Des colonnes de combattants du M23 et leurs alliés rwandais sont entrés dimanche (16.02.2025) dans le centre de Bukavu, grande ville de l'Est de la RDC.
Le groupe armé anti gouvernemental, M23, a pris fin janvier le contrôle de Goma, capitale provinciale du Nord-Kivu, avant de progresser dans la région voisine du Sud-Kivu. L'Union africaine (UA) a mis en garde ce 16.02.25 contre une "balkanisation" de la République démocratique du Congo suite à l'entrée des combattants du M23 alliés à des troupes rwandaises dans Bukavu. Nous revenons sur la chute de Bukavu avec Jason Stearns, professeur d'études internationales à l'Université Simon Fraser, au Canada.
Jason stearns, on apprend ce 16.02.25 que le M23 contrôle Bukavu quelques semaines après la chute de Goma. Quel regard posez-vous sur ces récents événements ?
Je pense qu'il y a ceux qui pensaient que comme le M23 existe depuis 2021, que ce sera une répétition du CNDP( Congrès national pour la défense du peuple) de 2006 à 2008 ou de la première version du M23, entre 2012 et 2013 c'est à dire une rébellion qui va se terminer par un accord entre le Rwanda et le Congo et ensuite on aura une intégration du M23. Je pense que cette fois-ci, d'abord la chute de Goma et aujourd'hui la chute présumée de Bukavu montre que ce n'est pas une répétition de ces deux rébellions antérieures.
Et on est plutôt dans un scénario du RCD (Rassemblement Congolais pour la Démocratie), la rébellion qui a contrôlé un tiers de la RDC entre 1998 et 2003. Donc, je pense qu'il faut constater cette réalité et il faut que la communauté diplomatique et les bailleurs de fonds réalisent cette situation et agissent en conséquence. C'est à dire qu'il faut présumer que le M23 ne va pas s'arrêter à Bukavu. Ils ont déjà dit qu'ils vont (qu'ils veulent) continuer vers la plaine de la Ruzizi et peut-être éventuellement prendre la ville d'Uvira et aller au-delà. La chute de Bukavu est une preuve de cette nouvelle réalité.
Bukavu semble être tombé sans beaucoup de résistance. Comment est-ce que vous l'expliquez ? Pourquoi selon vous ?
Je pense qu'il a beaucoup été question de dénoncer l'implication du Rwanda et il faut, il faut le faire. Mais on constate de plus en plus qu'une autre cause profonde de cette guerre, c'est la faiblesse de l'armée congolaise qui est beaucoup plus grande, qui a un budget beaucoup plus grand, qui a des alliés comme les Burundais, le soutien des Nations Unies, de l'Afrique du Sud mais ils n'arrivent toutefois pas à résister. Et d'ailleurs, on a l'impression qu'ils jettent de l'huile sur le feu en donnant des camions d'armes à des milices qui s'appellent les Wazalando qui ne sont pas formés. Et cela ne va pas aider, j'ai plutôt l'impression que ça va aggraver la situation, surtout pour la population civile qui doit ensuite subir les abus de ces milices.
Le M23, via Corneille Nangaa, avait annoncé vouloir marcher jusqu'à Kinshasa. Est ce qu'aujourd'hui, cela vous semble plausible ?
Nangaa a très peu de marge de manoeuvre sans le soutien rwandais. Ce sont les troupes rwandaises qui font le gros du combat, qui ont les militaires les mieux formés, mais aussi qui ont accès à des ressources comme les drones qui ont infligé beaucoup de morts côté FARDC et côté Burundais ces dernières semaines. Donc je pense que la question à se poser plutôt est de savoir est ce que le Rwanda peut aller jusqu'à Kinshasa ? Et là, ils agissent sous plusieurs contraintes. En 1996, quand l'AFDL (L'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo) est allée jusqu'à Kinshasa, ils avaient un soutien ougandais, burundais, angolais et même éthiopien. Cette fois-ci, ils ont ce soutien, certainement côté burundais et angolais, mais j'imagine qu'il ne le sera peut être pas côté ougandais.
Seul, le Rwanda aura du mal à faire cela à cause des contraintes. Ils ont plus de la moitié de leur armée maintenant déployés soit au Congo, soit, paradoxalement, dans les opérations de maintien de la paix des Nations Unies, soient des missions bilatérales au Mozambique et en République centrafricaine. Je pense que ces contraintes vont petit à petit s'imposer. Mais la question à se poser est de savoir est ce qu'il faut une grande force pour s'opposer à une armée congolaise qui semble de plus en plus très faible et minée par ses propres faiblesses ?
A ce stade-ci, quelle issue selon vous à cette crise dans l'est de la RDC ?
Je pense qu'il y a encore une opportunité pour la communauté internationale d' agir. Le Rwanda est un petit pays avec une armée très forte, très puissante, mais un pays qui dépend énormément de la largesse internationale et de leur réputation internationale. Le budget du Rwanda est de 4 milliards de dollars chaque année, mais ils reçoivent chaque année 1,3 milliards de dollars en aide humanitaire et de développement. Au-delà de cela, leur économie dépend beaucoup de leur réputation.
C'est pour cela qu'ils ont beaucoup investi dans la publicité au niveau des équipes de foot. Ils essayent de promouvoir la Formule 1 au niveau du Rwanda. L'année passée, ils ont reçu 150 millions de dollars en compensation pour leur déploiement dans les opérations de maintien de la paix au niveau mondial. Ils dépendent de cela et ils sont très vulnérables à la pression internationale. Le fait que la communauté internationale n'ait rien fait est vraiment la cause, je pense, de l'apathie, de l'inaction de certains bailleurs de fonds et de quelques petits intérêts.
Et je pense que là ce qui est le plus important, c'est le déploiement du Rwanda au niveau du Mozambique a fait à ce que la France et le Portugal bloquent au niveau de l'Union européenne, qu'ils ne prennent pas les mesures, peut être des mesures nécessaires ou ils sont très réticents au niveau des États-Unis, je pense. Il y a aussi une sympathie ou même un besoin des forces rwandaises au niveau de l'Afrique, de l'Afrique en général, en RCA surtout.
Je pense que c'est ce qu'on est en train de constater ici. C'est vraiment un échec de la diplomatie internationale par rapport à la RDC. Il serait assez facile à mon avis de faire beaucoup plus et de faire une pression concertée sur le Rwanda au niveau de la diplomatie internationale.