Coups de poing dans la chambre, coups de fil qui dérapent, coups de sabre dans les rues, coups de gueule et buzz sur les réseaux sociaux, coups de trop qui dégénèrent... La violence, sous toutes ses formes, semble se propager dans la société. S'agit-il d'un fait isolé ou d'une tendance mondiale ? À Maurice comme ailleurs, l'escalade de la violence préoccupe et les chiffres ne sont pas rassurants. Les tensions s'exacerbent et les experts s'interrogent : assistons-nous à une simple vague ou à une véritable marée de violence ? Zoom sur un phénomène en pleine ébullition.
Selon le classement de Numbeo, base de données mondiale regroupant des informations sur la qualité de vie et le taux de criminalité notamment, le Venezuela reste le pays le plus criminogène au monde en 2024 avec un indice de 81,15 (sur 146 pays), suivi de près par la PapouasieNouvelle-Guinée (79,73), l'Afghanistan (78,33) et Haïti (77,88). L'Afrique du Sud occupe la cinquième place (75,38). L'île Maurice, quant à elle, occupe la 61e place avec un indice de 47,78.
En 2023, La Réunion a enregistré 30 836 crimes pour une population de 871 157 habitants. Le département se classe 59e parmi les zones les plus dangereuses de France. Les chiffres sont préoccupants : une hausse de 16,5 % des délits par rapport à 2022, dont 12 % d'agressions physiques et une augmentation de 77 % des cas de violences sexuelles. Les violences conjugales connaissent aussi une forte progression (en hausse de 17 %) ; chaque jour en moyenne, 12 femmes portent plainte à la gendarmerie.
La France, de son côté, a fait état d'une explosion des faits criminels en 2024, avec 1 186 homicides (y compris les coups et blessures volontaires suivis de mort), 337 936 coups et blessures volontaires sur des personnes de 15 ans ou plus et 123 210 violences sexuelles. Ces chiffres mettent en lumière une recrudescence des faits criminels, soulevant des interrogations sur les moyens de lutte contre cette violence omniprésente.
Les Seychelles, quant à eux, ont adopté, le 18 septembre 2024, un amendement historique du Code pénal. Cette loi reconnaît enfin les crimes haineux dans le système judiciaire et prévoit une sanction plus sévère lorsque les crimes sont motivés par la haine envers des caractéristiques protégées, telles que l'orientation sexuelle, l'identité de genre, la croyance religieuse, le handicap, l'affiliation politique ou le statut VIH/sida.
Au-delà des cas qui sont exhibés sur les réseaux, les chiffres sont clairs dans le cas de Maurice. Selon Statistics Mauritius, en 2003, 12 805 cas d'agressions avaient été rapportés. Dix ans plus tard, le chiffre était passé à 12 761. En 2022, il y avait 13 922. Selon les derniers chiffres disponibles, soit ceux de 2023, le nombre avait explosé à 17 772. Concernant les violences sexuelles, en 2015, le pays comptait 462 cas rapportés. En 2021, cela avait baissé à 350, mais en 2023, le chiffre était à nouveau élevé, passant à 688.
Au niveau des violences domestiques, en 2014, il y avait 310 cas rapportés. En 2021, le chiffre était de 1 145. En 2022, il était passé à 1 420 et en 2023, il était de 1 627. Il est intéressant de noter que selon les chiffres sous «Cases admitted to prison according to UN Classification of Crimes for statistical purposes», il y a eu exactement zéro emprisonnement entre 2015 et 2021 pour les cas de violences domestiques. Ces chiffres du bureau des statistiques sont influencés par plusieurs facteurs, notamment le nombre de personnes qui rapportent les faits et les cas non rapportés, mais toujours est-il que la tendance est en hausse.
D'après le rapport Crime, Justice and Security Statistics - Year 2023 de Statistics Mauritius, entre 2022 et 2023, le taux de criminalité a augmenté de 1,6 %, passant de 57 846 à 58 794. Parmi les faits marquants de 2023, on compte 26 homicides intentionnels, dont 60 % se sont produits dans le cadre familial.
Les agressions, graves et mineures, ont bondi de 18,6 %, atteignant 9 711 cas. Le taux d'agressions pour 100 000 habitants est ainsi passé de 648,8 en 2022 à 770,2 en 2023. Parmi les victimes de violences sexuelles, 91,7 % étaient des femmes et 66,6 % des agressions ont eu lieu dans des foyers privés. Une triste réalité s'impose : les violences à caractère domestique restent prédominantes.
Depuis le début de l'année, plusieurs cas de violences sur les personnes ont explosé sur les réseaux. Au début du mois de février, une vidéo de Tacha Lamour se faisant lyncher a été largement diffusée. Elle a par la suite été hospitalisée. Peu après, une autre vidéo de même nature, concernant une autre personne, a aussi circulé. Il y a eu aussi les vidéos d'agents du Metro Express subissant le même sort de la part de voyageurs indisciplinés.
Le problème de bullying dans les écoles a, lui, mené au suicide d'une étudiante. Le phénomène n'est pas nouveau. Depuis des années, des vidéos similaires tournent. Entre les collégiens qui se battent sur la gare, les enfants qui se sont fait tabasser à Terre-Rouge, l'affaire Telegram qui n'a jamais connu de suite et les bagarres dans les écoles, la violence s'est implantée partout dans la société.
Des solutions ?
Le psychiatre américain James Gilligan, expert en criminalité, a étudié les prisons et les hôpitaux psychiatriques pénitentiaires comme de véritables «laboratoires» afin de comprendre les origines de la violence. Ses recherches ont mis en lumière plusieurs facteurs déterminants : la honte, la quête de reconnaissance, l'estime de soi fragilisée et les traumatismes de l'enfance.
Selon Gilligan, la honte trouve souvent ses racines dans des expériences traumatisantes vécues durant l'enfance, telles que des abus physiques, émotionnels ou sexuels. L'accumulation de ces blessures non résolues peut mener à des comportements violents à l'âge adulte. D'ailleurs, les individus violents se sentent souvent privés de respect. Un autre facteur clé est le manque d'estime de soi. Les personnes violentes manquent souvent de respect envers elles-mêmes et deviennent dans la foulée excessivement dépendantes du respect des autres. Selon Gilligan, la violence est ainsi un moyen de contraindre les autres à les «respecter», principalement par la peur.
Pour lutter efficacement contre ce phénomène, plusieurs solutions sont envisageables :
Éducation et prévention : Intégrer dans les écoles, les prisons et les entreprises des programmes axés sur l'empathie et la gestion de conflits. Développer des initiatives de prévention dès le plus jeune âge.
«Ombudsperson for Victims of Violence» : Proposer un Ombudsperson for Victims of Violence afin d'offrir une protection et une représentation spécifique aux personnes victimes de violences (domestiques, conjugales, institutionnelles, etc.). Une telle institution pourrait offrir un cadre neutre pour recueillir les plaintes et accompagner les victimes dans leurs démarches judiciaires et administratives. Elle pourrait aussi travailler de concert avec les institutions concernées pour améliorer les politiques publiques de protection et de prévention. Et dans la foulée, sensibiliser la population aux violences et leurs conséquences.
Soutien psychologique : Mettre en place des dispositifs d'accompagnement, notamment pour les enfants et les adolescents, afin de leur permettre de construire une identité positive et résiliente. Sensibiliser les parents, enseignants et travailleurs sociaux aux signes de maltraitance et aux actions à entreprendre.
Valorisation : Promouvoir le respect et la dignité de chaque individu, indépendamment de son statut social ou de son passé, à travers des campagnes de sensibilisation et des politiques d'inclusion. Favoriser un accès équitable à l'éducation et aux soins psychologiques pour limiter les frustrations menant à la violence.
Expression créative : Encourager l'art, le sport ou l'engagement communautaire comme moyens d'expression non violents, permettant aux individus d'évacuer leurs tensions de manière constructive.
Si James Gilligan privilégie une approche psychologique de nos jours, le sociologue français Émile Durkheim adoptait, lui, une perspective sociologique du crime aux 19e et début du 20e siècle. Selon lui, «le crime est normal, parce qu'une société qui en serait exempte est tout à fait impossible ; telle est la première évidence paradoxale que fait surgir la réflexion sociologique». Il rappelait ainsi que le crime était une réalité inhérente à toute société. Toutefois, il insistait sur la nécessité de programmes d'accompagnement pour les victimes ainsi que sur l'importance de la réhabilitation des délinquants pour favoriser leur réintégration.
La violence est un fléau mondial et Maurice n'échappe pas à cette tendance. Plutôt que d'espérer une société sans crime, l'enjeu est d'en atténuer les ravages en apportant un réel soutien aux victimes et en offrant aux délinquants des perspectives de réinsertion. Une approche plus compréhensive et préventive pourrait contribuer à enrayer cette spirale de violence. Une société qui se contente de punir sans comprendre risque surtout de perpétuer les maux qu'elle cherche à éradiquer.