Ile Maurice: «Nous sommes tous responsables des déchets que nous produisons»

interview

La gestion des déchets est un véritable casse-tête. Le site d'enfouissement de Mare-Chicose est saturé et subit une pression croissante avec l'augmentation des détritus qui y sont déposés. Cependant, des organisations non gouvernementales (ONG) comme We-Recycle, conscientes de la fragilité environnementale de Maurice, s'engagent dans le recyclage. À l'occasion de la Journée internationale du recyclage, célébrée hier, Stéphanie Jacquin, directrice de l'ONG, dresse un constat inquiétant sur la situation du recyclage, notamment face aux défis financiers auxquels ces organisations sont confrontées.

We-Recycle collecte des plastiques recyclables et des cannettes depuis plusieurs années. Comment évaluez-vous l'évolution du recyclage à Maurice depuis vos débuts ?

Il y a une évolution positive du recyclage à Maurice. Nous voyons qu'il y a une volonté grandissante de la part du public d'aller vers des solutions durables, telles que le tri sélectif. Nous avons également constaté, à travers le volume croissant de déchets plastiques et de canettes de boissons que nous collectons dans les poubelles de tri à Rivière-Noire, que la population devient de plus en plus consciente de l'importance du recyclage et fait l'effort de trier. On observe aussi, depuis quelques années, l'émergence d'initiatives de recyclage. Il y a une dynamique, mais il manque encore les infrastructures nécessaires pour que le secteur soit réellement porteur.

La population de Rivière-Noire semble bien habituée au tri des déchets. Avez-vous des chiffres ou des estimations sur le taux de participation des habitants à votre programme de recyclage ?

Il est bon de préciser ici que les conseils de district qui ont mis en place les poubelles de tri dans leurs villages demandent généralement, à travers un appel d'offres, non seulement que le prestataire choisi offre le service de collecte gratuitement, mais aussi que ce collecteur rémunère le conseil de district pour chaque kilo de déchets collecté dans ses poubelles de tri. Ainsi, il y a aujourd'hui des attentes des autorités publiques selon lesquelles la charge financière de la collecte devrait être entièrement supportée par le collecteur, ce qui est quelque peu irréaliste. Comme nous desservons les poubelles du District Council de Rivière-Noire depuis plusieurs années, nous avons entamé le dialogue concernant le paiement au conseil de district pour les déchets et avons réussi à faire annuler cette clause. Il nous a cependant été difficile d'aller plus loin dans les discussions.

Bien qu'il existe des subsides pour l'exportation et le recyclage local du plastique PET, ceux-ci ne sont perçus directement que par les exportateurs et les recycleurs. Les collecteurs comme We-Recycle ne sont pas éligibles pour recevoir directement ces aides, alors que la collecte est un maillon essentiel pour rendre le recyclage possible. Nous avons soumis des demandes auprès de la National Social Inclusion Foundation afin d'obtenir plus de visibilité sur les critères et les procédures à suivre pour bénéficier d'un financement annuel couvrant au moins une partie de nos dépenses administratives.

Cela nous aurait permis d e nous aligner et d'intégrer ce groupe d'ONG bénéficiant d'un financement régulier, ce qui nous aurait apporté davantage de stabilité. Mais nos demandes n'ont pas abouti. Au vu de nos difficultés financières croissantes ces derniers mois, nous avons sollicité une rencontre avec les nouveaux ministres de l'Environnement. Nous attendons toujours un retour.

Vous avez lancé une levée de fonds sur Small Step Matters pour assurer la continuité de votre service. Pourquoi est-il si difficile d'obtenir un financement régulier pour une initiative aussi essentielle ?

Beaucoup d'entreprises ont fait le choix de soutenir des projets sociaux liés à la pauvreté, à l'égalité ou encore à l'accès à l'éducation, par exemple. D'autres soutiennent des causes environnementales en faveur de la protection de la biodiversité. Certaines entreprises, ne générant pas de déchets plastiques dans leurs opérations, ne se sentent pas concernées par cette problématique. De manière générale, la cause des déchets est bien moins «sexy» que d'autres, ce qui explique qu'elle ne suscite pas autant d'intérêt. S'agissant du financement par les autorités publiques, nous avons déjà mentionné les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

En l'absence de votre service, les déchets plastiques finissent à Mare-Chicose. Pensez-vous que Maurice est prête à adopter un système de gestion des déchets plus structuré, comme une collecte sélective nationale ?

Le tri à la source et la collecte des déchets recyclables au niveau national sont déjà prévus dans la Waste Management and Resource Recovery Act 2023. Ce n'est désormais qu'une question de temps avant que le système de collecte des déchets recyclables ne soit déployé sur tout le territoire. Il y a quelques mois, les feux à Mare-Chicose nous ont permis de constater, malgré nous, à quel point notre dépotoir est saturé depuis longtemps.

Aujourd'hui, la nécessité d'une gestion durable des déchets est devenue si urgente qu'on ne devrait même plus se demander si Maurice est prête, mais plutôt reconnaître qu'il faut aller de l'avant avec ce système de collecte sélective, accompagné d'un programme de sensibilisation pour éduquer la population aux bons gestes de tri. Notre pays a déjà trop tardé à implémenter le tri à la source et il est grand temps que les pouvoirs publics assument pleinement la gestion de la collecte des déchets triés, qui est pour le moment partiellement assurée par certaines ONG sans aide financière publique.

Quelles seraient les solutions à long terme pour assurer la pérennité de We-Recycle ?

Nous accueillons très favorablement l'implémentation de la Waste Management and Resource Recovery Act 2023, car cela signifie que le pays progresse dans une meilleure direction, même si cela implique que notre activité de collecte sera appelée à diminuer. Nous préparons notre changement d'orientation stratégique depuis plus d'un an. Nous explorons notamment des opportunités de semirecyclage pour certains plastiques, afin de fournir de la matière première à certains recycleurs. Cela nous permettra de réaliser une autonomie financière partielle et de réduire notre dépendance aux donations de Corporate Social Responsibility des entreprises privées.

Quel message souhaitez-vous adresser aux entreprises et aux citoyens pour les inciter à soutenir votre initiative ?

La gestion des déchets est l'affaire de tous. Nous sommes tous, à un niveau individuel, producteurs de déchets dans nos foyers et responsables des déchets que nous produisons. Nous ne pouvons continuer à détourner les yeux, à ne pas nous sentir concernés et à penser que le problème se réglera de lui-même. Que se passera-t-il lorsque Mare-Chicose renverra les déchets aux stations de transfert par manque de place et que les stations de transfert, qui sont aussi saturées, ne pourront plus accueillir de déchets ? Si on attend que tout cela arrive avant de porter un intérêt à la cause, il sera trop tard.

Quels sont les principaux défis qui freinent le développement du recyclage dans le pays ?

Il existe des usines de recyclage à Maurice, mais ces dernières font face à plusieurs défis. Les recycleurs rencontrent des difficultés pour s'approvisionner en matières recyclables décontaminées. Il est essentiel de comprendre que pour que le recyclage soit efficace, les déchets utilisés comme matières premières doivent être propres et composés d'un seul type de matériau.

Par exemple, un plastique contaminé par de la nourriture en sauce sera difficilement, voire pas du tout, recyclable. De même, un plastique laminé, constitué de couches de différents types de plastique, sera également difficile à recycler, car il faudra d'abord séparer ces matériaux pour les traiter selon des méthodes adaptées à chaque type de plastique. Malheureusement, ni les emballages ni les produits ne sont conçus pour faciliter le recyclage en fin de vie, ce qui complique le travail des recycleurs locaux.

Un autre défi freinant le recyclage est le manque de débouchés pour la vente de produits recyclés. Il faudrait encourager la mise en place de marchés pour les produits recyclés. Les pouvoirs publics pourraient être précurseurs, par exemple, en rendant obligatoire un certain pourcentage d'achats de produits en matières recyclées. Les écoles publiques pourraient, par exemple, être équipées de pupitres et de chaises en plastique recyclé fabriqués localement. Le gouvernement pourrait imposer que les manuels scolaires soient imprimés uniquement sur du papier recyclé. De cette façon, on garantirait qu'un marché existe et fonctionne pour la production et la vente de produits issus du recyclage local. Cela montrerait tout le soutien du gouvernement envers les entrepreneurs mauricien s engagés dans le recyclage.

Le recyclage des déchets électroniques et des batteries reste un problème. Que pourrait-on faire pour mieux encadrer leur collecte et leur traitement ?

Il existe des facilités de traitement pour les déchets électriques et électroniques à Maurice. Ce n'est pas leur traitement pour le recyclage qui pose problème, mais plutôt leur collecte. Une façon d'aider le système de collecte à mieux fonctionner est d'introduire la Responsabilité élargie du producteur. Selon ce principe, les personnes qui mettent sur le marché certains produits peuvent être rendues responsables du financement ou de l'organisation de la prévention et de la gestion des déchets issus des produits électriques et électroniques en fin de vie. Avec ce système, qui a fait ses preuves dans plusieurs pays, la collecte, le traitement et le recyclage des déchets électriques et électroniques seraient pris en charge.

D'autre part, bien qu'il existe des lois contre le dumping des ordures, on voit très régulièrement des déchets tels que des réfrigérateurs usagés atterrir dans la nature. Il faudrait durcir les lois sur le dumping et encourager les citoyens à dénoncer ces pratiques.

Quels pays ou modèles pourraient inspirer Maurice pour améliorer son système de gestion des déchets et de recyclage ?

Nous avons aujourd'hui plusieurs exemples de pays développés ayant mis en place un système de gestion des déchets pour le recyclage (prévention, collecte, tri et recyclage). Peu importe le ou les pays dont on pourrait s'inspirer, il sera important de prendre en compte les aspects culturels propres à Maurice. Sans une adaptation au contexte local, les solutions auront peu de chances de fonctionner.

Pensez-vous que des initiatives comme We-Recycle devraient être étendues à d'autres régions de l'île ?

Il existe des organisations non gouvernementales qui collectent déjà dans d'autres régions de Maurice et qui, bien qu'elles fassent face à des difficultés de financement, apportent leur pierre à l'édifice en rendant possible le recyclage. Tout comme We-Recycle, ces organisations sont également impliquées dans la sensibilisation pour encourager la population mauricienne à pratiquer le tri sélectif avec les moyens actuellement disponibles. Elles sont aussi livrées à elles-mêmes pour trouver du financement, alors qu'elles accomplissent un travail de terrain extrêmement bénéfique pour un futur durable pour notre pays.

Pérennité de la collecte : We-recycle lance un appel à la solidarité

Dans un contexte international et local marqué par le réchauffement climatique aggravé par la pollution, We-Recycle collecte depuis plusieurs années les plastiques recyclables et les canettes pour éviter qu'ils finissent dans les ordures générales et contribue ainsi à désencombrer le dépotoir de Mare-Chicose. Les déchets recyclables collectés sont livrés aux recycleurs locaux ou aux entreprises préparant les déchets pour l'exportation. À l'occasion de la Journée internationale du recyclage, We-Recycle a lancé un appel aux entreprises et aux citoyens pour contribuer généreusement à la collecte lancée sur la plateforme de financement participatif «Small Step Matters.org».

Depuis 2018, l'ONG a permis à plus de 145 000 kg de déchets divers de trouver une seconde vie, au lieu de finir à l'enfouissement. L'activité de collecte se concentre principalement sur les régions de Rivière-Noire et de Savanne. Cette opération nécessite de nombreux frais, notamment l'entretien des camions de collecte, le diesel et la rémunération du personnel (deux chauffeurs et deux «helpers»). C'est pourquoi We-Recycle a lancé une levée de fonds pour un montant de Rs 266 200 sur une période de 90 jours. Le manque de fonds et de sponsors met en péril la pérennité du service.

Mandatée par le conseil de district de RivièreNoire, l'ONG assure gratuitement la collecte. Sans ce service, le conseil aurait des difficultés à trouver un collecteur privé capable de couvrir l'ensemble du district, de Richelieu au Morne, en passant par Flic-en-Flac et Chamarel. La population de Rivière-Noire est désormais habituée à cette collecte régulière et pratique le tri sélectif. En l'absence de ce service, ces bonnes habitudes disparaîtront et les déchets plastiques finiront à Mare-Chicose. Les dons donneront lieu à des reçus «Corporate Social Responsibility» et individuels pour la Mauritius Revenue Authority.

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