Ile Maurice: «Donner du sens à l'éducation ne coûte rien»

interview

Après six ans à la tête de FoodWise, qui lutte avec succès contre le gaspillage alimentaire, Rebecca Espitalier-Noël ouvre un nouveau chapitre avec LearnWise. En septembre, elle inaugure la première HEI Schools à Maurice, inspirée du modèle pédagogique finlandais.

Quel impact visez-vous en introduisant le modèle éducatif finlandais pour les 1 à 6 ans ?

Un peu plus de Esix ans après le lancement de FoodWise, j'ai cofondé LearnWise avec la mission de réinventer l'avenir éducatif de Maurice en s'inspirant des meilleures pratiques mondiales. Le premier projet que nous développons sous LearnWise est HEI Schools, un concept éducatif basé sur la pédagogie finlandaise. Si nous nous inspirons de l'éducation finlandaise, reconnue parmi les meilleures au monde, nous ne cherchons pas à «importer la Finlande» à Maurice.

L'éducation doit être enracinée dans son environnement : la nature, la culture et l'histoire du pays où elle se déploie. Une école ne doit pas être un espace clos et déconnecté, mais un lieu vivant, ancré dans son territoire.

C'est pourquoi notre premier campus est situé au coeur de ruines historiques. Nous voulons replacer l'apprentissage dans son contexte, permettre aux enfants de grandir en explorant nos lagons, en comprenant nos terres, en écoutant les récits de nos aînés. HEI Schools Mauritius met en avant une éducation qui célèbre notre île, afin que les enfants la comprennent, l'aiment et la protègent. Il ne s'agit pas seulement d'enseigner Maurice, mais de la vivre pleinement au quotidien.

L'éducation finlandaise est réputée comme celle où l'enfant est roi, où il joue librement, court partout, monte ou s'allonge sur les tables plutôt que de suivre un enseignement structuré. En quoi votre campus qui ouvre le 1er septembre à Forbach, différera-t-il des écoles conventionnelles «trop souvent déconnectées de la réalité», comme vous le qualifiez sur LinkedIn?

L'idée que l'enfant est «roi» en Finlande est une caricature. L'enfant y est respecté, mais cela ne signifie pas l'absence de règles. Ces règles sont construites avec les enfants, ce qui leur permet de comprendre leur utilité et de les intégrer naturellement. Je vais vous citer trois exemples d'éléments qui distinguent l'approche finlandaise : L'individualisation de l'apprentissage : Chaque enfant avance à son propre rythme.

Dans les systèmes classiques, certains s'ennuient tandis que d'autres peinent à suivre. En Finlande, on ne cherche pas à imposer les mêmes objectifs au même moment à tous, mais à permettre à chacun d'atteindre son plein potentiel. L'absence de pression : Il n'y a pas de contrôles, pas de comparaisons entre enfants. L'apprentissage se fait naturellement, à travers le jeu et l'expérimentation.

Les enfants comprennent toujours pourquoi ils apprennent quelque chose et l'intègrent à travers des expériences concrètes. Le développement du «comment» autant que du «quoi» : Avant d'apprendre à lire et compter, l'enfant doit d'abord apprendre à gérer ses émotions, à interagir avec les autres, à faire preuve de curiosité et de confiance en soi.

Ce sont ces fondations qui lui permettront d'aimer apprendre tout au long de sa vie. Cette approche, qui respecte le rythme et l'individualité de l'enfant, porte ses fruits : à 15 ans, les élèves finlandais figurent parmi les meilleurs au monde en sciences, mathématiques et lecture, selon les évaluations internationales.

En vous inspirant d'un des systèmes éducatifs les plus performants au monde, comment le pays peut-il 57 ans après son indépendance, bâtir une véritable école mauricienne équitable et accessible à tous ?

L'un des piliers du système finlandais est l'équité. Une éducation de qualité pour tous, passe par un système public fort. La Finlande a opéré une transformation radicale dans les années 70, en s'appuyant sur trois principes fondamentaux : L'égalité des chances : L'éducation est gratuite, tout comme les repas scolaires et l'accès aux soins de santé dans les écoles.

Un accompagnement individualisé est assuré dès la petite enfance, avec des psychologues et des spécialistes pour soutenir chaque enfant. L'investissement dans les enseignants : Les éducateurs sont vus comme la clé du changement.

Leur formation, leur rémunération et leur statut ont été profondément révisés. Aujourd'hui, un enseignant en Finlande détient un master et est perçu comme un expert, au même titre qu'un médecin. L'absence de standardisation rigide : Il n'y a pas de tests standardisés ni pour les élèves, ni pour les enseignants, ni pour les écoles.

Chaque établissement et chaque éducateur ont une autonomie importante pour adapter l'enseignement aux besoins des enfants. Maurice dispose des ressources pour transformer son système éducatif. Ce qui manque, ce n'est pas l'argent, mais une véritable volonté de changement et la conviction que c'est possible.

Une école comme vous proposez, qui valorise le pays, ses lagons, ses terres et son peuple, implique des coûts. Comment rendre cette éducation accessible au plus grand nombre ?

Donner du sens à l'éducation ne coûte rien. Planter des arbres coûte moins cher que couler du béton. Construire un environnement d'apprentissage riche et naturel coûte moins cher que des salles de classe aseptisées et standardisées. C'est une question de vision.

Cependant, une éducation de qualité implique des investissements : former des éducateurs compétents, maintenir des ratios enseignants enfants faibles, offrir du matériel pédagogique adapté. Dans un système public, l'éducation doit être vue comme un investissement, pas une dépense. Le véritable frein n'est pas financier, mais culturel : nous devons reconnaître l'urgence de transformer notre éducation et croire que c'est possible.

Devrait-on, comme en Finlande, intégrer au collège des cours sur le respect mutuel, les connaissances de base en cuisine, l'entretien d'une maison, la santé, la nutrition, l'hygiène, le droit des consommateurs, la gestion de budget ou encore le développement durable ?

L'école devrait être la vie. Un enfant devrait en sortir en sachant qui il est, ce qu'il aime, dans quoi il excelle et ce qu'il veut faire de sa vie. Ce n'est pas en ajoutant des matières que nous répondrons à ces enjeux, mais en reconcevant entièrement l'éducation pour en faire une expérience holistique. Un enfant ne devrait pas seulement apprendre des concepts abstraits, mais aussi acquérir des compétences essentielles pour vivre une vie épanouie et responsable.

Aujourd'hui, notre système éducatif doit évoluer pour permettre aux jeunes de devenir ambitieux, autonomes, débrouillards, respectueux des autres et du monde qui les entoure. C'est ainsi que nous construirons une société plus forte et plus équitable.

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