Le recensement des éléphants est un travail difficile et risqué. Des biologistes dévoués accomplissent cette tâche difficile à travers l'Afrique depuis des décennies.
Les recensements systématiques ont commencé à la fin des années 1960, mais ils ont été sporadiques, car l'accès aux zones reculées nécessite une planification logistique, un financement et des équipes bien formées. Les recensements peuvent facilement être perturbés par des troubles civils ou par le manque d'équipes de recensement disponibles. Par conséquent, les informations sur le nombre d'éléphants en Afrique sont disparates. Même pour une seule population, les efforts de recensement et la couverture peuvent changer au fil des ans.
Néanmoins, les efforts des gouvernements et des organisations de conservation pour dénombrer les éléphants ont permis de constituer une base de données remarquable, détenue par l'Union internationale pour la conservation de la nature et son Groupe de spécialistes des éléphants d'Afrique. La complexité de ces données a longtemps rendu difficile l'analyse des tendances de la population d'éléphants jusqu'ici.
Dans une nouvelle étude, mes collègues et moi avons rassemblé des données provenant de 1 325 enquêtes sur les populations d'éléphants - tout ce que nous avons pu trouver - afin d'évaluer l'évolution du nombre d'éléphants en Afrique au cours des 50 dernières années environ.
Cette recherche fournit l'évaluation la plus complète des tendances des deux espèces d'éléphants en Afrique : l'éléphant de forêt et l'éléphant de savane.
Les résultats ont été édifiants. Les éléphants d'Afrique ont subi de graves pertes à l'époque contemporaine (entre 1964 et 2016). L'éléphant de savane a vu sa population chuter de 70 % en moyenne. Les populations d'éléphants de forêt ont diminué de plus de 90 %. Bien que le déclin des espèces ait été largement reconnu, l'explication de l'ampleur globale du phénomène et ses variations régionales faisait défaut jusqu'à présent.
Nous avons constaté qu'au cours des 50 dernières années, la répartition des éléphants en Afrique a changé. La taille des populations a également évolué. Les trois quarts des populations actuelles d'éléphants de forêt et de savane comptent moins de 500 individus.
Notre équipe d'experts en conservation des éléphants d'Afrique et en analyse des données d'enquête a mis en évidence les zones les plus menacées de perdre leurs populations d'éléphants. Nous avons également analysé pour chaque région les réussites et les échecs en matière de conservation d'éléphants. Les recherches soulignent un constat clair : maintenir les populations actuelles d'éléphants, et a fortiori inverser leur déclin, exigent de nouvelles approches et des solutions innovantes en matière de conservation.
Quantifier l'ampleur du déclin
La diminution du nombre d'éléphants n'est pas surprenante, compte tenu du niveau de braconnage de l'ivoire et du degré de croissance de la population humaine et de la modification du paysage qui en résulte à travers l'Afrique au cours des 60 dernières années. Et ce massacre continue. Des centaines d'éléphants sont tués illégalement chaque année, selon le programme de surveillance du massacre illégal des éléphants.
L'ampleur du déclin justifiait le classement des éléphants de savane parmi les espèces en danger et des éléphants de forêt parmi les espèces en danger critique d'extinction.
Mais cette classification a suscité des débats controversés. Dans certains endroits, la croissance des populations d'éléphants crée des défis de gestion, comme dans et autour du parc national de Chobe, au Botswana.
Ainsi, la réalité sur certains sites ne correspond pas à la tendance globale moyenne des populations à travers le continent. Notre analyse a été structurée de manière à donner un aperçu de la diversité des tendances. Nous l'avons également fait pour les deux espèces séparément.
Nous avons pu déterminer les populations en déclin et celles en progression ainsi que les variations en fonction des populations.
Ce que nous avons découvert
Nous avons constaté que l'Afrique australe connaissait la plus grande diversité de tendances.
La moitié des sites étaient stables ou en augmentation au cours de la période étudiée. Les populations du Botswana et du Zimbabwe, en particulier, ont connu une croissance soutenue et représentent désormais la majorité des éléphants de savane en Afrique.
Les populations en augmentation étaient rares dans les autres régions. Toutes les populations d'éléphants de savane du nord de l'Afrique subsaharienne ont connu un déclin. De nombreuses populations des savanes septentrionales du Tchad, du Nigeria, du Cameroun et du Mali ont disparu. La plupart des populations restantes dans la région sont gravement menacées. Seules des populations résiduelles subsistent dans les savanes du nord, généralement isolées les unes des autres.
L'Afrique de l'Est et l'Afrique centrale, où vivaient autrefois la plupart des éléphants, ont subi de lourdes pertes au cours de cette période en raison du braconnage pour l'ivoire.
Peut-on inverser la tendance ?
Il est difficile d'inverser la tendance à la baisse. Le braconnage pour l'ivoire a entraîné des déclins à grande échelle sur des périodes relativement courtes en Afrique. Il s'est avéré difficile d'endiguer le commerce de l'ivoire, car cela nécessite une reconnaissance et une action au niveau mondial.
À long terme, la réduction de l'aire de répartition des éléphants entraîne la disparition des populations résiduelles. Une fois ces populations éteintes,la protection de la zone peut s'affaiblir, accélérant ainsi les transformations du paysage.
Des efforts concertés doivent être déployés pour ralentir l'érosion des terres sauvages restantes.
Malgré le déclin généralisé, de nombreuses populations d'éléphants demeurent stables ou en croissance, y compris dans des zones où elles sont peu nombreuses. Ces succès offrent des pistes pour inverser la tendance : lutter contre la destruction des habitats, la conversion des paysages et le braconnage de l'ivoire
Inverser le déclin de la population d'éléphants
Tout d'abord, il convient d'envisager des partenariats public-privé dans la gestion des zones protégées.
Dans de nombreux pays, les capacités de gestion sont insuffisantes, ce qui conduit à la création de parcs «sur le papier». Il s'agit de parcs qui sont officiellement reconnus par la loi mais qui ne sont en réalité pas fonctionnels. Les partenariats institutionnels entre les ministères concernés et le secteur privé (les organisations non gouvernementales axées sur la conservation) peuvent améliorer les efforts de gestion. Cela peut également favoriser la durabilité économique des zones protégées.
Nous en avons vu plusieurs exemples avec African Parks, une organisation non gouvernementale qui gère directement de nombreuses zones protégées à travers l'Afrique avec le soutien des gouvernements.
Deuxièmement, il est essentiel de travailler avec les communautés voisines et les gestionnaires de l'utilisation des terres pour maintenir l'intégrité du paysage pour la faune sauvage comme les éléphants.
L'aménagement à grande échelle du paysage pour la coexistence avec les éléphants dans les terres adjacentes aux zones protégées peut prendre la forme d'une expansion du tourisme. Les terres peuvent être converties à la culture de plantes que la faune ne mange pas, comme le piment. Des zones tampons respectueuses de la faune et à usages multiples peuvent également être créées.
Troisièmement, il faut lutter contre le braconnage de l'ivoire. Les forces de l'ordre doivent être présentes dans les zones protégées et leurs environs. De même, il est important de réduire la demande de produits illégaux issus de la faune sauvage et les pressions économiques qui alimentent le commerce de la faune sauvage.
La population humaine de l'Afrique va plus que doubler au cours des 50 prochaines années, ce qui exercera une pression supplémentaire sur les zones sauvages d'Afrique. De nouveaux efforts sont nécessaires pour arrêter le déclin des populations d'éléphants et restaurer les populations perdues.
George Wittemyer, Professor of Fish, Wildlife and Conservation Biology, Colorado State University