Ile Maurice: De journalistes à attachés de presse - Pourquoi franchir le rubicon ?

Quitter les salles de rédaction après des années de service pour embrasser une nouvelle carrière en tant qu'attaché de presse auprès des ministres nouvellement en poste : c'est le choix, pas toujours facile, que font certains journalistes, quand ils cèdent aux sirènes des ministres en quête d'une «bonne presse».

Parmi ceux que nous avons contactés dans le cadre de ce papier, la plupart avouent avoir longuement réfléchi avant d'accepter ces nouvelles responsabilités de communicant.

Pour certains, l'attrait du poste a été renforcé par une certaine affinité avec le/ la ministre qui leur a fait la proposition. Ce sujet a d'ailleurs été évoqué lundi lors d'un débat sur «le rôle des médias dans un contexte de 60-0». Notre confrère Finlay Salesse, de Radio One, qui confie d'emblée n'avoir jamais été contacté durant sa longue carrière pour être attaché de presse, met l'accent sur la manière dont certains groupes de presse ont vu leurs journalistes être débauchés par des membres de l'Alliance du changement.

«De nombreux journalistes ont été approchés par des ministres après les élections. Il est vrai que ce rôle d'attaché de presse s'accompagne d'avantages non négligeables: un salaire des fois dans les Rs 80 000, négocié directement avec le ministre concerné, ainsi que d'autres avantages comme une voiture et des voyages. Je ne jette la pierre à personne, chacun fait les choix qui lui semblent les meilleurs. Mais il faut s'interroger sur les critères de sélection des attachés de presse. S'ils sont recrutés, c'est qu'ils se sont distingués d'une manière ou d'une autre aux yeux des ministres concernés», a-t-il déclaré. Un autre point souvent soulevé concerne l'impact de ces recrutements en cascade sur les rédactions. «Après une première vague de journalistes recrutés comme attachés de presse, une seconde attend son tour. Mais alors, quel journalisme ceux qui restent vont-ils pratiquer ?» s'est-il interrogé.

Ces questions ont été posées directement à certains de ceux qui ont franchi le rubicon. Plusieurs n'ont pas souhaité répondre. Sous couvert d'anonymat, l'un d'eux témoigne : «Nous avons souvent eu l'occasion d'échanger avec des ministres, lors d'événements officiels ou d'interviews pour nos articles. Des liens se sont créés avec certains d'entre eux et, quand l'un d'eux nous a proposé de devenir attaché de presse, nous avons accepté. Nous devons aussi penser à notre avenir.»

Pour certains ex-journalistes, le choix de devenir attaché de presse ne se résume pas à une simple reconversion professionnelle. C'est aussi l'opportunité de redéfinir ce rôle, en l'adaptant aux nouveaux usages et aux exigences du numérique.

«Aujourd'hui, l'information circule différemment, en grande partie grâce aux plateformes digitales. Lorsqu'un événement politique a lieu et que nous, journalistes, ne pouvons y assister, nous aimerions avoir accès à tous les éléments essentiels : enregistrements audio, contenus numériques, voire des synthèses écrites rédigées par l'attaché de presse en poste. C'est cette vision qui m'a motivée à rejoindre un ministère. Désormais, je peux produire des vidéos, rédiger des communiqués et fournir aux journalistes les éléments nécessaires pour qu'ils puissent traiter l'information efficacement. C'est ce que j'aurais souhaité en tant que journaliste, et c'est ce que j'essaie de mettre en place», confie l'un d'eux.

Sauf que certains responsables de rédaction estiment que les communiqués des attachés de presse relèvent surtout de la communication et non de l'information. «La mission n'est pas la même. Le ministre voudrait une information selon un angle favorable à lui. Le journaliste doit lui révéler des informations que le ministre n'aurait pas aimé voir publiées.»

Au-delà de l'envie de moderniser le métier, d'autres facteurs ont également joué un rôle déterminant dans cette transition. Selon un vétéran de la presse, le passage du journalisme à la communication gouvernementale repose sur plusieurs facteurs personnels ou professionnels: «Certains quittent la presse qui les a mis en lumière parce qu'ils sont soumis à des contraintes de plus en plus pesantes. D'autres partent parce que leur dévouement n'a pas, selon eux, été reconnu à sa juste valeur. Il y a aussi ceux qui disent rejoindre un ministre par patriotisme. Après avoir contribué à la mission de service en tant que journalistes, ils souhaitent désormais mettre leur expertise au service de l'État pour le progrès de la nation mauricienne et le bien de la population. Mais souvent c'est davantage au service du ministre que du pays...»

D'aucuns estiment que les critiques émises à l'égard de ces reconversions viennent souvent de personnes extérieures au métier. «Beaucoup de ceux qui jugent les journalistes devenus attachés de presse ou conseillers en communication n'ont jamais exercé ce métier. Ils ignorent les sacrifices que cela implique : des journées débutant à 7 ou 8 heures du matin et se terminant parfois à 22 heures, sans rémunération des heures supplémentaires, des weekends et jours fériés travaillés sans compensation (...) »

Le facteur financier demeure un élément clé dans cette équation. «Les beaux discours sur la noblesse du métier et la vocation journalistique ne remplissent pas un caddie à la fin du mois. Ils ne paient ni les factures, ni les études des enfants, ni les soins médicaux.» En tout cas, pour ces ex-journalistes, changer de secteur ne signifie pas renier leur vocation première. «Nous restons avant tout des professionnels, simplement notre mission a évolué. Nous ne couvrons plus l'actualité de manière générale, mais nous nous consacrons à un domaine spécifique. Notre formation de journaliste reste un atout, et nous pouvons même contribuer à améliorer le dialogue entre les médias et les instances gouvernementales», explique l'un d'eux. L'essentiel, selon eux, c'est que l'information véhiculée par le/la ministre atteigne efficacement la population. Et puis il y aussi des cas d'anciens attachés de presse qui restent attachés de presse malgré un changement de régime et d'autres qui frappent aux portes de rédaction dès que leur ministre ne siège plus au cabinet... Histoire de retrouver les métiers de l'information après ceux de la communication politique.

Les ministres et leurs attachés de presse ou autres conseillers

PMO : Zahirah Radha

Shakeel Mohamed, ministre du Logement : NajetteTourab

Richard Duval, ministre du Tourisme : Michaël Jean-Louis

Ritesh Ramful, ministre des Affaires Étrangères : Jayen Teeroovengadum (aussi conseiller sous l'ancien régime)

Rajesh Bhagwan, ministre de l'Environnement : Karen Walter

Deven Nagalingum, ministre des Sports : Clyde Augustin

Osman Mahomed, ministre du Transport : Iqbal Oozageer

Arianne Navarre-Marie, ministre de l'Égalité des genres : Patrick Jean-Louis et Jean-Luc Émile (Senior Advisor)

Kaviraj Sukon, ministre de l'Enseignement supérieur : Émilie Payen

Patrick Assirvaden, ministre de l'Énergie et des Services publics : Thierry Laurent

Mahend Gungapersad, ministre de l'Éducation : Patrick St Pierre

Avinash Ramtohul, ministre de la Technologie : Reshma Gulbul-Nathoo

Ranjiv Woochit, ministre du Local Government : Sunil Oodunt

Mahendra Gondeea, ministre de la Culture : Kavish Beekarry

Président : Dharam Gokhool - Razeenah Kurreeman (L'Express)

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