Dans la plupart des pays du monde, les pays à population religieuse sont plus susceptibles d'avoir des gouvernements qui soutiennent la religion à travers des lois et de politiques. Ces lois peuvent inclure l'éducation religieuse, le financement des institutions religieuses et des lois fondées sur des valeurs religieuses. Ce n'est pas le cas en Afrique subsaharienne.
Dans une récente publication scientifique, David Jeffery-Schwikkard, qui étudie la laïcité, affirme que les pays d'Afrique subsaharienne apportent peu de soutien étatique à la religion, même si leurs populations sont parmi les plus pieuses au monde.
Ces résultats remettent en question de nombreuses idées fausses courantes sur le rôle de la religion en politique. The Conversation Africa lui a posé quelques questions.
Quelle est la place de la religion dans les pays d'Afrique subsaharienne?
Une population est normalement considérée comme très religieuse si la plupart des gens disent que la religion est « très importante » dans leur vie ou déclarent assister à des services religieux au moins une fois par semaine.
Dans les enquêtes menées entre 2007 et 2018 par le Pew Research Centre, 46 % des personnes interrogées en dehors de l'Afrique subsaharienne ont déclaré que la religion était très importante dans leur vie.
En Afrique subsaharienne, la moyenne est presque deux fois plus élevée : 89 %. L'Éthiopie et le Sénégal font partie des pays les plus religieux au monde. Dans les deux cas, 98 % des personnes interrogées ont déclaré que la religion était très importante. Parmi les 20 pays d'Afrique subsaharienne pour lesquels Pew dispose de données, le Botswana (71 %) et l'Afrique du Sud (75 %) sont les moins religieux. Pourtant, même ces pays sont bien au-dessus de la moyenne mondiale.
Qu'est-ce que cela implique sur la gouvernance des États ?
En général, les pays dont la population est religieuse ont des États qui soutiennent beaucoup la religion. C'est ce à quoi on peut s'attendre, car les citoyens religieux veulent probablement que l'État soutienne davantage leur religion. Cependant, cela conduit souvent les commentateurs à supposer que les citoyens religieux constituent une menace pour les États laïques.
Cette hypothèse influence la façon dont les analystes interprètent les manifestations publiques de la religion. Un exemple en est l'Afrique du Sud, où beaucoup de gens ont supposé que l'ancien président Jacob Zuma, qui utilisait souvent une rhétorique religieuse, allait adopter des lois et des politiques religieuses.
Ces hypothèses sont particulièrement courantes dans les analyses de la religion et de la politique en Afrique. Pourtant, s'il est facile d'identifier les lois ou les politiques religieuses en Afrique subsaharienne, on peut facilement ignorer le fait que l'existence de certaines de ces lois n'est pas inhabituelle à l'échelle mondiale. En d'autres termes, le fait d'avoir des lois et des politiques favorables à la religion ne signifie pas nécessairement que les pays sont gouvernés par des croyances religieuses.
Ainsi, on pourrait se concentrer sur le soutien du Ghana au Hajj, tout en oubliant que le Royaume-Uni réserve des sièges à la Chambre des Lords pour l'Église d'Angleterre, et que l'Allemagne perçoit des impôts au nom des églises. Pourtant, le Royaume-Uni et l'Allemagne sont rarement considérés comme des États religieux. Un certain niveau de soutien de l'État à la religion ne signifie pas qu'un pays est régi par des croyances religieuses.
Pourquoi les pays africains sont-ils différents ?
Contrairement à la tendance mondiale, les pays d'Afrique subsaharienne apportent très peu de soutien public à la religion, moins de la moitié la moyenne mondiale. C'est ce que mesure le Projet religion et État de l'université Bar Ilan, en se basant sur le nombre de différents types de soutien apportés, comme la réservation de postes politiques aux chefs religieux ou le financement d'écoles religieuses.
L'une des explications les plus courantes du faible soutien à la religion est que les États d'Afrique subsaharienne n'ont pas les capacités financières et administratives nécessaires.
Selon cet argument,ces Etats apporteraient davantage de soutien s'ils avaient plus d'argent et s'ils étaient mieux à même de mettre en oeuvre leurs politiques.
Cependant, les données de la Banque mondiale montrent que ce n'est pas le cas : dans l'ensemble, il n'y a pas de relation entre la capacité financière de l'État et le soutien à la religion.
Une explication plus plausible est que les acteurs religieux de ces pays manquent souvent d'autorité morale. L'autorité morale, telle que théorisée par la politologue américaine Anna Grzymala-Busse, désigne le degré par lequel les citoyens perçoivent les acteurs religieux comme des défenseurs de la nation.
Plusieurs facteurs favorisent l'autorité morale. Il s'agit notamment de savoir si les gens partagent la même appartenance ethnique ou religieuse, si les acteurs religieux ont le contrôle de l'éducation et s'ils se sont rangés du « bon côté » dans les moments de crise nationale.
Pouvez-vous donner un exemple ?
Prenons le Rwanda et le Mozambique.
Jusqu'en 1994, l'Église catholique romaine au Rwanda jouissait d'un prestige moral. L'Église contrôlait une part importante du système éducatif et avait soutenu les acteurs non étatiques confessionnels dans certains pays africains et avait soutenu le mouvement indépendantiste contre la Belgique. La plupart des Rwandais étaient catholiques. Et en effet, l'Église a maintenu une relation très étroite avec l'État après l'indépendance en 1962.
Pourtant, cette autorité morale a été perdue lorsque l'Église a été perçue comme complice du génocide rwandais en 1994, qui a fait environ 800 000 morts. Aujourd'hui, le gouvernement garde une distance prudente avec la religion, bien que 90 % des Rwandais déclarent que la religion est très importante dans leur vie.
Le Mozambique offre un contraste avec le Rwanda, mais avec des résultats similaires. L'Église catholique romaine a dénoncé la lutte du mouvement de libération contre le Portugal. Le pays n'a pas de majorité religieuse ou ethnique. À l'indépendance, l'éducation formelle était rare.
Il y avait donc peu de raisons pour que les Mozambicains considèrent l'Église comme une défenseuse de la nation. Au contraire, les institutions religieuses ont été persécutées après l'indépendance. Comme le Rwanda, le Mozambique apporte très peu de soutien étatique à la religion, bien qu'il soit l'un des pays les plus religieux au monde.
Ces facteurs - diversité religieuse, inscription limitée dans les écoles contrôlées par des organisations religieuses et moments de crise politique au cours desquels ces organisations peuvent commettre des erreurs - font qu'il est moins probable que les acteurs religieux soient considérés par les citoyens comme faisant partie intégrante de l'identité nationale. Et bien qu'il existe une grande diversité en Afrique subsaharienne, des influences historiques communes, telles que les héritages du colonialisme, peuvent rendre ces facteurs plus probables.
Que pouvons-nous en tirer ?
Il est clair que nous devons être plus prudents dans la manière dont nous interprétons le rôle de la religion en politique. S'il peut être tentant de considérer la ferveur religieuse comme une menace pour la démocratie laïque, ce n'est pas nécessairement le cas. Un homme politique peut utiliser une rhétorique religieuse, mais cela ne signifie pas que cela se traduira par des lois religieuses. De même, le soutien de l'État à la religion n'est pas inhabituel dans le monde. Les analyses des politiques individuelles doivent garder cela à l'esprit.
Cette recherche bouleverse également la façon dont beaucoup de gens conçoivent la laïcité. En Europe, la société devient de moins en moins attachée à la religion. Par conséquent, les États européens sont présentés comme des modèles de laïcité. Cependant, c'est l'inverse.
Bien que leurs électorats soient moins religieux, les États européens sont plus impliqués dans la religion que ceux d'Afrique subsaharienne. Si la laïcité est la séparation de la religion et de l'État, les pays d'Afrique subsaharienne qui maintiennent un État laïque malgré une religiosité marquée - en sont en fait l'exemple.
David Jeffery-Schwikkard, PhD Candidate (Theology and Religious Studies), King's College London