Lorsqu'on voit les vidéos qui circulent en ce moment, peut-on dire que la situation est pire qu'avant ?
J'ai eu 80 ans en janvier. Je suis impliqué dans la lutte contre la drogue depuis que j'ai 17 ans. C'est une dégradation constante à travers les décennies. De nouvelles drogues qui apparaissent tuent nos enfants.
Comme «Drug Czar», vous avez été nommé à la tête d'une équipe pour combattre la drogue. Quelle est la raison qui vous a poussé à accepter ?
J'ai toujours relevé les défis avec d'autres frères et soeurs de lutte. Nous n'avons jamais reculé. Je remercie d'ailleurs le Premier ministre et son adjoint, qui ont fait appel à moi. Avec le Deputy Prime Minister, nous avons déjà eu cinq rencontres. Nous préparons le terrain. J'ai déjà constitué une équipe composée de personnes qui m'ont accompagné depuis longtemps, mais aussi de nouvelles personnes, il y a des techniciens, des psychologues et sociologues, entre autres. Bon, par respect pour eux, je ne vais pas dévoiler les détails du plan d'action. Je vais d'abord le leur présenter, leur donner l'occasion de réagir et voir ce qu'il faut améliorer. Par la suite, nous irons de l'avant, lorsque ce sera approuvé par le gouvernement, pour le présenter.
Où se situent les responsabilités ?
Depuis des décennies, nous parlons d'un rajeunissement et d'une féminisation des toxicomanes. Il y a environ deux mois, j'ai eu des appels de mamans qui n'en pouvaient plus. Elles étaient dépassées et m'ont dit qu'elles vont tuer leur enfant et se suicider ensuite. Combien d'autres souffrent en silence ? Rejeter les enfants n'est pas une solution, car c'est les jeter dans les bras des trafiquants. Puis, il y a des centres qui doivent absolument revoir leur approche, car on ne peut pas transposer un centre d'un autre pays, avec une autre culture, à Maurice.
Sans entrer dans les détails, quelle sera votre priorité ?
Il faut équiper et sensibiliser ceux qui contrôlent nos frontières. Les experts sont clairs. N'importe quel pays doit faire le maximum pour empêcher la drogue d'entrer sur le territoire. Mais ne nous voilons pas la face. Aucun pays au monde n'a réussi à empêcher la drogue d'entrer à 100 %. Il nous faut de nouvelles stratégies. Mais une partie va quand même entrer.
La deuxième étape est la prévention. Et là, je ne parle pas que des campagnes dans les écoles. Cela doit passer par les parents d'abord. Il ne faut pas les blâmer car ils sont désarmés. Bann zanfan amen trwa rol. Il y a une facette d'eux à la maison, une autre à l'école et il y a celle de la rue. C'est là que notre travail commence. Il faut qu'on sache ce qui s'y passe, qu'on soit au courant des pressions qui existent. Donc, il faut préparer les parents à être parents, il faut aussi que nous travaillons avec les écoles. Il y a aussi le rôle des institutions religieuses. Des fois, les toxicomanes sont pointés du doigt. Ces personnes ont besoin de soutien et d'encouragement au lieu de condamnations. Il faut aussi que les Life Skills soient un sujet examinable.Tant que c'est optionnel, ni les parents ni les élèves ne s'y intéresseront.
Il y a de l'ordre à mettre dans le traitement aussi. C'est un cafouillage. Sans aller dans les détails, j'ai déjà parlé au ministre de la Santé concernant la méthadone. Malgré tous les traitements, il y aura des rechutes. La prévention de la rechute fait partie du programme. Souvent, la personne elle-même est découragée car elle a fait plusieurs rechutes. Il faut alors identifier les raisons qui mènent à cela et impliquer la famille dans le programme.
Vous avez parlé de nouvelles drogues. Elles sont composées de quoi ?
Nous avons déjà tiré la sonnette d'alarme dans le rapport Lam Shang Leen concernant les drogues synthétiques en 2018. Malheureusement, rien a été fait. Ce sont des drogues qui contiennent des produits que nous trouvons en quincaillerie. Imaginez-vous ce que cela fait dans le corps. Le problème ici est que l'intoxication vient donc d'un produit licite car les produits, avant d'être mélangés, sont obtenus légalement. Puis, il y a la question de prix. Lorsqu'une personne n'a plus d'argent et ne peut plus avoir accès à l'héroïne, elle se tourne vers ces substituts.
Dans le rapport Lam Shang Leen, il y avait plusieurs recommandations...
Une des premières choses que nous allons faire est un inventaire de chaque ministère, de chaque département. Partout. Il faut voir ce qui a été été mis en place du rapport et ce qui n'a pas été fait. C'est de cette manière que nous saurons quel sera notre point de départ.
Il y a ceux qui disent qu'il faut légaliser le cannabis pour combattre la drogue. Vous en pensez quoi ?
Je n'ai rien contre ceux qui disent cela, mais je suis triste pour eux car ils n'ont pas mis à jour leurs recherches. Les derniers rapports de l'OMS et des Nations Unies sont claires sur la situation des pays qui ont légalisé le cannabis depuis longtemps. Aujourd'hui, ces décisions sont regrettées, mais il est impossible de revenir en arrière.
Bio express
À 80 ans, Sam Lauthan, travailleur social engagé depuis plusieurs décennies, a un riche parcours. C'est en 1995 qu'il se lance en politique, et est élu dans la circonscription n°3. Il sera également élu dans la même circonscription en 2000 et 2005. Il a occupé le portefeuille de la Sécurité sociale, et a été le seul ministre à ce poste qui avait les prisons sous sa responsabilité. Par la suite, il avait été nommé à la tête de l'ICC en 2016, mais avait été révoqué quelques mois plus tard suite à un différend avec Showkutally Soodhun. Désormais, il a été nommé «Drug Czar» pour chapeauter une instance qui devra combattre la drogue et assainir le pays.