Dans notre interview de la semaine, la spécialiste de la protection des enfants à Unicef RDC, Ramatou Touré, revient sur la situation des enfants en temps de crise et de guerre.
Le bureau des droits de l'Homme de l'Onu a confirmé hier des cas d'exécutions sommaires d'enfants par la milice M23 après l'entrée du M23 dans l'est de la RDC le week-end des 15 et 16 février 2025.
Sur les réseaux sociaux circulaient également des images d'enfants en possession d'armes.
Ramatou Touré est spécialiste de la protection des enfants à Unicef RDC. Elle suit de près la situation des enfants à Goma, Bukavu, Rutshuru, Masisi et ailleurs dans l'est de la RDC, et rappelle aux parties en conflits en RDC, d'épargner les populations civiles, notamment les enfants.
Ecoutez l'interview avec Ramatou Touré (Unicef) ci-contre
Ramatou Touré, vous êtes spécialiste de la protection de l'enfance pour Unicef en République démocratique du Congo. Qu'avez-vous pensé le week-end dernier en voyant des images, des vidéos d'enfants armés à Bukavu ?
Ramatou Touré : Une profonde tristesse. Une profonde tristesse parce que le rôle des enfants n'est pas de porter des armes. Aussi parce que la RDC, et notamment la province du Sud-Kivu, a fait d'énormes progrès dans les années précédentes en ce qui concerne justement le fait de ne pas avoir des enfants qui soient soit utilisés dans des groupes armés, soit recrutés, en tout cas des enfants qui ne portent pas d'armes. Simplement parce que cette cohabitation entre un enfant et des armes est juste impensable !
Quand on pense aux enfants soldats, on pense souvent à des garçons. Mais Unicef a publié des chiffres qui disent que, en RDC, par exemple, entre 30 et 40 pour cent des enfants recrutés sont des filles.
Exactement. Et c'est un point très important parce que lorsqu'on pense à l'enfant soldat, on a l'image de l'enfant justement avec une arme, alors qu'en fait non. Les enfants sont recrutés, ils sont utilisés, c'est-à-dire qu'ils jouent plusieurs rôles généralement au sein des groupes armés. Certains vont combattre, donc on les voit avec des armes, mais beaucoup sont utilisés comme porteurs. Beaucoup sont utilisés pour faire la cuisine.
En ce qui concerne les filles, elles sont souvent utilisées justement soit comme porteuses, soit pour faire la cuisine ou pire, pour certaines d'entre elles, elles sont utilisées pour "être mariées" aux membres du groupe armé. Donc, c'est-à-dire de l'exploitation sexuelle pure et dure.
Le conflit dans l'Est de la RDC et l'histoire des enfants soldats dure depuis 30 ans. Vous pensez que malgré ça, le conflit actuel avec vraiment la prise de contrôle de certaines villes, certaines régions par la milice M23 a encore une plus grave répercussion sur ces enfants-là ?
Ce qu'on voit de toute manière, que ce soit pour cette, je dirais, crise dans la crise ou bien pour avant, c'est qu'à partir du moment où un conflit qui était déjà actif ou latent s'intensifie, on note une augmentation du recrutement du nombre d'enfants parce qu'il y a plus de groupes armés, parce qu'il y a ce besoin justement d'avoir des supplétifs et parce que c'est facile de les prendre.
Le recrutement d'enfants comme soldats est une des violations des droits des enfants. Mais pendant des situations de crise de guerre, comme on les voit actuellement, il y en a d'autres, comme des viols, abus sexuels, etc. Comment est-ce que les familles peuvent arriver à protéger au mieux leurs enfants ?
Pour moi, la première protection, je dirais, ce serait que les familles restent ensemble parce que le premier dilemme des familles, lorsqu'il y a un conflit ou une crise ou une attaque sur leur village, c'est que généralement, malheureusement, les familles sont dispersées. Et c'est pour cela qu'à l'Unicef et avec nos partenaires, on porte une attention particulière sur ce qu'on appelle "les enfants non accompagnés et séparés", puisque, en fait, lorsqu'un enfant est seul, il est dix fois plus vulnérable que lorsqu'il est en famille.
Lorsqu'une fille est seule, elle est, je dirais, même 20 fois plus vulnérable que lorsqu'elle est en famille.
Et je tiens à noter que même lors des événements du week-end dernier [prise de Bukavu par le M23] ou d'il y a deux semaines [prise de Goma] etc., il y avait sur le terrain des partenaires, notamment des travailleurs para-sociaux issus de la communauté, qui s'activaient, même au milieu des conflits, à justement récupérer tel enfant qu'on voyait seul à le placer dans telle famille etc.
Donc la première des protections, c'est la famille.
La seconde, la plupart des parents, lorsqu'on parle aux parents qui ont réussi à ce que leur enfant ne soit pas recruté lorsqu'il y a des recrutements de force, soit ils arrivent à fuir, soit, eux-mêmes vont négocier la libération si leurs enfants sont recrutés.
Mais je pense que chaque parent, en tout cas qui souhaite protéger un enfant, fait comme il peut dans des situations que l'on comprend de crise.
Dans la préparation de cette interview, je lisais justement aussi que dans les deux dernières semaines, vous aviez constaté plus de 1.100 enfants non-accompagnés.
Et il y a encore ces 1.100, c'est justement parce qu'on avait des personnes sur le terrain qui s'en occupaient. La bonne nouvelle quand même sur ces 1.100, c'est que la majeure partie d'entre eux sont actuellement soit en famille temporaire, soit leurs parents ou leurs familles ont été retrouvés.
Mais ça c'est 1.100 que nous on a pu constater. Et donc ça veut dire que, en effet, il y en a d'autres qu'on n'a peut-être pas pu voir.
Il y a des enfants qui, peut-être, échappent désormais à vos soins parce que, après la prise de Goma par le M23. On a vu qu'ils ont obligé des déplacés de quitter les camps de déplacés et de retourner dans les zones contrôlées par le M23. Ces enfants-là, est-ce que vous arrivez encore à les toucher ?
Heureusement, oui. Pourquoi ? Parce que notre système de réponse de protection de l'enfant est basé à base communautaire et on a pu former, on a pu capaciter y compris des membres des communautés de déplacés.
C'est ça qui nous a permis en fait qu'ils accompagnent les enfants lorsqu'il y a eu ce mouvement des sites vers Goma, lorsque les combats ont continué. Et c'est ça qu'ils continuent à faire même lorsque les mouvements de retour ont lieu. Donc actuellement, ils sont là.
De plus, on a établi sur les routes de retour des points d'écoute, on arrive à avoir des psychologues, on arrive à avoir des travailleurs para-sociaux qui là en fait, suivent les enfants et leurs familles. Et plus encore dans les zones de retour, en fait, nos activités n'avaient pas cessé.
Si vous aviez un voeu à formuler pour que la paix dans la région soit rétablie, à qui l'adresseriez-vous ?
De manière très simple, je pense que je m'adresse à toutes les parties au conflit. Le voeu que je souhaiterais, c'est que l'on épargne les populations civiles, et notamment les femmes et les enfants qui sont les plus vulnérables et qui constituent la majeure partie des déplacés dans les camps. Evidemment, c'est un voeu de paix. Je pense qu'on souhaite tous que la paix revienne en RDC et le plus rapidement possible