Près de quatre mois après la coupure de Joliba TV, le 26 novembre dernier, au Mali, à la suite de la diffusion d'un débat au cours duquel la véracité d'un supposé coup d'État déjoué au Burkina Faso avait été mise en doute, les négociations pour tenter de réduire la suspension de six mois qui lui a été infligée n'avancent pas. La chaîne s'était vue, dans un premier temps, retirer sa licence par la Haute autorité malienne de la communication qui l'avait rétablie sous la pression de la Maison de la presse.
Plus aucun échange depuis la mi-février. Dernier épisode en date dans les négociations entre la Haute autorité malienne de la communication (HAC) d'un côté, Joliba TV et la Maison de la presse, qui représente la profession, de l'autre : une lettre adressée le 16 janvier par la chaîne à l'autorité malienne de régulation. « Ils estimaient jusqu'alors que nos excuses n'étaient pas sincères », explique un pilier de la rédaction qui poursuit : « Nous nous sommes donc excusés encore plus clairement et nous avons demandé leur clémence ». « Ça ne nous plaisait pas de faire ça car nous n'avons commis aucune faute. Mais c'était pour sauver la boîte », confie de son côté un cadre de Joliba.
« Nous avons fait le deuil »
Peine perdue : un mois plus tard, à la mi-février, la HAC répond enfin au courrier en maintenant la suspension de six mois prononcée contre la chaîne. Et depuis plus rien. Seules restent désormais la colère - intacte - et la résignation - forcée - des journalistes. « Les dégâts sont faits : il ne reste plus que deux mois et demi [avant la fin de la suspension], c'est sans espoir. On ne pourra plus rien changer », déplore un pilier de la chaîne. Les négociations ayant échoué, le temps de la mobilisation est-il venu ? « Ça ne vaut pas le coup », estime un chef de Joliba TV. « Nous avons tous fait le deuil », abonde quant à lui un journaliste phare de la chaîne, alors qu'un autre encore considère que « c'est trop tard ».
« Je n'étais pas pour les négociations, précise aussi ce dernier, car on ne négocie pas les principes, on ne négocie pas la liberté. J'aurais préféré qu'on organise des rassemblements, des journées sans presse au Mali... » Dès le départ, les membres de la Maison de la presse - qui rassemble toutes les associations de journalistes du pays - et les journalistes de la rédaction de Joliba ont eu des réunions animées sur la stratégie à adopter.
A l'annonce de la suspension de Joliba TV, en novembre dernier, le président de la Maison de la presse, Bandiougou Danté, avait brandi la menace d'une mobilisation nationale et d'une rediffusion dans tous les médias maliens de l'émission incriminée par les autorités. « C'était pour obtenir le rétablissement de la licence, explique un responsable de l'institution impliqué dans le dossier. Après l'avoir obtenue [en décembre dernier, NDLR], pour la réduction de la suspension, nous avons alors privilégié le dialogue. » « Nous n'avons pas voulu mettre de l'huile sur le feu, confirme un cadre de Joliba. Nous voulons simplement faire notre travail. Nous avons donc choisi, ensemble, une démarche apaisée : pas d'action de rue, pas d'attaque en justice, mais plutôt les discussions. »
«Tout le monde sait que cette sanction est politique »
Si certains journalistes de Joliba regrettent ce choix, tous saluent en revanche l'accompagnement tenace de la Maison de la presse et la solidarité sincère de l'ensemble des confrères maliens. « Nous avons été très soutenus. Ils se sont battus avec nous pour Joliba et pour la survie des médias au Mali », résume l'un d'eux. Une « survie » qui continue plus que jamais d'inquiéter, dans un contexte de transition où les libertés d'opinion et d'expression sont presque quotidiennement bafouées et où les journalistes sont obligés de s'auto-censurer sur les sujets touchant à l'armée ou aux dirigeants du pays.
Les journalistes de Joliba expriment même, de façon surprenante, une forme d'indulgence - voire de compassion - pour la HAC : «Tout le monde sait que cette sanction est politique », « la décision ne vient pas de la HAC mais d'en haut, de très haut », affirment unanimement toutes les sources jointes par RFI, à Joliba comme à la Maison de la presse.
Quant aux journalistes de la chaîne, ils regardent désormais devant, avec un retour à l'antenne prévu le 26 mai prochain, au terme des six mois d'interruption. « Nous devons nous reconstruire moralement, la rédaction est jeune et a été très affectée, explique un dirigeant. Et nous devons aussi nous reconstruire financièrement, car nous avons perdu beaucoup de contrats », lâche-t-il aussi. « Nous allons revenir, nous allons rebondir, et nous allons continuer à faire notre métier sans être les lèche-bottes de personne », promet lui un journaliste.
Sollicitée par RFI, la HAC n'a pas souhaité faire de commentaire.
Pour rappel, ce sont des propos tenus par Issa Kaou N'Djim sur Joliba TV lors d'une émission de débat qui ont déclenché toute l'affaire. En plateau, l'homme politique et médiatique malien avait jugé que des images présentées par la télévision d'État burkinabè RTB comme un flagrant délit de tentative de coup d'État ressemblaient à un « montage » - au sens de « mise en scène » - visant à « détourner l'attention de l'opinion des vraies questions ».
Des paroles qui, en plus de la suspension de Joliba TV, ont aussi valu à leur auteur une condamnation à deux ans de prison, dont un ferme, en décembre dernier, pour « offense commise publiquement envers un chef d'État étranger » et « injures par le biais de systèmes d'information ». Le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont dirigés par des autorités militaires issus de coups d'Etat et se sont regroupés au sein de l'Alliance des Etats du Sahel (AES).