Ile Maurice: «Beaucoup de gens ne connaissent pas l'existence du musée de l'esclavage»

interview

Comment accueillez-vous la nomination à la présidence du Musée de l'esclavage intercontinental annoncée le 28 février ?

Je l'accueille avec beaucoup d'humilité. Je profite de l'occasion pour dire que je ne suis pas demandeur de quoi que ce soit, comme beaucoup de mes camarades de Rezistans ek Alternativ (ReA). C'est bon que j'explique comment c'est arrivé.

Vous n'êtes pas un «roder bout» donc ?

Je préfère ne pas utiliser de qualificatif. Je n'ai pas été demandeur de quoi que ce soit. Pour situer les choses, fin 2024, des Research Assistants du musée ont pris contact avec moi. L'institution pour laquelle je travaille, Centre for Alternative Research and Studies (CARES), avait déjà collaboré avec le musée. Comme ces employés ont des contrats fermés, ils n'obtiennent pas d'ajustements salariaux, leur sécurité d'emploi, leur statut est en jeu.

Nous avons identifié deux approches : l'une classique, syndicale, et l'autre, qui découle du changement de gouvernement, consiste à aborder les choses de manière structurelle. Cela signifie revoir le statut juridique du musée. Par la suite, les contractuels seront rattachés à la nouvelle entité.

En tant que «Special Purpose Vehicle», le musée a combien de contractuels ?

Environ 13 personnes.

De leur négociateur syndical, vous êtes devenu leur président ?

Je ne suis pas un négociateur syndical, même si c'est ma sensibilité. Entre-temps, le nouveau ministre des Arts et de la culture, Mahen Goondea, a pris ses fonctions. Nous lui avons écrit pour dire les difficultés rencontrées au musée et avons demandé à le rencontrer. Il nous a reçus.

Vous avez accompagné ces contractuels auprès du ministre avant de savoir que vous seriez nommé président ?

Cela a coïncidé avec la reconnaissance officielle de l'acte d'insurrection d'Anna de Bengale, le 2 février. Nous l'avons commémoré à Vieux-Grand-Port. Comme j'avais la mission de coordonner cette activité et que j'en étais le master of ceremony, j'ai rencontré le ministre un peu plus souvent. Il a proposé - à travers l'honorable Ashok Subron - kifer Stephan pa chair ISM ?

Le musée de l'esclavage a un responsable à mi-temps. Cela reflète l'importance de l'institution ?

Plusieurs institutions publiques ont des présidents à temps partiel. C'est peut-être en raison des coûts, pour rester cohérent avec le discours du gouvernement qui a dit que le state of economy n'est pas bon du tout. Je suis convaincu que c'est un travail à plein temps, mais il faut faire la part des choses entre le travail du président et celui du management. Pour moi, la notion de temps partiel est simplement sur une base contractuelle. Lor papie. Mais le travail lui est à plein temps. Kan mo sorti dan mize, mo latet pou kontinie travay. Si je dis que je suis un président à temps partiel, cela laisse un vide. Dans tous les cas, ce sera un full time dedication.

Quel est le premier dossier que vous avez attaqué ?

La priorité, c'est le statut des travailleurs. On ne mesurera pas le succès de ce projet par la quantité d'argent qu'il rapporte, mais il est extrêmement important pour Maurice.

Comment mesurerez-vous le succès du musée de l'esclavage intercontinental ?

La première chose qui m'a étonné c'est que beaucoup de gens ne connaissent pas l'existence de ce musée. Quand on parle du musée de Port-Louis ou de Mahébourg, dimounn kone. Nous mesurerons le succès par le nombre de visiteurs.

Vous avez des chiffres ?

Pour l'année dernière, c'était 30 000.

Vous partagez la vision d'un «cultural heritage district» dans cette région de Port-Louis ?

C'est très important pour l'unité nationale. L'Aapravasi Ghat marque l'arrivée des travailleurs engagés. Le musée commémore les personnes esclavées, cela forme partie de deux processus de peuplement qui ont fondé Maurice. Nous sommes complémentaires.

Quelle vision de l'esclavage souhaitez-vous mettre en place au musée ?

Je ne prétends pas être historien, mais l'histoire de l'esclavage dans l'océan Indien reste à être racontée. Le narratif mondial de la traite négrière est dominé par le commerce transatlantique. Il y a des dynamiques et des contradictions qui sont propres aux États-Unis par exemple. Même Trump est une manifestation de ces contradictions. Il ne faudrait pas importer les problèmes. Nous devons raconter notre version de l'histoire, c'est cela qui enrichit l'histoire de l'humanité.

Prenez le travail de Joel Edouard (NdlR, doctorant d'origine rodriguaise qui a retranscrit le procès d'Anna de Bengale du néerlandais du 17e siècle à l'anglais), c'est extrêmement important pour le musée et pour Maurice. Cela met en lumière une période qui n'est pas suffisamment connue à Maurice. Avant que les Français ne débarquent, ti ena dimounn ki ti la, des communautés de marrons qui émanent de cette colonisation hollandaise. Il faudrait savoir qui ils étaient, qu'est-ce qui leur est arrivé.

Dans le narratif mondial, il y a eu des actes d'insurrection. Haïti est important. Durant la période hollandaise, les colonisateurs sont partis à cause des conditions cycloniques, des rats mais des marrons aussi leur ont mené la vie dure. En 1695, Anna de Bengale et ses camarades ont brûlé le fort Frederik Hendrik. Les récits historiques disent qu'à la limite le gouverneur Deodati a pu sauver sa peau. C'est quelque chose qui a compté dans la libération d'un peuple et mettre fin à un système.

C'est la résistance et la rébellion qui doivent être visibles dans le musée ?

Aussi. Beaucoup de ceux qui ont subi l'esclavage n'étaient pas fatalistes. Ils n'ont pas accepté leur sort. Beaucoup de recherches ont été faites à Maurice, il faut les poursuivre.

Le musée a une charge émotionnelle très forte, mais il doit aussi être quelque chose qui nous construit positivement. Fer ki nou diboute kouma bann fam, bann zom fier de nou listwar. Tous les enfants de Maurice doivent s'approprier de ce musée.

Il n'est pas que pour les Créoles.

Il faut défaire la sémantique. Malheureusement, à Mau- rice, on place les périodes de peuplement en silo. Ce n'était pas toujours le cas. Les avancées historiques pour les opprimés, ceux qui sont au plus bas de l'échelle, ont eu lieu quand les gens ont compris qu'ils appartenaient à une classe. Les insurrections, comme en 1943 à Belle-Vue avec Anjalay Coopen, se sont produites quand les travailleurs se sont opposés au système. C'est ce qui plus tard a donné la pension universelle, l'éducation gratuite etc. Dans les années 1970, c'est une conscience de classe qui émerge autour du Club des étudiants. Il n'y a pas de meilleure enseignante que l'histoire. Il faut que la classe des travailleurs sache d'où elle vient. Pour revenir à 1695, c'est la première forme de travailleurs à Maurice, les esclavés qui se sont rebellés. On ne les a pas amenés à cause de leur couleur de peau mais parce qu'ils étaient une main-d'oeuvre exploitée.

La stigmatisation post-esclavage a laissé beaucoup de séquelles. Notamment des questions de couleur de peau, kalite seve, etc. Il faudra travailler pour en sortir. Mais il ne faut pas tomber dans les clichés. Quand je quitterai le musée, j'espère que le visiteur en ressortira avec un sentiment d'appartenance à une riche histoire. Ce que nous appelons au sein de ReA, le multiple et indivisible.

Il y a eu des consultations publiques en amont de la conception du musée. Retournerez-vous vers ce document ?

Il faut ouvrir au maximum l'espace démocratique. L'histoire de l'esclavage a été écrite par ceux qui maîtrisent l'écriture. Ce n'était pas les esclavés. Comme Edouard Glissant l'a dit, il faut chercher des traces. Ce sera dans l'oralité, les sirandann, la poésie, les chants. Je sais que plusieurs historiens seront contre, mais il faudra laisser une part à l'imaginaire et l'oralité.

C'est l'artiste Stephan Gua qui parle ?

Si on veut que le musée devienne un espace dynamique, il faut laisser une place à l'interprétation. À la manière dont cet espace parle aux gens émotionnellement, sans verser dans la démagogie.

Parcours

Stephan Gua, 47 ans, est originaire de Tranquebar. Il vit à Saint-Pierre. Graphiste de formation, membre de ReA depuis 2010, il travaille pour CARES. Il est aussi auteur-compositeur-interprète au sein du groupe Etaé. «Je me suis engagé au sein de ReA sur la base de son combat en faveur du mauricianisme, pour décommunaliser le système politique.» Il se dit aussi «militant culturel» et a une passion pour l'histoire.

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