Ile Maurice: Nager avec les cachalots - Activité illégale à Rs 125 000 par touriste et jusqu'à Rs 1 million aux opérateurs

Il croyait bien faire. Un internaute a posté cette semaine, une vidéo de nage avec des cachalots en expliquant que ces mammifères l'auraient protégé contre un requin qui était dans les parages. Sauf que cela a suscité un cinglant rappel que la nage avec les cachalots est interdite à Maurice. Face à cette situation préoccupante, scientifiques et organisations environnementales tirent la sonnette d'alarme.

L'interdiction de la nage avec les cachalots à Maurice n'a pas freiné l'essor de cette activité. Selon Hugues Vitry, président de la Marine Megafauna Conservation Organisation (MMCO), ce phénomène a explosé après la pandémie de Covid-19. Il explique : «Tout a commencé lorsqu'un moniteur de kitesurf a commencé à promouvoir cette activité auprès des Mauriciens sur les réseaux sociaux. Peu à peu, des touristes se sont joints à l'aventure, et aujourd'hui, nous voyons des groupes entiers de Sud-Africains, Russes et Taïwanais réserver leurs séjours uniquement pour nager avec ces cétacés. Des compagnies en font ouvertement la promotion, en toute impunité, bien que cela soit strictement interdit.»

Il accuse l'ancien gouvernement d'avoir laissé faire cette pratique illégale en raison des intérêts financiers colossaux en jeu. «Les autorités fermaient les yeux. Tous les opérateurs savent que c'est illégal. Lorsqu'un bateau des garde-côtes s'approche, ils font semblant d'obéir aux règles, mais dès qu'ils partent, c'est une véritable chasse aux cachalots.»

Les sommes générées par cette activité sont faramineuses. Un opérateur peut facturer jusqu'à 2 500 euros (environ Rs 125 000) par touriste pour cinq jours de sortie en mer. Avec des groupes de dix participants par session, cela représente des profits dépassant Rs 1 million en quelques jours seulement.

Impact dévastateur

Si cette activité est si strictement interdite, c'est avant tout pour protéger les cachalots, une espèce déjà vulnérable. «Les études montrent une baisse inquiétante de la population des cachalots autour de Maurice. Avant la pandémie, la tendance était légèrement positive (+2 %). Aujourd'hui, elle est en déclin de 4 % par an. Nous avons observé plus de cadavres de cachalots ces dernières années que jamais auparavant, certains si maigres qu'ils ne parvenaient plus à se nourrir.»

Les scientifiques s'inquiètent particulièrement pour les jeunes cachalots. Sans périodes de repos suffisantes, les mères ne peuvent plus allaiter leurs petits correctement. Résultat : des bébés cachalots trop faibles pour survivre sont attaqués par des prédateurs ou meurent de malnutrition. Un cas marquant s'est produit récemment à Mahébourg, où un jeune cachalot affamé a été retrouvé mort.

Hugues Vitry explique : «Un cachalot a besoin de repos. Lorsqu'il n'est pas dérangé, il peut rester à la surface plus d'une heure pour récupérer ses forces avant de replonger à de grandes profondeurs pour chasser. Mais avec 50 bateaux qui les traquent toute la journée, ils ne peuvent jamais se reposer.»

Sanctions dérisoires

Bien que la loi interdise clairement la nage avec les cétacés, elle ne prévoit pas de sanctions dissuasives. «Disons que l'amende pour infraction est de Rs 5 000. Une somme dérisoire quand on sait qu'un opérateur peut gagner Rs 500 000 à monter. C'est un non-sens ! Il faut revoir cette réglementation et appliquer des sanctions réellement dissuasives.»

Le ministère de l'Environnement a récemment annoncé des mesures plus strictes. Un comité interministériel a été mis en place sous la présidence du Premier ministre adjoint, Paul Bérenger, pour lutter contre cette activité illégale. Plusieurs actions ont déjà été entreprises : augmentation des patrouilles de surveillance en mer ; projections de vidéos d'information à l'arrivée des touristes pour les sensibiliser ; refus de renouvellement des permis de certaines compagnies prétendant faire de la «recherche scientifique» mais qui en réalité organisent des excursions touristiques déguisées.

Selon Joanna Bérenger, junior minister de l'Environnement, «il y a encore beaucoup à faire. Nous devons impérativement renforcer la législation et sensibiliser le grand public à l'impact catastrophique de ces pratiques sur nos écosystèmes marins. Nous avons rencontré des experts et des ONG comme SaveTheBlu qui se sont penchés sur la question afin d'apporter notre contribution au sein du comité».

Une réunion a eu lieu entre l'Association SaveTheBlu et le ministre de l'Environnement, Rajesh Bhagwan, le 20 mars pour trouver des solutions à cette pratique illégale.

Rôle des touristes

Si cette pratique continue d'exister, c'est aussi parce qu'il y a une demande. De nombreux touristes, parfois mal informés, participent sans savoir qu'ils enfreignent la loi et mettent en danger les cachalots. «Un whale watching responsable est possible, mais il faut que les opérateurs respectent des distances minimales, que les bateaux soient adaptés et que les interactions avec les animaux soient strictement encadrées. Si nous ne faisons rien, ces animaux disparaîtront et tout le secteur en souffrira», conclut Hugues Vitry.

Sensationalisme

Murali Krishna Appandi, fondateur de SaveTheBlu, met en garde contre les dangers du sensationnalisme médiatique dans la protection des mammifères marins. Il réagit à une vidéo virale montrant un plongeur prétendument «sauvé» par des cachalots face à un requin océanique. «Depuis 2012, la législation mauricienne interdit la nage avec les baleines et les cachalots pour limiter les impacts négatifs sur ces espèces vulnérables. Seuls les skippers formés peuvent organiser des excursions d'observation, mais le non-respect de ces règles constitue une menace pour ces mammifères marins.»

Il ajoute que les cachalots adoptent une stratégie défensive collective, appelée formation en «marguerite», face aux prédateurs comme les orques ou certains requins. Toutefois, considérer cette réaction comme un acte volontaire de protection envers un humain relève de l'anthropomorphisme. «Le requin océanique est injustement perçu comme un prédateur agressif, une idée amplifiée par la culture populaire et le sensationnalisme médiatique. En réalité, ce requin joue un rôle crucial dans l'équilibre des écosystèmes marins. Sa curiosité naturelle ne doit pas être interprétée comme une menace systématique pour l'homme. La diffusion de récits alarmistes entrave les efforts de conservation, favorisant des mesures extrêmes comme son abattage.»

Murali Krishna Appandi souligne trois risques majeurs liés à ces récits spectaculaires : l'amplification de la peur des requins, justifiant leur extermination, l'encouragement d'interactions irresponsables avec les cétacés et les requins et la distraction des véritables menaces telles que la pollution, la surpêche et les perturbations sonores.

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