Maroc/Centrafrique: Dertin Boulengue (Coach U17 RCA) - « Nous n'allons pas au Maroc pour faire de la figuration »

interview

Les Fauves U-17 de la République Centrafricaine n'ont pas eu le temps de bien savourer leur qualification historique en phase finale de la Coupe d'Afrique des Nations U17 CAF TotalEnergies, décrochée à l'issue du tournoi de l'UNIFFAC disputé du 16 au 22 février 2025 à Douala.

De retour à Bangui, Dertin Boulengue et ses poulains se sont tout de suite plongés dans la préparation de ce prestigieux rendez-vous continental. Depuis leur entrée en stage, le 3 mars dernier, le groupe intensifie les efforts pour arriver costauds au Maroc où la compétition est prévue du 30 mars au 19 avril 2025.

Le technicien s'est fixé un objectif ambitieux : ramener au minimum un ticket de qualification pour la Coupe du monde prévue au mois de novembre au Qatar.

Dans un entretien accordé à CAFOnline, l'ancien international centrafricain revient sur la qualification décrochée de haute lutte au pays des Lions indomptables et évoque aussi les ambitions de sa formation qui a une nouvelle opportunité de marquer les esprits après l'exploit réalisé dans la capitale économique camerounaise.

CAFOnline : Vous avez offert à la RCA, une qualification historique pour la Coupe d'Afrique des Nations U17. Comment on se sent après un tel exploit ?

Dertin Boulengue : Notre qualification historique pour la CAN U17 est une grande satisfaction pour ma personne et aussi pour les jeunes. Nous sommes rentrés dans l'histoire du football centrafricain et du football sous-régional puisque le rêve de tous les sportifs, le rêve de tous les grands entraineurs, c'est d'amener leurs poulains à une phase finale d'une grande compétition, à l'instar du CHAN, de la CAN, de la Coupe du monde, la Ligue des Champions africaine, etc...

C'est ça le rêve d'un entraineur. Moi-même, après avoir raccroché les crampons, je me suis engagé à apprendre beaucoup de choses et je pense que cette qualification n'est pas un premier exploit pour moi. Quand j'avais pris le club SCAF (Stade centrafricain), ils n'avaient pas gagné de titre pendant près de neuf à dix années. Avec moi, ils l'ont fait, après je suis allé prendre Espérance Football club du 5ème arrondissement (EFC 5) qui était resté plusieurs années aussi en seconde division pour la ramener en première division...

Aujourd'hui, le président de la fédération m'a fait confiance en me nommant sélectionneur des U-17. Et bien avant qu'on ne parte au Cameroun, j'ai dit à mes poulains : « je vais entrer dans l'histoire avec vous ». Si vous voulez qu'on rentre dans l'histoire, il faut prouver de quoi nous sommes capables et je pense que l'histoire ne retiendra que le résultat. Je leur ai dit que parmi les Fauves de Basket qui ont remporté l'Afro-basket en 74 et en 87, beaucoup ne sont plus de ce monde mais on continue aujourd'hui de parler de ces anciennes gloires. Mais s'ils rêvent, un jour, on parlera aussi d'eux même s'ils ne sont plus en vie. Je pense que c'est sur cette lignée que nous nous sommes inscrits pour nous surpasser et arracher cette qualification historique.

Vous avez débuté le tournoi de qualification sur une cinglante défaite face au Cameroun 9-0. Comment avez-vous réussi à vous remettre mentalement de cette humiliation pour aller vous imposer face à vos prochains adversaires et vous qualifier ?

Je pense que la défaite, c'est une leçon. C'est vrai que nous sommes tombés plus bas : 9 buts à 0 devant le Cameroun... Mais maintenant, on avait trois matches. Si on ne s'en tenait qu'à ce résultat catastrophique, je pense qu'on n'allait pas passer. Il fallait parler à ces enfants, les remodeler, les pousser, leur donner des bouffées d'oxygène pour qu'ils puissent se remettre et c'est beaucoup plus sur le plan mental. Je leur ai dit : « il nous reste deux matches, une demi-finale et une finale pour nous qualifier ». Quand nous avons fait la dernière séance pour aller jouer contre la RDC, le staff technique était confiant.

Moi, particulièrement, j'étais très confiant de mes poulains, de ce qu'ils ont réalisé comme travail pendant les séances, ils ont répondu présent et ça nous a donné confiance. Cela fait qu'au cours du match, ils ont respecté les consignes, même si je ne peux pas dire à 100%, ils les ont respectées à 75-80% et c'est cela qui nous a permis vraiment de faire la « remontada » pour gagner le match contre la RDC et oser une qualification. Lorsque nous avons gagné la demi-finale, il était question qu'on prenne la finale et la finale, c'était contre le Gabon. C'est là où on a pu négocier cette victoire et se qualifier.

Vous devenez le deuxième coach centrafricain à qualifier une sélection locale pour un rendez-vous continental après Sébastien Ngato. Est-ce qu'il fait partie des hommes qui vous ont inspiré ?

Sébastien Ngato est un coach qui m'a pris en club SCAF en 2008 et je pense que c'est une année plus tard que j'ai raccroché les crampons. On avait terminé champion et on était allé en Guinée Equatoriale jouer contre Elá Nguema. Donc, vous voyez, c'est un entraineur pour lequel j'ai beaucoup d'estime, c'est un vieux qui m'a pris en club mais plusieurs années aussi en équipe nationale. Je pense qu'il fait partie également des gens qui m'inspirent parce que quand il m'entrainait, il a commencé à m'initier dans beaucoup de choses.

Quand j'étais en équipe nationale, il me confiait des responsabilités, pour diriger l'échauffement, etc... Je pense que quand on faisait cela, on pensait que c'était des amusements mais c'était une façon de nous donner le goût de devenir plus tard un entraineur. Et c'est cela qui m'a donné l'envie de devenir entraineur.

En 2010 déjà, j'étais entraineur des U17 du club SCAF. Voyez-vous, aujourd'hui, je rentre dans l'histoire après cet ainé et je me dis qu'on ne va pas en rester là, il faudra toujours continuer à oser et je pense que l'avenir est prometteur. Si on continue de bosser, je pense que d'ici quatre-cinq-six années, la République centrafricaine rentrera dans l'histoire du football africain.

Qu'est-ce qu'une qualification pour cette Coupe d'Afrique des Nations U17 représente pour vous ?

Cette qualification pour la Coupe d'Afrique des Nations représente pour moi quelque chose de grand. Non seulement, c'est le nom de la famille qui est hissé parce que je l'ai fait en tant qu'acteur sur le terrain et aujourd'hui, je le fais en tant qu'entraineur. Je pense que c'est historique, c'est une première, c'est le nom de la famille. Moi-même quand je jouais, je rêvais de cette qualification et je me suis dit qu'un jour, je le ferai si j'ai cette possibilité de devenir sélectionneur, quelle que soit la catégorie: U-17, U-20, et même l'équipe sénior, pourquoi pas !

Les instructeurs de la CAF nous disent que l'histoire ne retient que les résultats et s'il n'y a pas les résultats, on ne s'en souvient pas. C'est une fierté pour la famille, une fierté pour la République parce que cette qualification, effectivement, n'est pas seulement pour les acteurs, ni pour la fédération mais cette qualification est historique et je pense que c'est l'ensemble du peuple centrafricain qui en est fier.

Comment se passe la préparation ? Quand on se présente pour la première fois à une compétition comme celle-là, quels sont les aspects sur lesquels on met davantage un accent ?

Depuis le 3 mars, nous avons repris les séances d'entrainement et ça se passe très bien. Nous avons le soutien des entraineurs locaux, des entraineurs expatriés, sur le plan physique, sur le plan tactique, etc... Tout doucement, on prépare cette phase finale et nous allons travailler sur tous les facteurs parce qu'on ne peut pas travailler seulement sur le côté tactique.

Si on travaille tactique et que les enfants ne s'améliorent pas sur le plan technique, je pense que les choses ne vont pas aller très bien. Nous devons aussi travailler sur le plan physique parce que c'est une compétition et ça démarre dans la poule pour arriver jusqu'à la finale, donc, c'est plusieurs matches.

Il faut que les enfants soient aguerris d'une manière physique, sans oublier que l'aspect mental est aussi beaucoup plus capital parce qu'on parle beaucoup à ces enfants, avant, pendant et après les séances d'entrainements car c'est important qu'ils comprennent qu'aujourd'hui, c'est eux qui sont en vedette, il faudrait qu'ils rentrent véritablement dans cette histoire pour qu'on puisse parler d'eux. Et il n'y a pas que ça parce que ces enfants, quand on était encore au Cameroun, ont été courtisés par des scouts de plusieurs équipes qui venaient d'Europe.

Aujourd'hui, les gens attendent de les voir pour une deuxième fois à cette CAN et s'ils prouvent, ils vont certainement signer des contrats. Nous sommes en train de focaliser notre attention sur tout cela pour qu'ils soient vraiment des guerriers, des travailleurs avec un esprit du goût de l'effort, de la cohésion du groupe...

Avez-vous l'effectif dont vous rêvez pour vous rendre à cette compétition ? Allez-vous reconduire l'effectif présent au Cameroun ou l'améliorer ?

Aujourd'hui, nous avons un effectif de 17 joueurs parce que nous sommes allés au Cameroun avec 20 joueurs et 3 ont été recalés lors des tests IRM. Nous sommes 17 aujourd'hui plus la Diaspora qui devrait aussi venir nous prêter main forte. Nous avons des centrafricains qui ont déjà goûté au maillot dans les catégories U20 quand bien même ils ont 15-16 ans.

Donc, d'ici le 19 mars prochain, ces enfants vont descendre ici à Bangui et ensemble, on va faire la préparation pour se rendre au Maroc une semaine plus tard. Donc, j'ai un effectif total de 26 joueurs mais mon souhait est que ça se passe bien parce que parmi les joueurs de la diaspora, il y en a qui ont des passeports et d'autres qui n'en ont pas. Ils viendront ici pour faire leurs passeports et ce sera aussi l'occasion de les tester s'ils ont effectivement le niveau. C'est un renfort qui va nous permettre d'avoir une équipe dynamique.

La RCA est logée dans la poule D en compagnie du Mali, de l'Angola et de la Côte d'Ivoire. Que savez-vous de ces adversaires ? Y a-t-il de la place pour envisager une qualification pour le second tour ?

Si vous l'avez remarqué, depuis au moins environ quatre ou cinq ans, Il est difficile de donner une équipe favorite dans un tournoi et elle arrive au dernier carré. Aujourd'hui, le football ne se joue plus sur le papier, ce n'est pas une science exacte. Le Mali, la Côte d'Ivoire, l'Angola, c'est des noms et maintenant, ça se joue sur le terrain.

Aujourd'hui, on n'y va pas juste pour participer. Ce discours est déjà banni au niveau de la fédération, aujourd'hui, le président de la fédération nous a dit que quand il va participer à une compétition, c'est pour la gagner et je pense que ce message est vraiment reçu par tous les entraineurs des équipes nationales, raison pour laquelle vous voyez désormais plusieurs sélections qui sont qualifiées.

Il y a les U17, il y a eu les U20 et il y a aussi l'équipe du CHAN. Aujourd'hui, nous attendons aussi nos aînés pour arracher une qualification pourquoi pas pour le prochain mondial... Pour ma part, mon staff et moi, on travaille tout doucement, selon l'adversaire, on va dans cette phase finale pour gérer match après match pour capitaliser les points et espérer une qualification pour le second tour.

Nos adversaires, nous sommes en train de chercher des voies et moyens pour obtenir leurs vidéos de matches pour juger de leur niveau et analyser leurs qualités, leurs points forts, leurs points faibles et essayer de travailler ça à l'entrainement. Nous sommes dessus avec un compatriote et je pense que d'ici peu, nous allons avoir tous les outils qui vont nous permettre de travailler vraiment avec toutes les données qui vont nous permettre de bien aborder ces différents pays.

Quel est l'objectif que vous vous êtes fixé pour cette compétition à laquelle votre pays participe pour la première fois ?

L'objectif premier que le groupe s'est fixé, ce n'est pas d'aller prendre la Coupe d'Afrique des nations, ça, il fallait que je le dise au peuple centrafricain. C'est une première participation mais il faut oser. Comme je l'ai dit tantôt, on va gérer match par match. Pour nous, l'objectif, c'est d'être parmi les 10 premiers qui vont participer à la Coupe du monde au Qatar au mois de novembre.

Voilà l'essentiel pour nous centrafricains. On n'y va pas pour faire de la figuration, pas pour faire piètre figure, on part effectivement comme une nation de football, ça, je le dis. Nous sommes 16 nations qualifiées et nous devons être parmi les dix premiers qui vont se qualifier pour la Coupe du monde au Qatar. Voilà le premier objectif mais les autres s'en suivront lorsqu'on évoluera match après match. Nous allons travailler minutieusement pour négocier au moins cette qualification.

Avez-vous un message à l'endroit du public centrafricain ?

Comme message aux centrafricains, je dirai qu'on travaille depuis le 3 mars jusqu'aujourd'hui au stade du complexe sportif Barthélémy Boganda et je pense que ça se passe très bien. Le public nous accompagne, ils viennent suivre les séances d'entrainement. A ce jour, nous avons joué deux matches amicaux que nous avons perdus.

Mais pour nous, l'essentiel, ce n'est pas de gagner mais de voir les résultats du travail que nous avons effectué avec les enfants, comment ils ont capitalisé, comment ils sont en train de remonter avec tout ce qui leur a été prodigué comme conseils. Si on gagne les matches aujourd'hui, on va tomber dans l'euphorie, on va avoir la grosse tête. On prend note de tout ce qu'on fait pendant ces matches amicaux pour régler ce qui ne marche pas et aussi, mettre une bouffée d'oxygène à ce qui marche.

Je demande au public centrafricain de nous soutenir, s'ils ont de l'eau, s'ils ont des oranges, s'ils ont n'importe quoi à donner à ces enfants, la porte est grandement ouverte. Il faut qu'on puisse vraiment les encourager. Je demande aussi aux sociétés installées en République centrafricaine de nous prêter main forte et pourquoi pas, l'Etat aussi parce qu'aujourd'hui, c'est la fédération qui donne de petits moyens pour qu'on puisse s'occuper du transport des enfants.

On a besoin de beaucoup de choses, donc, nous attendons, la main est ouverte, tous les centrafricains de bonne volonté qui voudraient passer au niveau du complexe sportif Bathélémy Bonganda pour nous soutenir, ils ne seront pas déçus parce que tout ce qu'ils vont nous donner, Dieu va le leur rendre au centuple, Dieu va les bénir pour que la République centrafricaine puisse gagner de nouveau pour accéder à une phase finale de la Coupe du monde au Qatar.

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