Après un peu plus de 100 jours à la tête du ministère de la Jeunesse et des Sports (MJS), Deven Nagalingum, titulaire du poste, a dressé son premier bilan. Dans l'interview qui suit, l'élu du numéro 19 présente ses objectifs pour les prochaines années et revient sur les projets que son ministère compte entreprendre cette année. Le Comité olympique mauricien et la situation du football local figurent également parmi les sujets qui le préoccupent.
Cela fait maintenant 100 jours que le gouvernement a pris ses fonctions. Quel est, selon vous, le bilan global de cette période ?
Je considère que ce bilan est fortement positif. La victoire de l'Alliance du Changement a engendré un sentiment de libération chez un peuple enchaîné et oppressé durant les dix dernières années. Nous avons redonné vie à nos institutions, ce qui est vital pour le bon fonctionnement de notre économie et de notre démocratie. Le Parlement a retrouvé sa dignité et son décorum, et nous avons entrepris une remise à niveau du système éducatif avec la réintroduction de trois crédits pour accéder au HSC et, par exemple, le remplacement de l'Extended programme. Enfin, notre roupie se stabilise progressivement face aux principales devises, d'autant que l'abandon du réenregistrement des cartes SIM a été acté. La mise sur pied du National Agency for Drug Policy and Coordination ainsi que les amendements à la Financial Crime Commission Act, visant à restituer les pouvoir s du Directeur des Poursuites Publiques, font également partie des changements que nous avons apportés.
Et à votre niveau, quels sont vos accomplissements jusqu'ici ?
Nous avons reconstitué les conseils d'administration des organismes relevant de mon ministère, en sélectionnant les personnes sur la base de leurs compétences. L'une de mes priorités est la relance du football, et une table ronde a été organisée avec la participation de divers acteurs du secteur. À la suite de cette rencontre, nous mettons en place sept commissions, chacune présidée par un responsable et dotée d'un cahier des charges précis. La relance des compétitions inter-collèges est déjà enclenchée. J'ai entrepris une tournée de plusieurs infrastructures et j'ai constaté une situation, que je qualifierais d'accablante. Les travaux pour remédier à tous les manquements identifiés sont en cours, et je m'investis personnellement dans leur suivi.
Qu'est-ce qui vous a le plus marqué durant ces 100 premiers jours ?
Je vous répondrai en deux volets. Au niveau national, il règne une euphorie générale au sein de la population, un véritable sentiment de libération. Au niveau du gouvernement, c'est le sérieux qui caractérise l'action de chacun. En ce qui concerne la communauté des jeunes et le monde sportif, je constate une grande détresse et une forme de résignation. Toutefois, une attente incroyable s'est installée, conséquence directe de cette détresse ressentie par la jeunesse et le milieu sportif. Un immense chantier nous attend pour les cinq prochaines années.
L'équipe de volley-ball d'Oranges de Rodrigues a reçu la visite du ministre des Sports durant le 29e championnat des clubs de la zone 7.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez sur le terrain ?
Je suis d'une nature optimiste et je crois pouvoir faire face à n'importe quelle situation, comme en témoigne ma carrière politique. Je dis cela parce que ma récente tournée des infrastructures sportives et des centres de jeunesse du ministère m'a profondément marqué. Par ailleurs, mes rencontres avec les différentes fédérations ont révélé des tiraillements, des conflits internes et la primauté d'intérêts personnels. Je suis déçu, tout en confirmant mon analyse initiale : une mafia s'est bel et bien appropriée le monde du sport. La bataille pour démanteler ce réseau sera ardue, mais nous nous y attelons. Je pèse mes mots : il ne s'agit pas seulement de démanteler, mais de nettoyer ce secteur. Si le besoin se fait sentir de tout recommencer à zéro pour l'honneur et l'intégrité du sport, nous sommes prêts à le faire. Attendons la mise en place de la nouvelle loi ; à ce momentlà, nous disposerons de tout l'arsenal légal nécessaire pour combattre cette mafia. Je crois fermement que le sport, lorsqu'il est uni, constitue un puissant vecteur pour bâtir une nation.
Qu'est-ce qui vous a le plus déçu jusqu'à présent ?
Je dirai que c'est le grand gaspillage d'énergie. Je m'explique : j'ai vu des personnes dotées des qualités et de l'expérience requises pour faire évoluer leur discipline. Mais, au lieu de conjuguer leurs efforts et leur énergie dans ce but, elles se retrouvent en conflit. Le fait que, pour certains, ce soient leurs intérêts personnels qui priment sur toute autre considération est à l'origine du problème. Quand on parle d'une association, cela implique que des personnes mettent en commun leur savoir-faire pour atteindre un objectif commun. De même, lorsqu'on évoque une fédération, nous fédérons nos idées et nos compétences pour faire avancer une cause. Mais, de là à ce qu'il y ait des conflits insurmontables, surtout entre des personnes partageant la même passion, cela constitue, à mon sens, un triste paradoxe.
Le Sports Act pourraitil redresser quelque peu la situation ? Quelles en seront, d'ailleurs, les principales implications ?
Je ne peux pas encore vous révéler les principales implications. Cependant, je peux vous assurer que nous allons nous donner les moyens de combattre la mafia du sport. Par exemple, cette nouvelle loi inclura des dispositions destinées à lutter contre les clubs fictifs et les fédérations inactives qui gangrènent le monde du sport à Maurice. Nous tentons de nous projeter dans l'avenir, de comprendre l'évolution du sport au cours de la prochaine décennie et de légiférer en conséquence. Nous avons également analysé la loi actuelle afin d'identifier toutes ses faiblesses, et nous allons corriger ces manquements. De nombreuses propositions nous ont été soumises suite à une invitation adressée à l'ensemble des acteurs du monde sportif, y compris ceux de Rodrigues et du grand public. Nous travaillons sur un nouveau modèle de régionalisation et prévoyons les dispositions nécessaires dans la nouvelle loi.
Bien que le Sports Act existe depuis longtemps, son application rigoureuse a été rare. Peut-on espérer un changement cette fois-ci ?
Le problème que nous rencontrons à Maurice réside dans un système légal que je qualifierais de dualiste : nous avons d'une part les lois du pays, et d'autre part les organisations internationales qui possèdent leurs propres règles. Cette situation engendre de nombreux conflits. Comme vous le savez, nous avons déjà été confrontés à plusieurs situations où le ministère s'est heurté aux instances internationales. Nous allons tenter de remédier à ce problème dans la nouvelle loi. Quant aux fédérations et autres organismes internationaux, j'envisage d'engager, au plus haut niveau, une discussion afin de trouver un terrain d'entente et surtout de favoriser une collaboration pour combattre cette mafia.
Vous aviez réuni la presse début décembre pour évoquer le cas de la MFA, en indiquant que le dossier était entre les mains du ministère des Affaires étrangères. Plus de deux mois plus tard, nous n'avons toujours pas d'informations...
Nous nous sommes adressés au ministère des Affaires étrangères, au State Law Office, et avons également eu des discussions avec certaines personnes impliquées dans le processus électoral. Par la suite, nous avons convenu que les élections se tiendraient au niveau de la MFA. En passant, je tiens à préciser que la MFA doit nous prouver sa bonne foi et sa volonté de collaborer avec le ministère. Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, mais dans notre démarche de relance du football, nous avons besoin de l'engagement de chacun, sans pour autant compromettre nos principes.
Quel est votre constat du niveau du football à Maurice ?
Je ne suis pas satisfait. Je pense que chacun devra assumer ses responsabilités. Je sais qu'il existe de nombreux remous lorsqu'on parle d'ingérence dans une fédération, mais il arrivera un moment où il nous faudra aller dans l'extrême, et nous le ferons. Peut-être que, par la suite, cela permettra d'élever le niveau de notre football. Nous finançons les clubs et mettons les infrastructures au service de la fédération, mais les résultats ne suivent pas. Je pense que c'est la loi du pays qui doit primer, et cela sera intégré dans le Sports Act. Je sais que Maurice jouera contre le Cap-Vert et, franchement, il aurait fallu plus de transparence, de visibilité et surtout une meilleure préparation. Je leur souhaite bonne chance en tout cas.
Que pensez-vous de l'intention du Comité olympique mauricien d'organiser ses élections, alors que le Tribunal arbitral du sport ne s'est pas encore prononcé sur cette affaire ?
Je pense que toutes les instances du sport à Maurice, en particulier celles à la tête du mouvement sportif, y compris le ministère, doivent respecter nos instances arbitrales, qu'il s'agisse du TAS ou d'autres. C'est à ce moment que ces instances obtiendront le respect qui leur est dû. J'espère que le TAS pourra se prononcer sur le litige avant la date des élections. Ainsi, toutes les parties concernées pourront, si elles le souhaitent, saisir la Cour suprême sur le sujet.
Quels partenariats envisagez-vous avec des organisations internationales pour promouvoir le développement sportif à Maurice ?
Nous avons déjà rencontré des ambassadeurs et d'autres représentants diplomatiques de pays amis afin de discuter des possibilités de collaboration. Au sein de la Mauritius Multisports Infrastructure Limited (MMIL), un partenariat sera bientôt instauré avec un centre de haut niveau basé en Afrique du Sud. Nous travaillons également avec les autorités compétentes pour établir une collaboration en France dans le domaine du football. Je ne peux pas encore dévoiler les contours de ces partenariats, mais nous offrirons également aux organismes internationaux la possibilité de s'implanter à Maurice dans le cadre de la nouvelle loi sur le sport. Nous explorons par ailleurs des opportunités aux États-Unis.
Quels grands événements sportifs prévoyez-vous d'organiser ou de soutenir dans un avenir proche ?
Nous oeuvrons à développer l'économie du sport. Dans ce contexte, nous travaillons pour attirer plusieurs compétitions continentales ou mondiales à Maurice. Bientôt, nous accueillerons un championnat de billard du Commonwealth. Nous organiserons également plusieurs compétitions de judo de niveau continental fin août, fin septembre et début octobre, et nous mettrons en place les Asia/Pacific Choir Games, avec la participation possible de près de 200 chorales et de 1 000 chanteurs. Fin novembre, une compétition continentale d'e-sports se tiendra à Maurice. J'ai déjà rencontré les promoteurs.
Le ministre Deven Nagalingum, en compagnie de la junior minister aux Sports, Karen Foo Kune (au centre), a effectué une série de visites des infrastructures sportives, dressant un constat de la situation.
Quels sont les autres projets ?
Nous envisageons d'organiser une compétition de Voice of Africa à Maurice. En ce qui concerne le football, nous avons rencontré la directrice exécutive de la COSAFA et explorons les possibilités d'organiser une compétition sur notre sol. L'Economic Development Board a d'ores et déjà commencé à travailler sur le concept d'Adventure Sports, disposant d'une commission dédiée au sport. Nous collaborons étroitement sur ce dossier. Tous ces projets sont en cours, à l'exception des Choir Games.
Quelle est votre vision pour l'avenir de la jeunesse et des sports à Maurice dans les prochaines années ?
Ma vision est de faire de Maurice un modèle de réussite sportive et de développement de la jeunesse. En mettant l'accent sur l'inclusion, l'excellence et l'innovation, nous pouvons créer un environnement où chaque jeune a l'opportunité de s'épanouir et de réaliser son plein potentiel. Nous allons instaurer des conditions afin que les jeunes ne quittent pas le pays après leurs études et populariser davantage le Duke of Edinburgh Award. La lutte contre la drogue et la relance de deux awards - The Most Outstanding Young Mauritian (hors sports) et The Best Young Business or Social Award - figurent également à l'agenda.