Avec la troisième alternance politique au Sénégal, de nouvelles perspectives de réforme se dégagent, notamment dans les secteurs clés de l'agriculture, de l'élevage et de l'industrialisation, conformément à la vision 2050.
Cependant, ces transformations ne sauraient aboutir sans une réforme foncière adaptée. La dispersion des textes législatifs actuels engendre une insécurité juridique et institutionnelle, favorisant des conflits fonciers et communautaires. Face aux défis persistants du secteur foncier, deux axes majeurs s'imposent : l'harmonisation du cadre juridique et son adaptation aux exigences du développement économique et durable.
Une nécessaire harmonisation du cadre juridique foncier
L'harmonisation du droit foncier passerait par l'adoption d'un code foncier unifié, regroupant toutes les dispositions légales et réglementaires dans un texte clair et accessible. Cette réforme renforcerait la lisibilité des normes, réduirait les conflits et garantirait une meilleure sécurité juridique pour les citoyens et les investisseurs.
Une articulation entre le Code Général des Collectivités Territoriales et le Code du Domaine de l'État.
Actuellement, le Code Général des Collectivités Territoriales, en son article 13, qui définit le domaine des collectivités territoriales gagnerait à être harmonisé avec le Code du Domaine de l'État. L'élargissement de la propriété publique exige une mise à jour de ce dernier code, tant dans son intitulé que dans son contenu, afin d'y intégrer le domaine des collectivités territoriales.
Une articulation entre le Code du Domaine de l'État et la loi sur les Partenariats Public-Privé (PPP)
Une articulation des dispositions de l'article 9 du Code du Domaine de l'État consacrant un régime rigide de protection du domaine public et celles de l'article 16 de la loi du 2 mars 2021 sur les Partenariats Public-Privé à propos des droits réels des investisseurs, est impérative. Cette réforme permettrait de clarifier le régime juridique des droits réels sur les installations du domaine public, facilitant ainsi l'accès au financement pour les investisseurs privés. En sécurisant les droits des partenaires privés, l'État favoriserait l'attractivité des investissements et la mobilisation de capitaux pour le développement des infrastructures et la modernisation des équipements publics.
Une adaptation du cadre foncier aux enjeux du développement économique et durable
La domanialité publique doit évoluer d'une approche essentiellement protectrice vers une stratégie de valorisation des terres. Cette approche de la domanialité publique, inspirée du Code français du domaine de l'État de 1957, est dépassée en ce qu'elle limite la flexibilité et l'exploitation des ressources foncières pour le développement économique.
Il faut une nécessaire valorisation foncière au service du financement des collectivités territoriales et des pôles territoriaux.
L'État demeure aujourd'hui le propriétaire quasi-exclusif du domaine public alors que les collectivités territoriales en sont essentiellement réduites à de simples gestionnaires sous le contrôle de l'État. Cette situation limite leur capacité d'action et de financement des compétences qui leurs sont transférées. Une réforme clarifiant la distinction entre domaine public et privé des collectivités territoriales permettrait d'accroître leur autonomie financière et de favoriser par extension le financement des pôles territoriaux.
L'accès à la propriété foncière pour les particuliers : un enjeu de stabilité sociale
Depuis la loi 2011-06 du 30 mars 2011, le législateur s'inscrit dans une dynamique de faciliter l'accès des citoyens à la propriété foncière, qu'il va d'ailleurs confirmer en 2017, à travers la loi 2017-31 du 15 juillet 2017. Ces efforts doivent être renforcés afin de garantir l'effectivité de la loi et d'encourager l'investissement privé. La sécurisation des titres de propriété et la simplification des procédures administratives sont essentielles pour rendre le marché foncier plus dynamique et attractif.
La prise en compte des impératifs du développement durable
Dans un contexte marqué par l'exploitation des hydrocarbures et les défis environnementaux liés au changement climatique et à la transition énergétique, la législation foncière doit intégrer les principes du développement durable. L'article 25 nouveau de la Constitution sénégalaise consacre l'importance de la dimension écologique et durable, qui devrait être pleinement reflétée dans les réformes foncières. Une meilleure régulation des activités d'exploitation des ressources naturelles et une gestion durable des terres s'imposent pour assurer un équilibre entre la croissance économique et la préservation des écosystèmes au bénéfice des populations et des générations futures.
En résumé, pour relever les défis liés à l'harmonisation et à l'adaptation du cadre juridique foncier, la réforme foncière à envisager devrait s'orienter vers l'adoption d'un code foncier regroupant tous les instruments juridiques en la matière et tenant compte des nouveaux enjeux.
Dr. Tapsirou Bocar BA
Enseignant-chercheur en droit public à l'UGB