Trois ans après la décision du gouvernement de revenir sur l'interdiction d'importer des aliments et de semences génétiquement modifiés au Kenya, une cour d'appel a décidé de suspendre à nouveau leur autorisation dans le pays, la semaine dernière. Un revirement inattendu et célébré, jeudi 20 mars, à Nairobi par les associations paysannes et les ONG environnementales à l'origine de la plainte, à qui la justice avait donné tort en première instance.
Pour les plaignants réunis jeudi 20 mars devant la presse à Nairobi, la décision de la cour d'appel de suspendre à nouveau les importations d'OGM au Kenya est une victoire majeure, même si la mesure n'est pour l'instant que temporaire. « Enfin, le bon sens prévaut », s'exclame ainsi, soulagé, Sylvannus Kasiti, du Groupe de référence de la société civile, une organisation qui représente des agriculteurs issus d'une dizaine de comtés kényans.
La bataille juridique engagée par plusieurs associations paysannes et ONG environnementales contre les OGM a, elle, démarré il y a près de deux ans, et s'est d'abord soldée par une déconvenue, l'année passée. La haute cour de Milimani, à Nairobi, a alors estimé que les plaignants n'avaient pas réussi à prouver le danger des OGM pour la santé et avait donc accordé son feu vert à leur importation.
Dans ce contexte, la décision prise ces derniers jours par la cour d'appel de la capitale fait donc figure de retournement inespéré. En effet, « c'est notre souveraineté alimentaire qui est en jeu », explique pour sa part Elizabeth Atieno Opolo, de l'ONG Greenpeace Africa. « Les OGM placent le contrôle des semences entre les mains de quelques multinationales, alors que la souveraineté alimentaire n'est atteinte que quand les agriculteurs contrôlent véritablement leurs semences. Il faut donc soutenir un système juste, qui ne les rende pas dépendant d'intrants très chers », poursuit-elle.
« Les semences OGM transforment les agriculteurs en esclaves de leurs propres fermes »
En 2022, pourtant, à l'inverse, le gouvernement kenyan avait pris deux mesures en vue d'augmenter les rendements agricoles : interdire les semences indigènes non réglementées d'une part, autoriser celles à base d'OGM de l'autre. « En clair : on a alors décidé de déposséder les paysans des semences qu'ils se passaient de génération en génération pour les rendre dépendants de graines coûteuses qui appartiennent à d'autres », accuse Elizabeth Atieno Opolo.
Alors que « les gens ont toujours échangé leur graines, la loi sur les semences est venue criminaliser ce troc, permettant d'arrêter des fermiers pour avoir utilisé leurs propres graines, complète Sylvannus Kasiti, qui déplore que « les semences OGM, qui ne peuvent pas être replantées, transforment [les agriculteurs] en esclaves de [leurs] propres fermes ».
C'est aussi ce que regrette Askini Asker Oongo en prenant l'exemple de son exploitation, 4 000 m² de terres dans le comté de Migori, à la frontière avec la Tanzanie, sur laquelle elle cultive du maïs, des haricots, des arachides, des patates douces et du manioc. « Je prends mes graines dans mon jardin, je les sélectionne et je les garde au sec pour la culture suivante. Elles sont gratuites !, explique-t-elle. À l'inverse, les semences OGM coûtent chers - jusqu'à 1 000 shilling [plus de 7 euros] - et elles ont en plus besoin de pesticides et d'irrigation, alors que nous n'avons pas tout cela... »
Comme Askini Asker Oongo, le Kenya compte aujourd'hui près de 7,5 millions de petits agriculteurs qui génèrent 80% de la production agricole du pays.
Celui qui contrôle les graines contrôle les prix et pourra en tirer profit.