit d'hôpital que j'apprends que les compagnies d'assurances ont mis sur le marché une assurance moto au profit des populations », relate-t-elle, avec regret.

C'est donc entre ignorance, manque de communication, de sensibilisation et de répression que de nombreux usagers, victimes d'accidents de circulation éprouvent des difficultés à prendre en charge les dégâts corporels et matériels qui en résultent.

Moins de 5% du parc moto assuré

Pourtant, fait savoir le secrétaire exécutif de l'Association professionnelle des sociétés d'assurances du Burkina (APSAB), Patrick Ghilat Paré, les produits

associés à l'assurance moto sont avantageux et nombreux. Il énumère, à cet effet, la garantie « responsabilité civile moto » pour la couverture des dommages matériels et/ou corporels causés à un tiers, la garantie « dommages » pour les dommages matériels subis par la motocyclette elle-même, la garantie « personnes transportées » pour le conducteur et la personne transportée et la garantie « défense recours » permettant à l'assureur de défendre son assuré devant les juridictions.

Malgré tous ces avantages, l'assurance moto enregistre un faible taux d'engouement de la part des populations et s'établit à moins de 5% du parc, déplore, M. Paré. En effet, explique le chef de l'unité des urgences traumatologiques, Sayouba Tinto, plus de 75% des victimes d'accidents de circulation reçues par son service sont des motocyclistes. Les blessures fréquemment rencontrées, selon lui, sont les traumatismes crâniens, les fractures des membres, les luxations, des plaies hémorragiques avec d'importants délabrements. Sans assistance familiale ou d'autre couverture quelconque de prise en charge, aux premières heures des évènements, fait-il savoir, le patient est automatiquement conduit au bloc opératoire pour le maintenir en vie. Généralement, poursuit-il, rares sont les patients qui disposent d'une assurance moto pour se faire dédommager à l'issue des soins.

« Il arrive souvent que l'un des engins impliqués dans l'accident soit assuré. Dans ce cas, c'est l'assurance qui prend en charge les soins. Parfois la victime elle-même dispose d'une assurance individuelle qui la soutient financièrement. Cela facilite les soins », argue-t-il. C'est pourquoi, il conseille aux usagers d'avoir à l'esprit d'assurer leurs engins qui est d'ailleurs obligatoire au Burkina Faso et d'observer la plus grande prudence en circulation.

A qui la faute ?

A l'image des deux patients hospitalisés, la majorité des usagers des engins à deux roues ignore l'existence des textes régissant l'assurance moto au Burkina Faso. Pourtant, les accidents de circulation sont légion. Et les statistiques émanant de l'Office nationale de sécurité routière (ONASER) le confirment. Pour l'année 2023, 22 156 cas d'accidents ont été enregistrés. Et au 1er semestre de 2024, le nombre d'accidents s'est établi à 11 112, avec 567 décès et 7 742 blessés. Il ressort de ces données que la plupart des conducteurs d'engins à quatre roues impliqués dans ces accidents sont assurés. Les dommages qui en résultent sont donc pris en charge par les services des assurances. Ce qui n'est pas toujours le cas pour les autres engins, notamment les deux roues. Selon les statistiques de la gendarmerie nationale, 37% des cas d'accidents sont dus à l'imprudence, 18% à l'excès de vitesse, 16% au défaut de maitrise et 29% pour les autres causes.

En effet, que ce soient dans les marchés, les universités, les services publics, des motocyclistes s'étonnent de l'existence de l'assurance moto. Alimatou Ouédraogo, une secrétaire-comptable d'un commerce au quartier Karpala de la ville de Ouagadougou en est un exemple.

Détentrice d'un BTS en secrétariat, elle exprime une méconnaissance totale de ce produit et pointe du doigt le manque de communication des compagnies d'assurance. De son côté, Patrick Ghilat Paré, secrétaire exécutif de l'Association professionnelle des sociétés d'assurances du Burkina (APSAB) situe la responsabilité à deux niveaux. Pour lui, l'Etat devrait non seulement procéder à une sensibilisation de la population, mais aussi, à travers les services de police, effectuer des contrôles et sanctionner tout utilisateur de moto qui n'aurait pas souscrit à une assurance, comme il le fait pour les utilisateurs d'engins à quatre roues.

Et ce conformément au décret n°2003-418 / PRES / PM / MITH / SCU / DEF / MATD du 12 août 2023 portant définition et répression des contraventions en matière de circulation routière,qui stipule en son article 46 que tout usager de circulation qui n'est pas détenteur d'un permis de conduire de catégorie A1, d'une carte grise et d'une attestation d'assurance en cours de validité est puni d'une amende de 3 000 F CFA.

Dans la même logique, le code CIMA (Conférence interafricaine des marchés d'assurances), en son article 200 alinéa 1er rend obligatoire l'assurance de la responsabilité civile résultant de l'utilisation de tout véhicule terrestre à moteur (deux roues y compris). Sur la base de ces textes, fait savoir le secrétaire exécutif de l'APSAB, l'assurance moto est rendue obligatoire au Burkina Faso. Malheureusement, elle souffre d'une non-application quasiment généralisée. A ce stade, aucune répression à l'encontre des contrevenants à la règlementation n'est engagée de la part de l'autorité, aux dires du capitaine de police, Wako Emmanuel Seni, en service à la section des accidents au commissariat central de police de Ouagadougou.

A l'absence de sanctions, s'ajoutent la méconnaissance totale des textes en la matière et la faible culture de l'assurance des usagers à deux roues, explique-t-il. La difficulté majeure rencontrée reste l'état d'esprit de la population qui refuse ou du moins n'adhère pas véritablement aux produits d'assurance. Certains se réfugient derrière les difficultés financières qu'ils traversent en ce moment pour justifier leur non souscription à l'assurance. Pour d'autres, la confiance aux produits d'assurance n'est pas suffisamment ancrée.

Revoir la procédure d'indemnisation

Dans un tel environnement socioculturel, la police opte pour la sensibilisation lorsqu'une infraction est commise. « Nous leur faisons comprendre que lorsqu'une personne est en infraction, elle est tenue de prendre en charge les dégâts matériels et corporels de la victime sans compter les siens. Alors que si la moto est assurée, l'assureur est dans l'obligation de la soutenir », avoue, M. Seni.

Abondant dans le même sens, le président de l'Association professionnelle des courtiers d'assurances du Burkina (APCAB), Lagnono Hassane Lamizana, dénonce un manque de coercition. Sur papier, dit-il, les textes rendent obligatoire l'assurance moto, mais dans la pratique, la réalité est autre. Pour lui, il y a eu beaucoup d'initiatives sur l'assurance moto. La première remonte à 2005 avec la convention entre Allianz et la société Mega Monde motors.

« Lorsqu'un client achetait une moto, automatiquement, la société lui offrait une assurance moto Allianz. Après l'échéance du contrat, les usagers ne revenaient plus. Il y a eu aussi un problème de reversement des fonds ... », se souvient-il. Au-delà de la communication, le président de l'APCAB, évoque un problème relatif à la cadence de règlement des sinistres. « Lorsque vous souscrivez à un contrat, le premier intervenant, c'est le propriétaire de l'engin.

Ensuite, vient le courtier et enfin, l'assureur. Mais en cas de sinistre, la procédure est tout autre. Il y a le mécanicien pour le devis et l'expert pour l'évaluation qui intervient en amont avant que l'assureur ne puisse débloquer les fonds afin de réparer l'engin. Pendant ce temps, l'engin est immobilisé. Ne serait-ce qu'une semaine ou deux voire un mois. Avec ce délai, un client n'est plus disposé à renouveler son contrat d'assurance », fait remarquer M. Lamizana.

Pour y remédier, estime-t-il, il convient de réfléchir sur la possibilité d'accélérer le processus d'indemnisation des clients, « car, très souvent, le propriétaire d'un engin à deux roues au Burkina Faso dispose du seul moyen pour ses courses ». Une proposition qu'épouse les responsables des entreprises de vente d'engins à deux roues. Pour le gérant de « Wammanegba Sarl commerce général », Pascal Taonsa, les assureurs ne respectent pas leurs engagements au moment de la signature du contrat.

Les procédures d'indemnisation généralement complexes démoralisent les souscripteurs. Il les invite à changer leur fusil d'épaule, en termes de marketing dans la vente du produit.

Un manque à gagner

Pour susciter une meilleure adhésion des populations à l'assurance moto, les compagnies d'assurance s'efforcent de proposer des tarifs plus attrayants à travers des réductions « exceptionnelles ». Pour le secrétaire exécutif de l'APSAB, la prime annuelle de l'assurance « au tiers » pour les cyclomoteurs tourne autour de 16 111 F CFA. Toutefois, certaines compagnies l'ont déjà proposée à moins de 10 000 F CFA. Des partenariats ont été proposés également à certains vendeurs de motos pour des campagnes promotionnelles de vente de motos incluant l'assurance. A

u regard du nombre important d'usagers utilisant ce moyen de locomotion, l'adhésion de la population à l'assurance moto accroitrait significativement le chiffre d'affaires du marché burkinabè des assurances. Le manque à gagner en termes de chiffre d'affaires pour les compagnies est exorbitant. Pour l'Etat, il a signifié une perte en revenu fiscal et une faible protection des personnes et des biens en cas d'accident causé par une moto non assurée dont le propriétaire est insolvable.

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