Soudan: Des « souffrances inimaginables » dans l'indifférence générale

13 Mars 2025

Bombardements aveugles, massacres de civils, viols d'enfants, malnutrition aiguë et entraves délibérées à l'aide humanitaire. Bientôt deux ans après le début du conflit au Soudan, deux hauts responsables humanitaires dressent le portrait d'une crise sans précédent dans l'histoire du pays, mais relativement ignorée par la communauté internationale.

Le constat est implacable. Plus de la moitié de la population, soit 30 millions de Soudanais, en situation de détresse humanitaire. Des millions de civils contraints de quitter leur foyer. Des dizaines de milliers d'autres tués dans les combats ou par la famine, qui se répand comme une traînée de poudre à travers la seule nation au monde à y être confrontée.

Alors que la guerre civile opposant depuis avril 2023 les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) à l'armée soudanaise du général Abdel Fattah al-Burhane bat son plein, le pays, lui, est sur le point de sombrer.

Une « guerre contre la population »

Pour le secrétaire général de l'ONG Médecins sans frontières (MSF), Christopher Lockyear, on est bien loin du simple affrontement entre deux factions militaires. « Les Forces de soutien rapide, l'armée soudanaise et les autres belligérants ne se contentent pas seulement de ne pas protéger les civils : ils aggravent aussi délibérément leur souffrance », a dénoncé M. Lockyear lors d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU sur la situation dans le pays, en proie selon lui à une véritable « guerre contre la population ».

Le responsable de MSF en a fait lui-même le constat sur place, il y a six semaines, à l'hôpital al-Nao d'Omdurman, après le bombardement d'un marché local dans cette ville de l'État de Khartoum, l'une des plus peuplées du pays. « L'hôpital était le théâtre d'un carnage total », a-t-il décrit aux membres du Conseil. « J'ai vu des hommes, des femmes et des enfants déchiquetés ».

Famine au Darfour

Autre région soudanaise fortement touchée par le conflit, le Darfour, dans l'ouest du pays, est sous le coup d'un siège militaire des FSR aggravé par la famine. Cette dernière, confirmée au mois de décembre 2024, touche notamment trois camps de déplacés de l'État du Darfour du Nord, dont celui de Zamzam, l'un des plus importants du pays.

Or, Zamzam subit actuellement une offensive des forces des FSR, au point que MSF a dû suspendre ses opérations dans le camp après avoir reçu 139 blessés en une seule journée. « Notre hôpital de campagne était conçu pour la pédiatrie et la médecine maternelle, pas pour la guerre... Nous avons été contraints de partir, laissant derrière nous une population affamée et assiégée », a regretté M. Lockyear.

Quant à l'État voisin du Darfour du Sud, il est devenu, selon l'humanitaire, l'un des emblèmes de l'utilisation des violences sexuelles comme arme de guerre par les belligérants soudanais.

En 2024, MSF y a soigné pas moins de 385 survivantes, souvent violées par des hommes armés alors qu'elles cultivaient leurs champs. Parmi elles, des fillettes de moins de cinq ans.

Effondrement sanitaire et humanitaire

L'ampleur des violences donne lieu à un désastre humanitaire dont les enfants sont les premières victimes, comme l'a rappelé la directrice générale de l'Unicef, Catherine Russell, qui participait également à la réunion du Conseil.

Selon elle, plus de la moitié des 30 millions de Soudanais ayant actuellement besoin d'une aide humanitaire sont des enfants et plus d'un million de ceux qui vivent dans les zones touchées par la famine ont moins de cinq ans.

« Les enfants subissent des souffrances inimaginables et une violence effroyable. Sans aide vitale, nombre d'entre eux vont mourir », a-t-elle prévenu.

À la famine s'ajoute toute une série de maladies pour lesquelles il existe des vaccins, tels que le choléra, la rougeole et la diphtérie, dont la résurgence illustre l'effondrement total du système de santé. « Plus de 3 millions d'enfants risquent d'être emportés par ces maladies alors qu'ils pourraient être protégés », a protesté Mme Russell.

Entraves délibérées à l'aide

Si la situation est à ce point dramatique, c'est aussi parce que l'aide humanitaire est délibérément bloquée par les belligérants. Christopher Lockyear a dénoncé un système de restrictions kafkaïen, qui met en péril des millions de vies.

Dans les zones contrôlées par les FSR, l'aide humanitaire est notamment soumise à des taxes et retards de livraison imposés de façon arbitraire. Par exemple, le transport d'un convoi de 60 tonnes d'aide entre le Tchad et le Darfour coûte 18.000 dollars, dont un tiers pour le paiement de taxes et droits de péages injustifiés.

Selon M. Lockyear, l'Agence soudanaise de secours et d'opérations humanitaires (SARHO), affiliée aux FSR, dresse des obstacles bureaucratiques insurmontables. Un choix impossible s'impose alors aux agents humanitaires dans les zones sous le contrôle des FSR. « Soit accepter les exigences de la SARHO visant à officialiser leur présence, au risque d'être expulsés par les autorités de Port-Soudan [fidèles à l'armée soudanaise rivale], soit refuser et voir leurs opérations interrompues par la SARHO », a-t-il expliqué.

Impuissance de la communauté internationale

Le haut responsable de MSF a également pointé du doigt l'inaction, voire l'indifférence, de la communauté internationale. « Le poste frontière d'Adré est ouvert depuis six mois, mais seulement 1.100 camions ont pu entrer au Darfour. Cela fait six par jour pour toute la région », a-t-il dit, précisant qu'il en faudrait 13 pour nourrir quotidiennement la population du camp de Zamzam.

Face à une telle situation, il a souligné l'inefficacité des appels répétés du Conseil de sécurité au respect du droit international humanitaire et de l'acheminement sans entrave de l'aide humanitaire.

« Vos appels sonnent creux », a-t-il tranché.

Le haut responsable de MSF a demandé « l'engagement » total des donateurs et une approche « plus proactive » du Secrétariat de l'ONU, via le redéploiement complet des agences humanitaires de l'organisation au Darfour et dans tout le pays.

De son côté, Catherine Russell a également exhorté les États membres à agir avant qu'il ne soit trop tard. Elle leur a notamment rappelé que l'Unicef aura besoin d'un milliard de dollars en 2025 pour apporter une aide vitale à 8,7 millions d'enfants soudanais vulnérables.

« Nous comptons sur vous pour nous aider dans cette tâche cruciale », a-t-elle dit. « Et les enfants du Soudan comptent sur nous tous ».

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