La situation actuelle en République démocratique du Congo ressemble à celle de la deuxième guerre du Congo (1998-2003) qui a occasionné des millions de morts et impliqué plusieurs pays voisins: le Rwanda l'Ouganda et le Burundi.
L'hebdomadaire panafricain The Continent a déjà tiré la sonnette d'alarme. Une couverture de février 2025 présente une caricature faisant référence à la Conférence de Berlin de 1884, mais au lieu de puissances coloniales se partageant le Congo, elle représente des États régionaux qui se partagent le pays. Kristof Titeca, qui a longuement étudié les dynamiques des conflits en RDC, dévoile les intérêts des principaux acteurs.
La RDC
Le groupe rebelle M23 est entré dans le centre de Bukavu, une ville de 1,3 million d'habitants dans l'est de la RDC, à la mi-février 2025. Cela s'est produit deux semaines après que Goma, une autre ville de la région, soit tombée sous le contrôle des rebelles du M23. Avec le soutien de l'armée rwandaise, le M23 contrôle déjà un vaste territoire dans l'est de la RDC.
La situation actuelle ne semble pas favorable au président de la RDC, Félix Tshisekedi. Plus le M23 avance, plus il met en évidence l'échec de sa politique dans l'est du Congo et affaiblit sa légitimité. Il est notamment absent physiquement d'un sommet dédié à la paix en Tanzanie sur le conflit en début février 2025. Le même mois, il a également annulé les pourparlers de paix à Paris à la dernière minute. Sur les réseaux sociaux, des vidéos circulent montrant des soldats congolais fuyant les villes qu'ils sont censés protéger.
De nombreuses rumeurs circulent à Kinshasa sur les tensions politiques et militaires internes : la crainte d'un coup d'État aurait pu empêcher Tshisekedi de se rendre aux précédentes négociations de paix. La sécurité personnelle du président est assurée par une société de sécurité israélienne, ce qui témoigne du niveau de méfiance envers ses propres services de sécurité.
Dans l'état actuel des choses, Kinshasa semble avoir perdu le contrôle de la situation dans l'est du pays. Tshisekedi a largement placé ses espoirs dans la pression internationale. Pourtant, de nombreux acteurs internationaux ont exprimé leur frustration face à ses décisions erratiques et parfois irréalistes dans la gestion du conflit. Tshisekedi a acheté des armes nouvelles et sophistiquées au lieu de s'attaquer aux faiblesses structurelles de l'armée (telles que la corruption généralisée). Il a également décidé de collaborer avec une multitude de groupes armés sous la bannière « Wazalendo » pour arrêter les forces rebelles.
Rwanda
En théorie, le M23 se bat pour protéger la communauté rwandophone dans l'est du Congo (en particulier la communauté tutsie). Sous l'égide de l'Alliance fleuve Congo, l'aile politique de la rébellion du M23, cet objectif s'est ensuite étendu à un programme national plus large visant à renverser le régime de Kinshasa.
Il n'est pas certain qu'un tel scénario se produise. Ce qui est certain, en revanche, c'est que les intérêts du Rwanda se situent principalement dans l'est du pays. Ces intérêts sont un mélange de facteurs politiques, économiques et sécuritaires, fortement ancrés dans l'histoire.
Le président rwandais Paul Kagame a par le passé publiquement remis en question les frontières entre le Rwanda et le Congo. Ce discours sur le « Grand Rwanda » suggère une extension du Rwanda au-delà des frontières coloniales. L'accès aux ressources joue un rôle dans la présence du Rwanda en RDC, tout comme l'insécurité.
Le Rwanda veut de l'influence et du contrôle. C'est là que le M23 joue un rôle crucial. À Kigali, l'idée d'une « zone tampon » dans l'est de la RDC est ouvertement évoquée. Cela impliquerait qu'un acteur armé, tel que le M23, gouvernerait les provinces de la région orientale afin de protéger les intérêts politiques, sécuritaires et économiques du Rwanda.
Ouganda
Peu après la chute de Goma, l'Ouganda voisin a déployé environ 1 000 soldats supplémentaires au Congo. Lors de conversations privées avec moi, des diplomates estiment que le pays comptait déjà entre 3 000 et 7 000 soldats en RDC. Officiellement, l'Ouganda est là pour combattre un autre groupe rebelle, les Forces démocratiques alliées, qui sont liées à l'État islamique. Cependant, ces troupes nouvellement déployées se sont dirigées vers les positions du M23.
L'Ouganda a toujours joué un rôle ambigu dans le conflit. D'une part, elle souhaite poursuivre les opérations militaires conjointes avec l'armée congolaise contre les Forces démocratiques alliées. D'autre part, elle ne peut pas permettre à son "frère ennemi" historique d'être la seule puissance à exercer une influence sur l'est du Congo et le M23.
Au cours des 30 dernières années, ces deux pays voisins se sont disputés le contrôle de l'est du Congo, coopérant parfois, mais souvent en concurrence directe.
Comme le Rwanda, l'Ouganda exporte principalement de l'or, et comme le Rwanda, l'essentiel de cet or provient de l'est du Congo.
Plusieurs personnalités politiques et militaires ougandaises de premier plan, dont Muhoozi Kainerugaba, chef de l'armée ougandaise et fils du président, ont ouvertement exprimé leur soutien au M23 et remis en question les frontières du Congo. Et peu après l'entrée du M23 à Bukavu, Muhoozi a annoncé - à nouveau - une expansion de l'opération ougandaise en RDC, menaçant d'attaquer la ville de Bunia dans la province orientale de l'Ituri.
Dans le contexte actuel, le mouvement des troupes ougandaises pourrait être considéré comme un signal clair envoyé au Rwanda : c'est notre zone d'influence. Ce faisant, le conflit commence à ressembler de manière inquiétante à la deuxième guerre du Congo lorsque l'Ouganda et le Rwanda se sont partagé le territoire congolais. L'Ouganda revendique l'Ituri, tandis que le Rwanda revendique les provinces du Nord et du Sud-Kivu.
Burundi
Les troupes burundaises sont présentes au Congo à la demande de Kinshasa. Pendant ce temps, les tensions entre le Burundi et le Rwanda s'intensifient. Des rapports de l'ONU indiquent que le Burundi et le Rwanda ont tous deux repris leur soutien à des groupes rebelles au gouvernement respectifs dans l'est du Congo. Ces rapports affirment également que l'armée rwandaise a donné des ordres directs de cibler les soldats burundais dans la région.
Le président burundais Évariste Ndayishimiye a mis en garde contre une escalade de la guerre régionale et a même laissé entendre que le Rwanda envisageait d'envahir le Burundi.
Avec l'entrée du M23 à Bukavu, le groupe se rapproche de plus en plus de la frontière burundaise, ce qui accroît les craintes du pays d'une escalade régionale.
Communauté internationale
Le risque d'une escalade du conflit en RDC met en évdence plusieurs enjeux. Bien évidement, toute tentative de résolution doit impliquer les pays de la région concernés.
De nombreux analystes s'accordent à dire qu'une telle pression, notamment la réduction de l'aide de 240 millions de dollars US, a permis en grande partie de mettre fin au conflit du M23 en 2012-2023.
Bien que des acteurs tels que l'Union européenne et les États-Unis aient fermement condamné le Rwanda, peu d'actions concrètes ont suivi. Jusqu'à présent, l'Allemagne a suspendu les négociations sur l'aide au Rwanda, et le Royaume-Uni a menacé de réduire l'aide. À part cela, aucune mesure n'a été prise, marquant un contraste frappant avec la période 2012-2013.
Compte tenu de la politique « America First » du président américain Donald Trump, les yeux sont rivés sur l'Union européenne pour qu'elle agisse. Cependant, les divergences internes rendent la tâche difficile jusqu'à présent. La Belgique plaide pour des sanctions, tandis que la France s'y oppose. Derrière cette posture se cache des intérêts nationaux : les troupes rwandaises de maintien de la paix sont essentielles au Mozambique, où un important projet gazier de TotalEnergies - d'une valeur de 20 milliards de dollars US - est suspendu en raison d'une insurrection en cours.
Prochaines étapes
Les faiblesses structurelles du gouvernement Tshisekedi ne devraient pas servir d'excuse aux acteurs internationaux pour ne pas faire pression sur le Rwanda. Pour l'instant, il existe un risque majeur que la violence dans l'est de la RDC s'étende à la région.
En outre, il y a déjà une crise humanitaire majeure. Depuis le début de l'année seulement, plus de 700 000 personnes en RDC ont été déplacées par le conflit du M23. L'Organisation mondiale de la santé a alerté sur l'émergence d'un véritable «cauchemar de santé publique». Depuis la chute de Goma, le M23 a ordonné illégalement à des dizaines de milliers de personnes déplacées de quitter les camps autour de la ville. Pour éviter une crise humanitaire régionale plus importante, des mesures s'imposent de toute urgence.
Kristof Titeca, Professor in International Development, University of Antwerp