Dakar — Paulin Soumanou Vieyra, premier cinéaste d'Afrique noire, historien et critique de cinéma dont on célèbre le centenaire de sa naissance, vendredi, mérite la reconnaissance de l'Etat sénégalais pour tout ce qu'il a fait pour le cinéma, estime le réalisateur Clarence Delgado.
»Paulin a beaucoup fait pour le cinéma sénégalais et africain. On ne lui a jamais rendu hommage en reconnaissant ce qu'il a fait pour le 7e art et cela me hante, connaissant Paulin et ce qu'il a fait pour le cinéma », a déclaré Clarence Delgado dans un entretien accordé à l'APS.
Né le 31 janvier 1925 à Porto-Novo, au Dahomey, l'actuel Bénin, Paulin Soumanou Vieyra, cinéaste, critique et historien du cinéma d'Afrique noire, a été naturalisé sénégalais. Décédé le 4 novembre 1987 à Paris, il a été enterré à Dakar.
Paulin Soumanou Vieyra a signé les premiers textes africains de critique cinématographique et a publié plusieurs ouvrages, dont »Le cinéma africain: des origines à 1973 » (1975) et »Le cinéma au Sénégal » (1983).
De 1956 à 1975, Paulin Soumanou Vieyra dirigeait le service des actualités de l'Afrique-Occidentale française, celui des actualités sénégalaises ensuite. À ce titre, il est témoin et gardien de la mémoire visuelle de l'époque. On lui doit les images d'archives des cérémonies officielles de l'accession de plusieurs pays africains à l'indépendance.
Premier directeur des programmes de l'Office de radiodiffusion télévision du Sénégal, devenu la RTS dans les années 1970, il fonde la télévision nationale sénégalaise avant de devenir enseignant au Centre d'études des sciences et techniques de l'information de Dakar.
Clarence Delgado rappelle que c'est dans la discrétion que Vieyra dont le bureau n'était jamais fermé, recevait les gens pour les aider à avoir des pellicules pour tourner leurs films qu'il développe pour le compte des Actualités sénégalaises.
»Il a fait cela dans la discrétion, mais les gens ne l'ont pas reconnu, et c'est ce qui me gêne un peu. Dans le cinéma sénégalais, on n'a pas reconnu le bienfait de Vieyra, un homme humainement bien pour qui j'avais beaucoup de respect », a-t-il insisté.
Selon Delgado, le théoricien du cinéma défendait tout temps et partout dans le monde les cinémas africains, mais malheureusement, fustige t-il, »les Sénégalais et autres Africains ne lui ont pas rendu la pièce de sa monnaie ».
»Il s'est battu au sein des instances. Lors des réunions, il défendait toujours le point de vue des cinémas d'Afrique subsaharienne en général et sénégalais en particulier. Il avait un carnet d'adresses. Il était tout le temps invité pour parler du cinéma africain. C'est pour cela qu'il a fait beaucoup de choses pour le cinéma africain », rappelle le réalisateur du film »Au nom du père » (2023), sur l'apport du pionnier Vieyra.
Clarence Delgado invite à »reconnaitre » le travail de Paulin Soumanou Vieyra, un »intellectuel au vrai sens du mot » qui, selon lui, »aimait partager et échanger » avec les cinéastes et autres.
Le premier assistant de Sembene Ousmane rappelle également que le réalisateur de »Afrique sur seine » savait gérer les égos dans le milieu du 7e art où les acteurs étaient »très susceptibles ».
»Il faisait attention à la susceptibilité des gens. Parce que, nous, on est susceptibles dans ce métier. Dès qu'on critique ton film, tu penses que le gars est ton ennemi. (...). Il avait beaucoup de pressions dans le monde du cinéma sénégalais en tant que critique de cinéma », indique t-il.
Delgado rappelle avoir connu Paulin Soumanou Vieyra à l'ambassade du Sénégal à Alger en marge du premier congrès de la Fédération panafricaine des cinéastes (Fepaci) en 1969.
Son oncle, un diplomate avait reçu Vieyra, Ababacar Samb Makharam, Johnson Traoré, pour échanger des stratégies de diplomatie.
C'est après son retour au Portugal où il est allé approfondir ses connaissances en cinéma après ses études à Alger, que Delgado fut présenté à Sembène Ousmane.
»C'est Paulin S. Vieyra que j'ai connu en premier. J'étais super sympa avec lui et c'est Paulin alors directeur des actualités qui m'a présenté à Sembene Ousmane. Il m'a pris par la main et il est parti voir Sembene vu leur relation et c'est là que j'ai sympathisé avec Sembene Ousmane », se remémore Clarence Delgado.
Sa relation avec »L'Ainé des anciens » s'est fortifiée au fil des ans passant de sympathisants à collaborateurs pour devenir finalement une relation filiale entre »père et fils ».
Selon lui, le lien qui unissait Paulin Soumanou Vieyra et Ousmane Sembene va au-delà du travail professionnel car, Sembene Ousmane passait tous les réveillons du 25 décembre chez Paulin Soumanou Vieyra, à la Patte d'Oie.
Paulin Soumanou Vieyra a à son actif, une trentaine de films, en majorité, des courts métrages documentaires et des ouvrages dont le livre »Le cinéma africain: des origines à 1973 », publié en 1975 par la maison d'éditions »Présence africaine » qui a permis de documenter très tôt les cinémas africains.