Kenya: Une personne enlevée à Nairobi dénonce la «torture mentale» sur les opposants du pouvoir

Au Kenya, la répression qui vise les critiques du gouvernement inquiète de plus en plus. Au moins 89 personnes ont été enlevées depuis les manifestations anti-gouvernementales qui ont secoué le pays en juin et juillet 2024, selon la Commission kényane des droits humains. Une vingtaine reste toujours portée disparue, mais certains sont libérés après quelques jours.

Le béret rouge que porte Bob Njagi est devenu son signe distinctif : un signe de lutte pour ce Kényan de 47 ans qui a participé aux manifestations anti-gouvernementales l'année dernière. Il en est persuadé : c'est à cause de son militantisme politique qu'il a été kidnappé. Le soir du 19 août dernier, il rentrait en bus de Nairobi vers Kitengela, lorsque quatre hommes masqués l'ont emmené de force. Menotté, les yeux bandés, il a été conduit dans un bâtiment. Il y a passé 32 jours.

« La pièce avait un petit matelas et une couverture. Je recevais à manger une fois par jour. Il y avait un seau pour faire mes besoins, qui était vidé chaque matin. Pendant ces 30 jours, je n'ai pas subi de torture physique, mais la torture était mentale, je ne savais pas quand j'allais sortir, témoigne-t-il au micro de RFI. Jour et nuit, j'étais plongé dans le noir, car la pièce était scellée. Je n'avais personne à qui parler. De temps en temps, en me déposant de la nourriture, mes agresseurs me demandaient : qui finance les manifestations ? Je ne savais pas si j'allais ressortir vivant. »

Bob Njagi a finalement été libéré le 20 septembre. Ce jour-là, le chef de la police était convoqué devant les tribunaux pour fournir des explications sur sa disparition. Bob Njagi accuse les autorités d'être derrière son kidnapping. La police kényane, elle, a démenti toute implication dans les récents enlèvements, à de nombreuses reprises. En décembre, le président William Ruto a promis d'y mettre fin.

« Un président laisse des jeunes être enlevés »

Pour certains au Kenya, ces séries d'enlèvements rappellent des heures plus sombres de l'histoire du pays, notamment le régime autoritaire de Daniel Arap Moi. Il avait succédé à la tête du pays à la mort du premier président Jomo Kenyatta, en 1978, et a dirigé le pays jusqu'en 2002. Son régime a été marqué par une forte répression, des détentions arbitraires et des actes de torture envers ses opposants.

Une période que n'ont pas oublié les Kényans, comme Dauti Kahura. Journaliste, éditorialiste, il suit la politique kényane depuis plus de 20 ans. « La situation actuelle me désole. C'est comme si nous, en tant que nation, avions fait trois pas en avant et que soudainement, nous en faisions quatre en arrière. À l'époque du gouvernement de Daniel Arap Moi, le régime enlevait tous ceux que [Daniel Arap] Moi considérait lui être opposés. Ils étaient emmenés dans le sous-sol d'un bâtiment, la Nyayo house, où ils étaient torturés, explique-t-il. Les enlèvements qui ont lieu en ce moment ravivent le souvenir de ce régime, aussi bien pour ceux qui ont appris ce pan de l'histoire grâce à la mémoire institutionnelle collective, que d'autres qui ont grandi sous ce gouvernement de Moi. Moi, y compris, j'étais jeune certes, étudiant à l'époque, mais je m'en souviens très bien. Nous ne voulons surtout pas retourner aux méthodes de ce régime. »

Je trouve cela d'autant plus tragique et triste de voir ces évènements se dérouler aujourd'hui alors que nous avons une nouvelle constitution, promulguée en 2010, qui garantit aux citoyens la liberté d'expression et la liberté de manifester. Mais malgré cette constitution, un président laisse des jeunes être enlevés, des jeunes qui ont l'âge d'être ses enfants.

AllAfrica publie environ 500 articles par jour provenant de plus de 110 organes de presse et plus de 500 autres institutions et particuliers, représentant une diversité de positions sur tous les sujets. Nous publions aussi bien les informations et opinions de l'opposition que celles du gouvernement et leurs porte-paroles. Les pourvoyeurs d'informations, identifiés sur chaque article, gardent l'entière responsabilité éditoriale de leur production. En effet AllAfrica n'a pas le droit de modifier ou de corriger leurs contenus.

Les articles et documents identifiant AllAfrica comme source sont produits ou commandés par AllAfrica. Pour tous vos commentaires ou questions, contactez-nous ici.