KINSHASA — Une soixantaine de personnes sont mortes depuis le début de l'année dans les localités de Bolomba et Basankusu, deux des 18 zones de santé de la province de l'Équateur en République démocratique du Congo (RDC), après avoir contracté une mystérieuse maladie.
Elle affiche un taux global de létalité de 12,2 %, particulièrement élevé dans la zone de santé de Bolomba (66,7 %) contre 10,7 % dans la zone de santé de Basankusu.
Près de deux mois après son apparition, la maladie à l'origine de ces décès n'a pas encore été formellement identifiée.
"On ne peut pas se réjouir parce que ce n'est pas Ebola ni la fièvre Marburg. Ebola est très ravageur, mais on connaît Ebola, on est mieux outillés aujourd'hui en RDC pour parer à Ebola. Mais si c'est une nouvelle maladie, on ne peut pas savoir à quoi s'attendre"Éric Kassamba, université de Lubumbashi
« Notre évaluation actuelle de la situation est qu'il s'agit d'un groupe de décès inhabituels assez limité dans le temps et dans l'espace », précisait Michael Ryan, directeur exécutif du Programme des urgences sanitaires à l'OMS
Cependant, plusieurs hypothèses sont avancées par les autorités sanitaires locales. S'exprimant lors d'une conférence de presse le 28 février, Michael Ryan affirmait que « cela ressemble beaucoup plus à un événement de type toxique, que ce soit d'un point de vue biologique, comme la méningite, ou d'une exposition à des produits chimiques. »
Ajoutant qu'il existait de très fortes présomptions d'empoisonnement lié à une source d'eau dans la zone concernée.
Interrogée par SciDev.Net, Nicole Kumbolani, cheffe de la division de la santé dans la province de l'Equateur résume en disant que « nous avions d'abord quatre hypothèses : le paludisme, l'intoxication (eau ou aliment), la grippe et la fièvre typhoïde. Mais à ce jour [03 mars 2025], il ne reste plus que deux hypothèses : le paludisme et l'intoxication », confie à SciDev.Net, qui affirme que les investigations se poursuivent.
Selon ses explications, sur la période du 21 au 23 février, 70 sur 74 échantillons qui ont été soumis au test paludisme étaient positifs. « Cela nous rapproche de la thèse de paludisme, mais le verdict n'est pas définitif », insiste-t-elle.
Dans une note publiée le 3 mars sur l'évolution de la maladie, l'OMS affirme qu'il pourrait s'agir d'un « empoisonnement chimique ou un groupe de méningites bactériennes à déclenchement rapide, sur fond de paludisme et d'autres maladies infectieuses endémiques dans la région ».
« La cause définitive de la maladie reste indéterminée (...). Des enquêtes sur le terrain et des analyses de laboratoire supplémentaires sont en cours, notamment l'analyse du liquide céphalo-rachidien et des analyses toxicologiques d'échantillons environnementaux, y compris d'eau et d'autres échantillons, afin d'explorer les causes chimiques », peut-on lire.
Ni Ebola, ni Marburg
Les symptômes présentés par les victimes ont poussé les autorités sanitaires à soupçonner dans un premier temps le virus Ebola ou Marburg.
« Les malades qu'on reçoit présentent des manifestations cliniques similaires à celles d'Ebola : fièvre, frissons, céphalées, vertiges, fatigue, perte d'appétit, vomissements, myalgies, courbatures, transpiration, dyspnée, agitation, diarrhée, etc. Certes, un malade ne va pas présenter tous ces signes-là, mais il en présente au moins trois ou quatre », déclare Alexis Bokaya Bapomba, médecin chef de la zone de santé de Basankusu.
Il précise que d'autres signes spécifiques sont observés chez les enfants entre 0 et 59 mois : « pleurs incessants, soif intense, des nausées, des douleurs abdominales ».
« On a soupçonné que ça pouvait être Ebola ou Marburg. Avant que la maladie ne soit découverte ici (à Basankusu, ndlr) ; elle avait tué des personnes à Bolomba. Les victimes étaient des enfants de moins de cinq ans qui avaient mangé de la viande de chauves-souris. Après 48 heures, ils avaient succombé », ajoute-t-il.
Cependant, les analyses des échantillons ont permis d'exclure la maladie à virus Ebola ou Marburg, confie Nsengi Ntamabyaliro, enseignant-chercheur à l'Université de Kinshasa et expert à l'Institut national de recherches biomédicales (INRB).
« Les premiers échantillons de Basankusu sont parvenus à l'INRB le 11 février, 21 jours après ceux de Bolamba. Les résultats des analyses étaient identiques. Et dans les deux cas, ils étaient négatifs à Ebola et à Marburg. Les deux pistes sont toujours examinées dans la région, en raison de l'histoire récente des épidémies là-bas », soutient l'expert, qui précise que « les analyses pratiques continuent et nous continuons à prélever de nouveaux échantillons pour éventuellement affiner les tests ».
Inquiétudes
L'exclusion des virus Ebola et Marburg soulève néanmoins des inquiétudes auprès de certains chercheurs. « On ne peut pas se réjouir parce que ce n'est pas Ebola ni la fièvre Marburg. Ebola est très ravageur, mais on connaît Ebola, on est mieux outillés aujourd'hui en RDC pour parer à Ebola. Mais si c'est une nouvelle maladie, on ne peut pas savoir à quoi s'attendre », s'inquiète Éric Kassamba, microbiologiste et enseignant-chercheur à l'université de Lubumbashi.
Sur le terrain, l'OMS, dans son bulletin publié le 16 février dernier, affirme que « les établissements de santé locaux à Basankusu et Ekoto sont submergés, ne pouvant fournir des services cliniques qu'à certains des patients. Des salles d'isolement ont été mises en place dans les centres de santé de Basankusu et Ekoto pour accueillir les personnes touchées ».
L'organisation prône dès lors des « mesures de prévention et de contrôle des infections qui comprennent la décontamination des salles d'isolement et l'installation de stations de lavage des mains sur les sites d'isolement pour réduire le risque de transmission ».
Des investigations approfondies ont permis d'améliorer la prise en charge des malades ces derniers jours, révèle Nicole Kumbolani. « On diagnostique toujours un nombre important de cas, mais la réponse est plus rapide et plus efficace. Par exemple, du 21 au 23 février, on a investigué 100 % des 171 alertes qu'on a reçues. Un seul décès a été enregistré et c'était un décès communautaire », indique-t-elle.
Carence d'intrants médicaux
Toutefois, la lutte contre cette maladie jusqu'ici méconnue rencontre beaucoup de difficultés telles que la carence d'intrants médicaux, un déplacement massif des populations fuyant « un phénomène inhabituel ».
« Il y a aussi un défi nutritionnel avec les enfants parce que le gouvernement ne prend pas encore en charge l'alimentation de tous ces patients qui sont dans les hôpitaux. Il y a risque d'une épidémie de malnutrition chez les enfants des familles déplacées », note Alexis Bokaya Bapomba.
Nicole Kumbolani estime que tous les établissements de soins au sein de la zone de santé doivent être dotés de médicaments et de kits PCI (prévention et contrôle des infections).
« Nous devons activer et briefer les hygiénistes pour assurer la décontamination autour des ménages des malades, renforcer les activités de surveillance et de communication dans le village de Bomate et ses environs, ayant accueilli des déplacés », soutient-elle.
Au regard de la propagation rapide de la maladie, Eric Kassamba soutient qu'il faut améliorer le système de signalement. « La maladie a commencé le 10 janvier à Bolamba et les premiers décès ont été enregistrés le 13 janvier. Mais les autorités ont été alertées le 21 janvier, soit au 12e jour de la maladie ».
Pareil dans le deuxième foyer de la maladie à Basankusu. Les autorités ont été alertées au 11e jour, le 9 février alors que la maladie avait commencé le 30 janvier.
« Pourquoi attendre un tel délai sachant que le territoire voisin combat déjà une maladie inconnue ? », s'interroge l'universitaire.
Décentraliser le système de santé
Pour lui, il faut aussi améliorer et décentraliser le système de santé. Il précise que les zones de santé qui ne sont pas encore touchées doivent être outillées et les mêmes dispositifs mis en place à Bolomba et Basankusu doivent être répliqués dans le reste de la province.
« Évidemment, c'est plus couteux, mais c'est efficace. Sinon, on risque d'être surpris, la maladie sera déjà dans des agglomérations comme Mbandaka ou Kinshasa », conclut cette source qui appelle également à implanter des antennes de l'INRB dans chacune des 26 provinces au lieu qu'elles dépendent toutes de Kinshasa, la capitale.
Wellcome, une fondation caritative en médecine dont le siège est en Grande-Bretagne, exprime sa préoccupation à travers Titus Divala, son responsable des épidémies et de l'épidémiologie.
« Le début de l'année 2025 n'apporte aucun répit aux épidémies mondiales. Hier (27 février, NDLR), l'OMS a confirmé que le Mpox restait une "urgence de santé publique de portée internationale", l'Ouganda est confronté à une inquiétante épidémie d'ébolavirus soudanais et les hôpitaux du Royaume-Uni et des États-Unis enregistrent un nombre record de cas de norovirus. Et maintenant, la RDC est confrontée à une épidémie d'une maladie inconnue tout en gérant de multiples crises en cours », dit-il.
Pour lui, « cette épidémie souligne la nécessité de se préparer aux situations d'urgence avant qu'elles ne surviennent et de renforcer la capacité de réaction du pays en investissant dans l'expertise locale et les capacités de recherche par le biais d'infrastructures et de financements durables ».
Selon les dernières informations, la maladie aurait déjà contaminé un milliers de cas et la moitié des soixantaine de morts enregistrées est décédée dans les 48 heures qui ont suivi l'apparition des premiers symptômes.