Ile Maurice: Écouter, déconstruire pour mieux reconstruire des rôles du genre sains

Créer un espace neutre et bienveillant au collège Bhujoharry où les garçons venant de familles explosées et de milieux violents pourront venir exprimer leurs émotions, en toute confidentialité, après avoir entendu des intervenants extérieurs parler de la masculinité toxique et de ses méfaits afin qu'ils déconstruisent leur référentiel dominant inconscient et embrassent des rôles du genre sains, c'est l'objectif du mouvement He4Real, créé spontanément par l'enseignant Cedric Lisette et une poignée d'élèves plus âgés au sein de ce collège.

Le déclic ayant favorisé la création de ce mouvement a été le lancement de la Green Flag Campaign, le 5 mars dernier, une initiative de Marie-Noëlle Elissac-Foy, soutenue par l'Australian High Commission et l'organisation non gouvernementale Passerelle.

Cedric Lisette évoque la genèse du mouvement He4Real dont le slogan est It ends with us - Bhujo Boys against toxic masculinity. Cet enseignant d'économie, qui est en poste au collège Bhujoharry depuis deux ans, a été choisi par le management du collège, pour accompagner une cinquantaine d'élèves au lancement de la Green Flag Campaign. Ce jeune enseignant a accepté de le faire car il était déjà sensibilisé à la masculinité positive, surtout après «avoir été voir le film Barbie. J'ai été choqué par les commentaires que j'ai entendus après la projection et émanant aussi bien d'hommes que de femmes. Cela m'a fait réaliser qu'ils n'ont pas compris le message du réalisateur qui portait sur l'importance de déconstruire et reconstruire les rôles du genre.»

Vu le degré de violence entre élèves à l'école, garçons comme filles confondus, après avoir écouté les intervenants lors du lancement de campagne destinée à stopper la violence envers les femmes, il a parlé à Didier Moutou, le recteur du collège et les deux hommes se sont dit qu'il fallait faire quelque chose au sein de l'établissement scolaire.

«J'ai discuté avec certains garçons qui étaient venus avec moi à Voilà Bagatelle et nous avons spontanément décidé de cibler une trentaine de garçons à l'école, qui sont issus de familles brisées ou frappées par les fléaux sociaux et qui ont besoin d'être accompagnés et canalisés. Je leur ai raconté mon histoire - jusqu'à l'âge de 17 ans, j'ignorais qui était mon père. Je n'avais pas de role model masculin as such, bien que mon grand-père et mes oncles étaient là pour assumer les responsabilités mais ce n'était pas pareil comme d'avoir un père présent. Et je suis passé par une période difficile.»

Cedric Lisette a enrôlé certains garçons et ensemble, ils ont choisi l'appellation He4Real dont le slogan est It Ends with Us - Bhujo Boys Against Toxic Masculinity, le It étant la masculinité toxique. La sélection des garçons se poursuit. «On veut créer une plateforme où les garçons n'auront pas honte de baisser leur garde et de parler de leurs émotions, en toute confidentialité, un peu comme les alcooliques le font à Alcooliques Anonymes. Nous ferons venir à l'école des intervenants extérieurs pour les sensibiliser durant la récréation ou pendant les classes d'activités.

On va leur expliquer qu'au lieu de jurer ou d'utiliser la force lorsqu'ils sont en colère, ils doivent dialoguer.» Il pense aussi à prendre comme exemples des cas de violence dans l'actualité et leur faire visionner des films montrant aussi bien la masculinité positive que celle toxique pour qu'ils fassent la différence. «Je vais chercher des parrains pour que ce moment de partage se fasse aussi autour d'un repas et soit convivial. Nous allons promouvoir un espace positif pendant trois mois.»

Une trentaine de garçons de ciblés et pendant trois mois, cela paraît peu pour déconstruire des référentiels dominants. «Presque tous les jeunes aujourd'hui ont un portable et sont sur les réseaux sociaux. Nous allons créer une page Facebook des Bhujo boys against toxic masculinity, de même qu'une page Instagram pour faire passer le message de la masculinité toxique versus la masculinité positive. Il nous faut déconstruire pour reconstruire, redéfinir ce qu'est un homme et expliquer qu'on peut rester viril tout en étant respectueux des femmes.»

Parmi la cinquantaine d'élèves du collège Bhujoharry, qui ont assisté au lancement de la Green Flag Campaign à l'hôtel Voilà Bagatelle, deux d'entre eux ont immédiatement adhéré au concept en raison de leur vécu. Ils sont Kushal Bhageea, 18 ans, Head Boy, et Jérémie Bassy, 20 ans, qui préside le mouvement. Ils expliquent leurs raisons.

Kushal, qui est d'une nature douce, vient d'une famille éclatée. Il a grandi avec sa mère. Ils vivent à Petite-Rivière. Sa maman travaille comme cleaner. Il voit peu son père. À l'adolescence, âge où les jeunes se rebellent généralement contre tout, à commencer contre leurs aînés, quand ils ne se laissent pas aller, sa mère a senti le besoin de lui faire comprendre plusieurs choses, notamment qu'il n'y a pas de métiers ni de rôles qui soient des chasses gardées pour l'homme ou pour la femme et que la virilité ne signifie pas l'usage de la force. Des conversations qui ont fait leur chemin dans la tête du garçon, qui s'est alors ressaisi. «J'ai un role model : ma mère qui est mon super héros et ma confidente.»

Appelé à évoquer sa conception du rôle de la femme, Kushal explique qu'une femme ne peut être définie par les tâches ménagères et «par le cantonnement dans la cuisine H24. Pour moi, une femme peut être débrouillarde dans tous les domaines.» Et, la masculinité positive signifie un homme qui respecte la femme, qui l'aide dans ses tâches et en cas de problème entre eux, il communique et dialogue pour le résoudre.«La violence n'apportera rien de bon. Nous devons vivre dans une société exempte de discrimination et de violence entre hommes et femmes.»

A-t-il évoqué ses idées avec ses copains ? Pensent-ils comme lui ou se voit-il affubler de qualificatifs dénigrants comme 'nwar fam' ou 'bobok' en raison de ses prises de position ? «Nous n'avons pas la même conception en tout mais ils respectent la femme.»

Jérémie Bassy, qui habite Ste-Croix, est le benjamin de sept enfants. Ses parents ne sont plus ensemble depuis huit ans. Il vit seul avec sa mère car ses frères et soeurs ont déjà fait leur vie et se sont installés ailleurs. Sa mère ne travaille plus car elle est malade et ils vivent sur sa pension. «Mo bisin travay pou aste mo ban akote. Mo maman inn bien fer pou mo bann frer ek ser ek mo pa finn le akable li plis ki sa.»

Le ménage s'est brisé car son père était violent envers sa mère. *«À un moment, je pensais que cette violence était normale. C'est lorsqu'ils se sont séparés que j'ai compris que la cause de leur séparation était la violence et qu'elle n'est pas acceptable.»*Pour lui également, sa mère est son modèle.

«Je refuse que les hommes de ma famille soient mes modèles. Monn viv avek zot me mo pa envi vinn kouma zot. Ena sertin kinn tomm dan ladrog ek mo papa pa konn konport li an piblik ek anver bann madam. Li fer remark fort lor simin. Ler mo ti ena 15 zan, mo ti pe gaygn onte ler li fer sa.Me mo ti tro tipti pou dir li ki so latitid pa bon.»

Il a alors coupé les ponts avec son père. «Pandan enn moman, nou pa ti pe koze. Recemment, relation papa-garson inn repran». Aujourd'hui, il n'hésite pas à dire ses quatre vérités à son aîné. «Avan mo ti pe sibir. Zordi mo montre li ki mo desaprouve.»

Jérémie n'a pas eu peur d'être ridiculisé lorsqu'il a évoqué la question de masculinité toxique et celle positive avec ses amis, de même que son vécu. Il a été surpris de réaliser que plusieurs d'entre eux subissaient la violence dans leur cercle familial et qu'il n'était pas un cas isolé. Ce qui explique aussi pourquoi le message de la Green Flag Campaign n'est pas tombé dans l'oreille d'un sourd.

Comment Cedric Lisette mesurera-til l'impact du mouvement à l'école ? «L'école tient un Log-book sur les actes d'indiscipline et de violence entre élèves. Et je peux vous dire qu'il y a régulièrement des bagarres entre garçons et aussi entre filles. Parfois, dans le cas de ces dernières, cela peut commencer juste par un regard mal interprété. On vous dira : 'linn get mwa traver'.

C'est clair qu'ils et elles ont normalisé la violence. Ou encore qu'elles ont mal interprété ce qu'est le féminisme et qu'à leurs yeux, c'est se comporter exactement comme les garçons. Après trois mois, je consulterai ce log-book pour voir si les cas d'indiscipline et de violence ont baissé.»

Dans un deuxième temps, l'enseignant compte faire un sondage auprès des filles pour connaître leur perception de la masculinité toxique et celle positive. «Nou pa pou met bann tifi dan kwin. Se bann fam kinn definir masculinité toxique ek nou pou koz ar bann tifi pou kone ki zot définition de sa de mo-la ek ramenn sa bann infos la dan mouvement pou faire avans nou deba ek nou kampagn», déclare Jérémie.

Pour que ce débat ne reste pas dans le cercle fermé de l'école, Kushal est en faveur de communications régulières sur les réseaux sociaux tandis que Jérémie n'est pas contre l'idée de constituer un petit groupe de garçons et d'aller deux fois par mois faire le tour de l'île pour convaincre leurs semblables de reprendre cette lutte pacifique. «Li ti pou bon idantifie enn ou de zenes ki kapav trap flambo-la ek amenn li ayer pou sa mesaz masculinité positive pase...»

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