Les chiffres 8 et 45 renvoyant à une étude menée par ONU Femmes Tunisie et correspondant aux 8 heures (voire 12 heures) que la femme tunisienne consacre à ce travail de soin à la maison non rémunéré, contre seulement 45 minutes pour l'homme...
A l'occasion de la Journée internationale des femmes, ONU Femmes Tunisie, en partenariat avec le ministère de la Jeunesse et des Sports, a présenté à la Medersa Slimaniya à la Médina de Tunis «Production Invisible 8:45 », un projet qui met en lumière le travail de soin non rémunéré à travers trois créations artistiques.
«Production invisible» fait écho au travail de soin généralement associé à la femme dans notre pays et partout dans le monde, entre tâches ménagères et autres soins et besoins apportés à la famille petite ou élargie et dans certains cas à toute une communauté. Les chiffres 8 et 45 renvoyant à une étude menée par ONU Femmes Tunisie et correspondant aux 8 heures (voire 12 heures) que la femme tunisienne consacre à ce travail de soin à la maison non rémunéré, contre seulement 45 minutes pour l'homme...
Cette répartition inégale, mise en lumière par des études récentes menées par ONU Femmes Tunisie, représente un frein majeur à l'autonomisation économique des femmes. La charge physique et mentale qui y résulte bloque la femme professionnellement en l'empêchant d'intégrer le marché de travail ou d'accéder à des postes de responsabilité et d'être active dans la vie publique. Selon ONU Femmes Tunisie, le travail non rémunéré des femmes est estimé à une valeur de 23,8 milliards de dinars tunisiens, soit un apport économique non reconnu qui mérite une attention urgente.
« Production Invisible 8:45» s'inscrit dans le cadre du programme régional «Dare to Care» qui implique 6 pays arabes dont la Tunisie et qui vise à «transformer les normes patriarcales et à promouvoir l'égalité des sexes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient et positionne l'art comme un outil essentiel d'activisme, permettant aux jeunes de jouer un rôle clé dans la construction d'un avenir équitable».
Voilà un énoncé très ambitieux qui nécessite des actions impactantes, efficaces et surtout sur le long terme. En Tunisie comme dans beaucoup d'autres pays dans le monde (pas que dans les pays arabes!), cette responsabilité domestique incombe généralement à la femme. Une étude menée par ONU Femmes Tunisie a révélé que nos jeunes en Tunisie cultivent et maintiennent même plus que leurs aînées ces valeurs patriarcales.
Le projet « Production Invisible 8:45 », ou l'art au service du changement social, a voulu impliquer des jeunes en en mobilisant 27 qui ont pris part à trois résidences artistiques (d'une durée d'une semaine chacune) :
Une résidence d'arts visuels qui s'est tenue à Tunis avec la participation des artistes Sana Chamakh, Ferielle Doulain Zouari, Amira Lamti et Saif Fradj et qui a donné lieu à une exposition curatée par Farah Sayem, intitulée «Women Carry War in their Bodies». Des installations artistiques et autres approches sensibles, qui font intervenir des matériaux familiers entre tissu, bois et métal ainsi que la vidéo, y ont été présentées samedi dernier pour se poursuivre jusqu'au 11 mars.
Une résidence de théâtre au Kef encadrée par Amina Dachraoui qui a mené une pièce nommée «Intouchable» avec la participation de jeunes de la région et une résidence de Rap à Gabès supervisée par le collectif Debo Collective et qui a réuni 11 artistes talentueux spécialisés dans le Rap, le beatmaking et le VJing. En est sortie une performance intitulée «Wisdom» qui explore l'égalité des genres et la répartition inégale des responsabilités domestiques à travers le hip-hop et le Rap.
Ces créations artistiques ont été restituées lors de cette journée internationale des droits de la femme, mais malheureusement, pour le moment, on ne parle pas d'autres dates pour ce qui est du théâtre et du Rap. Ces œuvres de sensibilisation n'ont-elles pas été conçues pour toucher et impacter le maximum de personnes?
Seules restent visibles jusqu'au 11 mars les installations: «Archives silencieuses» de Sana Chamekh, qui explore la charge symbolique des objets domestiques comme la serpillière, le seau et le manche à balai. «Ensemble» de Ferielle Doulain Zouari repense le geste quotidien de ramassage de bois dans la région du Kef «partagé entre les hommes et les femmes malgré les stéréotypes genrés». Son oeuvre au-delà du thème principal de l'exposition questionne la dévalorisation des gestes domestiques dans nos sociétés capitalistes et invite à repenser les dynamiques de partage et d'émancipation. «Frange sacrée» d'Amira Lamti qui s'empare de la Charia, une sorte de panier en fibres dont les femmes se servaient pour porter leurs enfants. L'objet, nous dit l'artiste, a été adapté par la femme qui s'en servait pour y mettre différentes charges.
La fibre de la charia par sa robustesse ainsi que sa souplesse incarne à la fois la résilience et la force de la femme. Et pour finir, l'installation vidéo «Résonance sauvage» de Saif Fradj explore le contraste entre la femme tribale et la femme contemporaine, mettant en avant son pouvoir créateur et résistant. Son oeuvre souligne le pouvoir et la force de la femme de la préhistoire qui était chasseresse et distributrice de viande et donc dominante dans son rôle familial et social.