Ile Maurice: «Pourquoi devenir leader s'il faut payer un lourd tribut à la démagogie vulgaire qui fait le buzz ?»

12 Février 2025
interview

Finlay Salesse, journaliste et rédacteur en chef avait pris une retraite hyper active. Le voilà de retour comme directeur de l'information de «Radio One». «Certains m'ont fait le procès du vieil âge», ironiset-il. Avec son franc-parler habituel, il lance : «Nous sommes dans une radio privée, nous n'avons pas de compte à rendre. On est dans un climat antivieux mais anti-vieux incompétents, c'est toute la différence.»

En tant que nouveau directeur de l'information à Radio One, du haut de 50 ans de journalisme, comment conjuguez-vous les méthodes du passé avec les technologies de l'avenir ?

J'ai connu le Nation où j'ai commencé ma carrière de journaliste au début des années 70, l'ancêtre de la presse actuelle et j'ai été témoin de son évolution : pour l'écrit, l'avènement de l'offset et de la couleur et pour l'audiovisuel, sa numérisation. Bien que ne maîtrisant pas les technologies de l'avenir, je peux comprendre et apprécier comment elles sont indispensables pour l'évolution de notre profession.

Ne pas le reconnaître, c'est faire preuve de passéisme. C'est ne pas reconnaître qu'une bétonneuse est plus efficace pour battre le ciment que la pelle ! La jeune génération de journalistes a immédiatement maîtrisé ces technologies tout comme moi, à l'époque lorsque j'ai dû apprendre l'utilisation de l'ordinateur pour taper les textes de 5-Plus dans les années 80. Tant que la technologie reste au service de notre profession comme un outil ça va ; mais qu'elle ait la prétention de remplacer l'imagination ou le style d'un journaliste me pose un problème.

Le recours à ChatGPT, si courant aujourd'hui, ne peut pas donner naissance à un Emile Zola (L'Aurore), Jean d'Ormesson (Le Figaro), Jean-Paul Sartre (La Cause du peuple), Albert Camus (Combat), Serge July (Libération) Jean-Jacques Servan-Schreiber/ Françoise Giroud (L'Express) ou encore Jean-François Kahn (Marianne). Cela dit, le portable est au journalisme aujourd'hui ce que les signaux de fumée dans l'Ouest américain étaient pour la communication. Indispensable et pour le son et pour l'image.

Êtes-vous un fervent de l'utilisation tous azimuts des intelligences artificielles dans le journalisme ?

Votre question est précise et me permet de répondre par la négative : pas question d'une utilisation «tous azimuts» ; mais avec circonspection et progressivement certainement. Tant que cela peut aider à éclairer et à mettre en perspective, comme le font les illustrations dans les journaux de 20 heures de TF1.

Je lis en ce moment le dernier ouvrage de plus de 300 pages de Luc Ferry intitulé IA : grand remplacement ou complémentarité ? Un essai savant qui fait la part des choses et un choix équilibré entre l'intelligence artificielle et l'intelligence humaine, mais dans lequel toutefois, l'auteur demande de, «repenser nos systèmes éducatifs afin de rendre l'intelligence humaine non pas victime, mais complémentaire de l'IA». À un moment où le président Macron a annoncé un budget de 109 milliards d'euros pour l'IA et où les États-Unis y consacrent 500 milliards de dollars, j'aurais mauvaise grâce à mener un combat d'arrière-garde.

À l'annonce de votre nomination, vous avez déclaré à Radio One que vous aurez «une seule ligne, celle d'être au service de l'information pure et dure sans aucune tutelle». De quelle tutelle vous êtes-vous affranchi ?

Vous avez deviné que ma réponse était porteuse d'un message : celui de ne pas subir de pressions quelles qu'elles soient. Le passé, le parcours et l'engagement de mon prédécesseur étaient connus. Sa nomination imposée d'en haut au conseil d'administration de Radio One avait envoyé, comme vous le devinez, un mauvais signal qui a érodé considérablement notre crédibilité.

Ce qui a favorisé notre grande descente dans les sondages. Or, ceux qui me connaissent savent que je suis rétif à la bride. Et que toute pression me serait insupportable. Le soutien des auditeurs, qui me suivent depuis plus de 20 ans à Radio One, me permettra d'exercer mon métier sereinement. Je leur suis reconnaissant.

En septembre 2024, le sondage Kantar TNS sur le taux de pénétration des radios place Radio One en troisième position derrière Radio Plus et Top FM. Vous avez signé pour un an comme directeur de l'information. Combien de temps vous donnez-vous pour faire de Radio One le leader ?

Comme dirait un personnage de Molière (NdlR, dans Le Misanthrope), «le temps ne fait rien à l'affaire». En troisième position, Radio One, avec son équipe restreinte et sans boussole, n'est toutefois pas la dernière radio et jouit encore d'avis favorables grâce à quelques émissions cultes. Je ne suis pas dans une course effrénée. Ce n'est pas ma posture. Ma préoccupation d'abord est celle de faire enfin de l'information. C'est tout bête de dire ça. Cela nous avait échappé ces derniers temps.

J'assure actuellement à Radio One le rôle de directeur de l'information et de rédacteur en chef par intérim, dans un esprit de transmission. Pour peu qu'on me reconnaisse une expérience certaine et une connaissance de cette profession, comme semble le penser les auditeurs, j'ai le sentiment d'être investi d'une mission : celle de transmettre à la jeune génération ce que je sais.

Même si certains après une année ou deux estiment qu'ils n'ont rien à apprendre ; alors qu'à chaque jour qui se lève, j'apprends quelque chose. Dans cette mission de transmission, vous devinez que je ne prends pas en ligne de compte le facteur temps et que je n'ai pas de date butoir. Pourquoi devenir leader s'il faut payer un lourd tribut à la démagogie vulgaire qui fait le buzz sur les réseaux sociaux au détriment de la qualité ?

Toujours à votre arrivée comme directeur de l'information, vous avez également déclaré que vous souhaitez «mettre un terme à cette pratique courante qui a réduit des journalistes au rôle de porteur de micros». De quoi les journalistes de Radio One doiventils être porteurs ?

L'expression «porteur de micro» est née avec la MBC. Pour le ou la journaliste qui couvre un événement ou une conférence de presse, la consigne était «pas de questions, vous posez le micro et vous revenez avec des sons». Cette pratique avait gagné hélas beaucoup de salles de rédaction, encouragée quand des jeunes partaient sans aucune préparation sur le terrain. Ce qui laissait aussi la place à d'autres, avec une conception particulière de notre profession, pour faire dans l'excès.

De quoi les journalistes doivent-ils être porteurs ? J'en ai parlé à la rédaction de Radio One. Porteurs de nouvelles fraîches, pas celles qu'on retire du congélateur, à chaque journal pour respecter nos auditeurs. Porteurs de valeurs qui furent les nôtres après notre descente aux enfers : la lutte pour l'unité nationale, le respect de notre drapeau, tout ce qui est constitutif des droits de l'Homme, notre souveraineté et notre intégrité nationales, le respect et l'élargissement de notre démocratie, entre autres. La liste n'est pas exhaustive.

Je dis à haute voix que la situation de 60-0 ne devrait pas nous tétaniser. Ça ne peut être pire que les dernières cinq années pour la presse, victime de toutes les menaces et persécutions. Faisons notre boulot qui est celui d'informer sans crainte et sans reproche. L'adhésion de nos auditeurs sera notre bouclier.

Depuis 2023, cette radio privée a perdu sa rédactrice en chef et une animatrice, qui se sont toutes deux lancées en politique. L'une a connu la défaite, l'autre est députée de la majorité. Vous-même avez un passé politique. Diriez-vous que Radio One est une pépinière pour femmes politiques ?

Vous allez fort en besogne. Deux hirondelles de deux couleurs différentes ne font pas nécessairement un printemps politique. Si vous voulez mon avis sur l'engagement des journalistes, il est évident que je n'y suis pas hostile, vu mon parcours. Se pose toutefois la question de l'indépendance du journaliste avant le nomination day. À l'époque de mon engagement, il y avait Philippe Forget à l'express. C'est tout dire. D'autres radios ou d'autres salles de rédaction, en revanche, sont des pépinières pour attachés de presse ou directeur de communication.

Avec votre sens de la formule, on vous doit aussi cette autre déclaration à l'annonce de votre nomination comme directeur de l'information : «au sein d'une rédaction chaque journaliste ne peut faire sa propre radio. C'est favoriser l'anarchie, rendre inaudible son message et à terme sombrer dans la médiocrité». À quoi ressemble la radio où l'info est dirigée par Finlay Salesse ?

Vous faites bien de préciser «où l'info est dirigée par Finlay Salesse». Pour qu'il n'y ait pas de confusion, précisons que Nicolas Adelson est directeur et le patron de la radio. Je ne suis que le directeur de l'information. Il me fait confiance lui aussi pour mener à bien cette mission.

Revenons à votre question initiale : quelle radio ? D'abord une radio qui force le respect par la qualité de ses produits. Par l'effort qu'elle exerce pour atteindre cet objectif. Par la culture de ses journalistes. Par leur farouche indépendance. Est-ce que vous pouvez imaginer une rédaction sans ligne éditoriale claire, unique, cohérente, avec une navigation à vue à travers les écueils, surtout ceux de la politique ?

Dorénavant tout ce qui est relatif de loin ou de près à l'information va tomber sous ma responsabilité (éditos, Enquête en Direct, les émissions de l'après-midi entre autres). Cette harmonisation voulue par la direction et le conseil d'administration était nécessaire pour que Radio One retrouve ses couleurs dans l'adhésion de ses auditeurs. Mais aussi une radio qui serait capable de faire sentir le souffle de l'enthousiasme et de donner à voir les frissons de la passion. Nous sommes encore loin du compte pour le moment sur le plan de l'info. Et avec cette piqûre de rappel : sans discipline, pas d'efficacité.

Vous avez la réputation d'un journaliste exigeant voire intransigeant. En 50 ans de métier, quelle est la plus difficile leçon que vous ayez apprise ?

Merci de ne me prêter que ces deux vertus de notre profession alors que j'en compte de multiples. Plus sérieusement, celle de l'autodérision et de la modestie malgré cette longue expérience ; celle de pouvoir faire preuve de tolérance dans l'écoute ; mais sans pour autant céder un pouce de terrain à la médiocrité et à la bêtise, les deux cancers de toute salle de rédaction.

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