DAKAR — Une étude menée par un groupe de chercheurs du service de psychiatrie du centre hospitalier national universitaire de Fann à Dakar, au Sénégal, révèle que la dépression du post-partum (DPP) touche près de 26 % de femmes dans le pays.
D'après l'étude, la dépression post-partum se manifeste par une tristesse intense et durable, une perte d'intérêt pour les activités habituelles ainsi que des troubles du sommeil et de l'alimentation.
« Dans certains cas, elle peut entraîner des idées suicidaires, un rejet de l'enfant et met ainsi en danger la relation mère-bébé », explique Dieynaba Bassine Baldé, co-auteur de l'étude, en service à la clinique psychiatrique Moussa Diop de Fann à Dakar.
"Un dépistage systématique ou l'identification des facteurs de risque pendant la grossesse est nécessaire pour une prise en charge globale basée sur une approche biopsychosociale"Sokhna Seck, université Cheikh Anta Diop de Dakar
Cette maladie est le trouble psychiatrique le plus courant chez les femmes pendant la période périnatale, indiquent les chercheurs. Selon l'OMS, citée par l'étude, elle touche, au niveau mondial, 10 à 15 % des femmes qui viennent d'accoucher.
L'étude a été conduite d'août 2021 à juin 2022 dans 12 centres de santé de Dakar auprès de 122 participantes, dont la tranche d'âge la plus présente est celle des 24-29 ans.
L'étude « a permis de montrer la prévalence élevée de la dépression post-partum chez 25,41 % des femmes et a identifié des facteurs de risque associés. Ce qui en fait un problème de santé », déclare Sokhna Seck, psychiatre, enseignante-chercheure à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) et principale auteure de l'étude.
Parmi les facteurs associés figurent le statut matrimonial, le manque de soutien du partenaire, la violence domestique, les conflits avec la belle-famille et la survenue d'un événement de vie stressant pendant la grossesse, la présence d'antécédents médicaux personnels, le manque de satisfaction quant au suivi de la grossesse et le mode d'accouchement par césarienne...
Pour le gynécologue-obstétricien Papa Youssou Niang de la clinique SENCABMED, qui n'a pas pris part à l'étude, le taux de femmes souffrant de dépression post-partum présenté dans l'étude est sous-estimé.
« Je pense que le taux réel est plus important que ça... Ce qu'on retrouve en Afrique du Sud (environ 50 %), notamment, à mon avis est le vrai taux. C'est juste que, eux, ils colligent plus, leurs registres sont mieux tenus que les nôtres ; c'est pour cela peut-être qu'ils ont vu plus de cas, mais chez nous, il y a, à mon avis, plus que 25 %, bien que ça soit important », soutient-il dans un entretien avec SciDev.Net.
Dépistage systématique
Fatou Khouma, la présidente de « Talk To Me », une association qui travaille pour le bien-être mental des populations qui sont en situation défavorisée au Sénégal, abonde dans le même sens.
« 25 %, c'est assez énorme et je pense que ça dépasse largement parce que l'étude n'a pas pris en compte certaines couches. Dans certaines régions, on ne pense même pas à ça. Donc, c'est un indicateur préoccupant qui nous montre que la DPP ainsi que toutes les pathologies mentales ne sont pas vraiment prises en compte au Sénégal », déplore-t-elle.
L'intérêt de ce travail de recherche, souligne Sokhna Seck, est de sensibiliser les professionnels de santé et le public sur le fait que la dépression post-partum est fréquente et souvent méconnue ; d'identifier les facteurs de risque pour permettre un dépistage précoce et de suggérer un meilleur suivi des femmes après l'accouchement.
Sans oublier, poursuit-elle, d'adapter les stratégies de prévention et d'intervention aux réalités socio-économiques et culturelles du Sénégal afin de protéger la santé mentale des mères et le bien-être de leurs enfants.
« Un dépistage systématique ou l'identification des facteurs de risque pendant la grossesse est nécessaire pour une prise en charge globale basée sur une approche biopsychosociale », prescrit-elle.
Dieynaba Bassine Baldé ajoute que « 'il s'agit de faire inclure la santé mentale maternelle et infantile dans les politiques de santé et dans le suivi des femmes pendant et après la grossesse ».
Mais également « de sensibiliser et d'informer sur les troubles psychiques en période périnatale et d'instaurer un dépistage systématique et un suivi adapté ; mettre en place un dépistage régulier de la dépression post-partum et offrir un suivi personnalisé aux femmes concernées », ajoute la chercheure.
Numéro vert
Interrogée par SciDev.Net, Rokhaya Diakhaté, directrice de la famille et de la protection des couches vulnérables au sein du ministère de la Famille et des solidarités, déclare que le plan d'action national pour l'éradication des violences faites aux femmes et aux filles intègre ces préoccupations.
« Des outils de prévention et de prise en charge holistique ont été mis en place, notamment des procédures opérationnelles standard, un paquet de services essentiels, un numéro vert (116) pour l'écoute et l'orientation des victimes, ainsi que la construction et l'équipement de centres d'appel régionaux », confie-t-elle.
Elle affirme également qu'un accent particulier sera mis sur la dimension psychologique dans les soins de santé dans le deuxième plan d'action national pour l'éradication des violences faites aux femmes et aux filles, en cours d'élaboration.
Papa Youssou Niang pense qu'en ce qui concerne le suivi des femmes pendant et après la grossesse, les médecins ont une part de responsabilité afin de cerner les contours du problème de santé posé par un patient.
Si ce spécialiste nuance en affirmant que, dans la pratique, ce n'est pas toujours évident au regard du nombre de patients élevés qui viennent en consultation, il soutient qu'« il faut trouver des leviers pour que le travail soit bien fait ».