Depuis hier, les Ivoiriens connaissent l'identité des personnes inscrites sur la liste électorale provisoire. Elle a, en effet, été rendue publique le lundi 17 mars 2025 par le président de la Commission électorale indépendante (CEI), Ibrahime Coulibaly-Kuibiert, au siège de l'institution à Cocody. C'est une liste forte de 8 761 348 d'électeurs, soit 4 528 554 d'hommes et 4 232 794 de femmes, qui a été communiquée.
Cette Liste électorale provisoire (LEP) doit être affichée dans tous les bureaux de vote et à l'étranger et sa diffusion ouvre la période de contestation prévue par la loi. Ainsi, les Ivoiriens ont jusqu'au 5 avril 2025, soit pendant une quinzaine de jours, pour faire des réclamations auprès de la CEI. Trois cas de figure sont possibles pour la corriger : l'inscription des personnes omises, la correction d'erreurs matérielles et la radiation des électeurs indûment inscrits.
Parmi les grands absents de cette liste, figurent Laurent Koudou Gbagbo et Charles Blé Goudé, sans grande surprise en réalité. L'ancien président de la République ivoirienne et son ministre de la Jeunesse, après s'être extirpés des fourches caudines de la Cour pénale internationale où ils ont croupi près de dix ans dans le cadre des enquêtes liées aux violences postélectorales de 2010, sont en effet sous le coup d'autres condamnations.
Laurent Gbagbo avait écopé de 20 ans de prison ferme dans l'affaire du casse de la BCEAO lors de la crise postélectorale 2010-2011. Charles Blé Goudé, lui, avait été condamné par contumace à la même peine en fin décembre 2019, en sus de 200 millions de francs au titre des dommages et intérêts aux victimes de cette crise. Des condamnations qui privent donc les intéressés de leurs droits civiques. Et depuis un certain temps, une partie de la classe politique et de la société civile ivoirienne réclament une révision de cette liste électorale. Une chose qui n'a pu être faite pour des questions de délai, si l'on en croit le président de la CEI pour qui son institution est tenue de « respecter un calendrier précis et serré ». Cela ne permet pas une nouvelle révision avant l'échéance de 2025, précise-t-il.
Mais en réalité, on se demande si l'argument temporel n'est pas un prétexte et si cela ne procéderait pas plutôt d'un manque de volonté politique réelle. L'Enfant terrible de Mama et Charles Blé Goudé, depuis des lustres, n'ont eu de cesse, d'affirmer que leurs procès par contumace et leurs condamnations étaient purement politiques. Et en lieu et place de la grâce présidentielle qui avait été prise par le président Alassane Dramane Ouattara le 22 février 2024, eux, comme tous les condamnés de cette période trouble de l'histoire politique ivoirienne, ont toujours souhaité en vain une amnistie qui nettoierait leurs casiers judiciaires. Sauf tremblement de terre politique, la présidentielle du 25 octobre 2025 se fera donc sans Laurent Gbagbo ni Charles Blé Goudé.
Pourtant le PPA-CI que l'ex-président a créé à son retour en Côte d'Ivoire avait investi le Woody comme son candidat naturel le 10 mai 2024 à ces joutes électorales. Il va lui falloir donc revoir ses plans, car à sept mois de l'élection présidentielle, on voit mal Alassane Dramane Ouattara et ses partisans créer les conditions pour une participation inclusive de tous les prétendants.
Reste à savoir ce que ces disqualifications, sous réserve des réclamations possibles, peuvent avoir comme conséquence sur le climat politique ivoirien. On le sait, depuis pratiquement la mort de Felix Houphouët Boigny en 1993, la Côte d'Ivoire est en proie à des troubles socio-politiques qui tirent, entre autres, leurs origines de la disqualification d'ADO à la présidentielle de 2000. Voilà qu'un quart de siècle après, ceux qui avaient été injustement disqualifiés hier, se rendent à leur tour coupables de disqualification d'autres Ivoiriens.
Une chose est sûre, cette récente décision de la CEI ne va pas servir les intérêts de la réconciliation et de la paix sociale que tous les Ivoiriens appellent de leurs voeux depuis de longues années, en vain jusque-là. Et tout se passe comme s'il y a une espèce de paix fourrée et on se demande toujours si sous la cendre politique ne couve pas encore le feu de ces interminables querelles d'exclusion.