D'un régime à l'autre, d'une direction à l'autre, la compagnie aérienne s'impose dans le débat populaire. Qu'il s'agisse d'un atterrissage forcé après un demi-tour à l'aéroport sir Seewoosagur Ramgoolam à une panne technique à Charles de Gaulle, de la mise à pied d'une responsable syndicale à l'exode des pilotes vers d'autres compagnies aériennes étrangères, Air Mauritius (MK) suscite toujours de l'intérêt et alimente des conversations entre les murs du paille-en-queue national. Car, au-delà de son rôle économique, elle demeure une fierté nationale, intimement liée à l'histoire de l'Indépendance du pays.
Or, alors que le pays vient de fêter dignement son 57e anniversaire, celui de MK a connu un long parcours mouvementé, alternant entre périodes de stabilité et crises profondes. D'une entreprise longtemps rentable malgré l'ombre d'une caisse noire à celle marquée par des déboires financiers, des décisions stratégiques discutables, d'une succession de Chief Executive Officers (CEO) - plus d'une douzaine en 25 ans - et finalement sa mise à mort technique après son placement sous administration volontaire en avril 2020. Sa survie par la suite à coups de milliards d'Airport Holdings pour masquer ses dettes, doublée de l'influence politique exercée sur les employés par Lakwizinn.
Dans ce qu'entreprend actuellement le tandem Beegoo-Thomas pour «turn around» MK, il y a sans doute de la bonne volonté, dotée d'une dose de sincérité. Même si, au moment de leur nomination à la tête de MK, des voix se sont élevées, dans la presse comme sur les réseaux sociaux, pour discuter du choix de ces nominés politiques. En estimant sans rancune qu'ils sont peut-être des «has-been» et s'il n'y avait pas de jeunes professionnels brillants de l'aviation, à Maurice comme dans la diaspora mauricienne, qui auraient pu occuper ces postes de dirigeants à Air Mauritius.
Car personne ne peut contester le fait qu'au sein du board, il y a sans doute des directeurs qui ont été des générateurs d'idées à leur époque pour faire avancer MK dans un certain environnement. Mais aujourd'hui, ils peuvent être en décalage face aux défis d'une industrie de l'aviation internationale post-pandémique en perpétuelle mutation. Et loin aussi d'adhérer au message du changement souhaité par l'Alliance du changement et de son leader, Navin Ramgoolam, qui a construit sa campagne autour d'une rupture avec le passé. Aujourd'hui, il avance que ce sont des gens d'expérience qui ont su donner des résultats dans le passé et qui pourront être à la hauteur pour surmonter les défis auxquels la compagnie est confrontée. On saura le moment venu !
À la faveur de sa première conférence après deux mois presque jour pour jour depuis sa nomination à la présidence et au poste de directeur exécutif du Managing Committee de MK, Kishore Beegoo, entouré de sa nouvelle équipe de direction, a exposé son constat après un état des lieux de la compagnie la semaine dernière à la presse. On retiendra de son long exposé de plus d'une heure qu'il est déterminé à sortir la compagnie de la zone rouge, avec des pertes accumulées de Rs 15,7 milliards aujourd'hui et celles spécifiquement de Rs 317 millions au terme de son audit financier en mars 2024, pour se retrouver dans une situation d'équilibre financier dans une année et renouer avec la profitabilité dans deux ans.
Tant mieux pour cette prouesse financière. Encore faut-il qu'il détaille à travers une prévision budgétaire comment il compte procéder pour arriver à un tel résultat financier. C'est quoi son modus operandi ? Est-ce, comme soutiennent certains spécialistes de l'aviation, qu'il faudra rationaliser son réseau, adapter sa flotte d'une manière personnalisée en fonction des spécificités de chaque destination, retrouver sa ponctualité, restaurer ses fonctionnalités de marketing et son service client d'antan tout en s'adaptant à la dynamique de ses marchés ? Mais avant tout, pouvoir augmenter sa production et ses ventes pour renflouer ses revenus, couvrir les dépenses et renouveler sa flotte.
Probablement, Kishore Beegoo viendra avec son plan de restructuration, assorti d'une feuille de route chiffrée lors d'un prochain exercice médiatique. Entre-temps, il a déjà annoncé vendredi un «audit forensic» avec l'aide des étrangers. Certains s'interrogent sur la pertinence d'un audit supplémentaire alors que lui et son équipe ont déjà passé deux mois à identifier tous les maux qui rongent cette société, dont les mauvaises décisions stratégiques prises par l'ancienne direction sous les instructions de Lakwizinn.
Mémoire institutionnelle
Il va de soi, explique un ancien CEO de la compagnie, que depuis la sortie des mains de l'administrateur, MK s'est réduite comme peau de chagrin, affaiblie avec une flotte qui frise le ridicule vu son ambition jadis dans la région, et un personnel qui ne peut plus s'appuyer sur des éléments expérimentés et ayant la mémoire institutionnelle de la société.
On peut comprendre la logique dans les propos de Kishore Beegoo, qui affirme qu'il ne peut «en trois mois ou une année réparer tout le mal qui a été fait en dix ans». C'est l'évidence même. Mais il ne faut pas pour autant regarder systématiquement dans le rétroviseur, même si chacun est conscient que c'est un vaste chantier qui attend la nouvelle équipe. Et que face à des syndicats à MK qui sont généralement très vocaux, la confrontation risque d'être musclée. D'ailleurs, ils ont commencé à se faire entendre dans la presse suivant la première sortie du chairman.
Il va de soi que l'État ne peut laisser mourir sa compagnie aérienne même si elle affiche des pertes. Au-delà de son rôle stratégique de connectivité, disent les experts, sa contribution économique est jugée énorme, avec des retombées de ses opérations qui confèrent plus de valeur à l'écosystème que les pertes qu'elle subit actuellement. Aujourd'hui, la réalité veut que sans MK, le pays ne récolterait que des miettes de l'industrie touristique, vu que les billets d'avion et l'hébergement, qui sont les deux principaux postes de dépenses d'un touriste, sont réglés hors de Maurice. Il n'y a que les recettes de billets qui sont rapatriées à Maurice en devises fortes et comptabilisées dans les chiffres d'exportation.
Comme dirait l'autre, «the onus» est sur la capacité du tandem Beegoo-Thomas à faire rebondir MK pour prendre son envol. Dans les jours, semaines et mois à venir, chaque fait, geste et action de la nouvelle équipe seront scrutés et surveillés comme le lait sur le feu. Les passagers, eux, attendent avant tout une chose : ne plus entendre parler de vols retardés ou annulés.