Lorsque Emerse Faé a conduit la Côte d'Ivoire à la gloire lors de la Coupe d'Afrique des Nations CAF TotalEnergies 2023 à domicile l'année dernière, cet exploit était bien plus qu'un simple triomphe footballistique. C'était le signe d'un changement de paradigme.
Pour la troisième édition consécutive de la CAN CAF TotalEnergies, un entraîneur africain a mené son pays au succès continental. L'Ivoirien a suivi les traces d'Aliou Cissé, vainqueur avec le Sénégal en 2022, et de Djamel Belmadi, qui a conduit l'Algérie au titre en 2019.
La domination des entraîneurs africains au plus haut niveau n'est plus une coïncidence ; c'est une tendance qui se renforce. Sur les 54 sélections, 31 sont actuellement dirigées par des sélectionneurs africains, marquant un changement radical par rapport à une époque où les techniciens européens dominaient les bancs de touche.
Une rupture avec le passé
Pendant des décennies, le football africain a été façonné par des entraîneurs étrangers, principalement venus d'Europe. Les fédérations nationales étaient convaincues que la réussite passait par des techniciens expérimentés issus de France, d'Allemagne, du Portugal ou des Pays-Bas. Les entraîneurs africains, eux, étaient souvent cantonnés à des rôles d'adjoints, limités aux tâches en coulisses.
Cependant, la dernière décennie a vu une transformation remarquable. Une nouvelle génération d'entraîneurs africains ne se contente plus de combler des postes vacants : elle gagne des titres.
L'exemple marocain avec Walid Regragui
Walid Regragui a marqué l'histoire en guidant le Maroc jusqu'aux demi-finales de la Coupe du Monde de la FIFA 2022, devenant ainsi le premier sélectionneur africain à atteindre un tel niveau avec une équipe africaine.
« Le succès des entraîneurs locaux est la preuve que le football africain a mûri », déclarait Regragui après l'exploit des Lions de l'Atlas. « Nous avons les connaissances, l'expérience et la capacité de mener nos équipes vers la victoire. »
Pourquoi les fédérations africaines privilégient-elles désormais les entraîneurs locaux ?
Au-delà des considérations financières - les techniciens africains étant généralement moins rémunérés que leurs homologues européens -, les fédérations prennent conscience que les sélectionneurs locaux apportent quelque chose que les entraîneurs étrangers n'ont souvent pas : une connexion profonde avec la culture, les joueurs et l'identité nationale.
« Ils comprennent les joueurs et leur mentalité », explique Samuel Eto'o, président de la Fédération camerounaise de football. « Un entraîneur africain sait ce que signifie porter le maillot et se battre pour son drapeau. Cela n'a pas de prix. »
Un autre facteur clé est la crédibilité. Bon nombre de ces entraîneurs africains de nouvelle génération ont évolué au plus haut niveau en Europe avant de se reconvertir en techniciens.
Aliou Cissé était capitaine du Sénégal lors de la Coupe du Monde 2002, Emerse Faé a joué en Ligue 1 et en Premier League, et Djamel Belmadi a eu une carrière notable en France et en Angleterre.
Cette expérience leur permet de gagner le respect du vestiaire. « Quand ton coach a joué en Ligue des Champions ou en Coupe du Monde, tu l'écoutes », affirme Sadio Mané, qui a remporté la CAN 2022 sous les ordres de Cissé. « Tu sais qu'il est passé par là avant toi. »
Les entraîneurs africains à la tête des grandes nations
Aujourd'hui, plusieurs des meilleures sélections africaines ont adopté le leadership local. Pape Thiaw a remplacé Aliou Cissé à la tête du Sénégal. Mohamed Kallon, ancien joueur de l'Inter Milan, dirige désormais la Sierra Leone. Le Malien Éric Chelle est sélectionneur du Nigeria, une nation qui avait historiquement recours à des entraîneurs étrangers.
La légende sud-africaine Benni McCarthy a récemment été nommée sélectionneur du Kenya, tandis que son compatriote Morena Ramoreboli est à la tête du Botswana. Aliou Cissé, de son côté, a pris les rênes de la sélection de Libye.
L'ancien capitaine du Ghana, James Kwesi Appiah, est en charge du Soudan, tandis qu'Otto Addo, ancien ailier des Black Stars, dirige désormais son équipe nationale.
D'autres figures emblématiques africaines occupent également des postes de sélectionneurs : Collin Benjamin en Namibie, Dare Nibombe au Togo, Hossam Hassan en Égypte, Sami Trabelsi en Tunisie, et Leslie Notsi au Lesotho. L'ancien gardien du Maroc, Badou Zaki, est quant à lui à la tête du Niger.
Même des nations qui s'appuyaient presque exclusivement sur des techniciens européens, comme le Cameroun, commencent à faire confiance aux entraîneurs locaux. La nomination de Marc Brys au Cameroun apparaît désormais comme une exception plutôt qu'une règle.
Vers un nouveau standard pour le football africain ?
Le succès des entraîneurs africains pousse les fédérations à repenser leur stratégie. Avec neuf places garanties pour l'Afrique à la Coupe du Monde 2026, les grandes nations du continent cherchent avant tout la stabilité.
« Pendant des années, les équipes africaines changeaient de sélectionneur avant chaque compétition, recrutant souvent un technicien étranger qui connaissait à peine son effectif », explique Kalusha Bwalya, ancien président de la Fédération zambienne.
« Cela change. Désormais, les équipes investissent dans des projets à long terme avec des entraîneurs locaux. »
Reste à savoir si cette tendance se confirmera sur la durée. Les entraîneurs européens resteront une option, notamment pour les équipes disposant de moyens financiers conséquents.
Cependant, l'époque où les fédérations africaines considéraient systématiquement un coach européen comme supérieur semble toucher à sa fin.
Comme l'a déclaré Emerse Faé, auréolé de son titre de champion d'Afrique 2023 avec la Côte d'Ivoire : « Nous avons joué en Europe, nous avons appris là-bas, mais nous appartenons à l'Afrique. C'est notre moment. »