Le Premier ministre mauricien, Navin Ramgoolam, a promis de s'adresser à la population environ tous les 100 jours, afin d'expliquer les progrès réalisés par son gouvernement et d'informer les citoyens des actions entreprises en leur faveur. Un engagement pris le 12 mars dernier.
Une démarche qu'il considère comme un gage de transparence et qui vise à instaurer une communication directe et claire avec la population. Parallèlement, le ministre du Logement et des terres, Shakeel Mohamed, a annoncé qu'il organiserait régulierement des sessions en direct sur les réseaux sociaux pour aborder des sujets clés car cette approche permettrait de limiter les rumeurs et de diffuser des informations exactes. Pour lui, la transparence est essentielle et cette communication ouverte vise à renforcer la confiance des citoyens dans les décisions gouvernementales.
∎ Le lundi 17 mars, c'est dans un live que le ministre Shakeel Mohamed a annoncé qu'il ferait régulièrement le point en direct.
Ces initiatives s'inscrivent dans une tendance plus large, où plusieurs pays ont mis en place des stratégies de communication pour garantir la transparence et informer leur population des décisions prises par le gouvernement. Aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France et ailleurs, les dirigeants utilisent des conférences de presse, des sites web officiels et des plateformes comme les réseaux sociaux pour partager les décisions politiques importantes. Ces méthodes de communication visent à renforcer la transparence, la responsabilité gouvernementale et la relation de confiance avec les citoyens. À Maurice, cette volonté d'une communication accrue pourrait marquer un tournant dans la relation entre le gouvernement et la population. Reste à voir si elle sera à la hauteur des attentes et si elle permettra réellement de répondre aux interrogations des citoyens.
Selon l'historien et politologue, Jocelyn Chan Low, un gouvernement rencontre souvent des problèmes de communication. Dans les années 1950, dit-il, les Britanniques souhaitaient que la population soit mieux informée des actions du gouvernement, ce qui a conduit à la création du Government Information Service (GIS). Cet organisme d'État avait pour mission de publier les accomplissements du gouvernement afin de les rendre accessibles au grand public. «C'était pour vulgariser les réalisations du gouvernement», explique-t-il.
Toutefois, avec le temps, cet organisme est devenu très «formel», se limitant notamment à des communiqués officiels. Par la suite, un phénomène de doublon est apparu avec le rôle des attachés de presse. «Ces derniers étaient censés accomplir ce travail tout en maintenant leurs contacts avec la presse», soulignet-il. Aujourd'hui, avec la volonté du gouvernement de venir tous les trois mois expliquer directement ses réalisations à la population, Jocelyn Chan Low estime que cette initiative s'inscrit dans une continuité. «La communication sur les actions du gouvernement a toujours été essentielle. Le GIS en était la pierre angulaire», rappelle-t-il. Or, face aux lacunes du GIS et des attachés de presse, qui n'ont pas su offrir la transparence attendue, le gouvernement reprend aujourd'hui les rênes de cette communication.
Maintenant que le Premier ministre lui-même s'est engagé à communiquer régulièrement avec la population, Jocelyn Chan Low estime qu'il est important que les journalistes sérieux posent les vraies questions. «Lorsque les vraies questions sont posées, cela aide la personne qui communique et aide le gouvernement à s'expliquer», dit-il. Ajoutant que «la presse a un rôle à jouer et ne peut pas être dans les bons papiers du pouvoir». Il regrette que plusieurs journalistes soient partis comme attachés de presse et estime que «c'est un mauvais signal». La raison, ditil, montre un «lien incestueux» avec la presse et la décrédibilise. «C'est la raison pour laquelle le travail ne se fait pas», précise-t-il en parlant de la communication. Maintenant que le Premier ministre veut communiquer, cette communication doit être efficace et doit se faire avec des personnes capables d'être critiques.
Le rôle de la communication dans l'image du gouvernement
À la question de savoir si cette stratégie marquera une rupture avec les pratiques du passé ou si elle sera plutôt une continuité sous une forme modernisée, l'historien est d'avis qu'il s'agit d'une «amélioration» car les pratiques du passé ne sont pas suffisantes. «Le gouvernement veut faire de belles choses. La Mauritius Broadcasting Corporation fait ce qu'elle peut mais ne peut pas être un outil du gouvernement», dit-il.
Concernant les risques à long terme d'une personnalisation excessive de la communication gouvernementale, il avance que le Premier ministre est un bon communiquant. En deuxième lieu, il estime que c'est pour son image, étant donné qu'il est un leader et assume désormais la responsabilité de communiquer face à une population qui a de nombreuses attentes. Prenant en considération le manifeste électoral de l'Alliance du changement et l'état de l'économie, qui a freiné cela, il souligne que, parallèlement, si une politique de rigueur doit être appliquée, cela contrastera avec l'ancien régime qui faisait preuve de largesses. «Maintenant qu'il y a des difficultés à venir, la communication est importante», dit-il.
«Il regrette que plusieurs journalistes soient partis comme attachés de presse et estime que c'est un mauvais signal».
L'annonce de communication du Premier ministre et du ministre du Logement, selon l'observateur politique et journaliste, Bernard Saminaden, va dans le bon sens. En effet, il compare cette initiative à celle de nombreux gouvernements, tels que les États-Unis ou la France, qui communiquent régulièrement leurs décisions et assurent ainsi une transparence totale, étant donné qu'ils sont redevables envers la population. «Les gens doivent savoir comment leur argent est dépensé et pourquoi certaines décisions sont prises. Il faut qu'il y ait de la transparence et c'est un moyen de communication», dit-il. Il ajoute que cette démarche va dans la direction de la Freedom of Information, un sujet discuté depuis plusieurs années.
Si la communication régulière est bien perçue, il avance toutefois qu'il ne faut pas qu'elle soit une «overdose» et qu'elle ne se transforme pas en propagande, car, ajoute-t-il, il existe une différence entre la propagande et l'information. «On ne pourra pas faire son marketing et de la politique, mais il faut qu'il y ait du bon sens dans ce qui sera dit», fait-il ressortir. Pour le journaliste, il ne faut plus que cela soit comme par le passé, où la presse était convoquée pour couvrir des événements sans avoir le droit de poser des questions. «C'est inacceptable», dit-il. Toutefois, il regrette qu'il n'y ait pas de porte-parole officiel du gouvernement, à part les responsables de la communication au Bureau du Premier ministre qui communiquent sur les décisions du gouvernement. Pour lui, lorsque le flou règne, la spéculation prend place, ce qui conduit à la publication d'articles inexacts.
«Il regrette que plusieurs journalistes soient partis comme attachés de presse et estime que c'est un mauvais signal».
Concernant l'impact concret de ces annonces du gouvernement sur la perception de la population, il avance que celle-ci a «faim et soif» de mesures car elle s'attend à des effets directs sur son porte-monnaie. «Le gouvernement ratisse large car il y a énormément de problèmes dans tous les secteurs. C'est vrai qu'il y a un certain mécontentement d'une section de la population car les mesures rapides ne sont pas prises», dit-il. Ainsi, en communiquant, la population comprendra les raisons, étant donné qu'elle ne connaît pas le fonctionnement quotidien du gouvernement. À titre d'exemple, il estime que la construction du nouveau Parlement mérite une communication à la population.
L'efficacité des sessions en direct et l'usage des réseaux sociaux
Pour l'Associate Professor Roukaya Kasenally de l'université de Maurice, dont l'expertise porte sur les systèmes médiatiques et politiques, communiquer avec des faits, assurer l'échange d'informations vérifiées et crédibles, et utiliser des canaux officiels réguliers ainsi que les réseaux sociaux peuvent améliorer la transparence et la responsabilité. «Cependant, il doit y avoir une stratégie bien pensée derrière cela et non quelque chose fait de manière ad hoc», dit-elle. En effet, pour elle, les réseaux sociaux peuvent être un moyen d'engager certains segments de la population, comme la jeunesse, à faire partie du dialogue avec le gouvernement. À ce sujet, elle cite l'exemple de nombreux pays africains, tels que le Kenya, l'Afrique du Sud, le Ghana et le Nigeria.
Roukaya Kasenally, l'Associate Professor.
Sur l'influence de cette communication institutionnelle sur la couverture médiatique et la perception du public, l'Associate Professor est d'avis que cela démontre une stratégie claire de la part de l'exécutif pour communiquer officiellement et de manière régulière. «Cela s'inscrit dans la promesse électorale de promouvoir une culture de transparence et de responsabilité, en contraste avec le régime précédent, connu pour son opacité, sa censure et sa répression des libertés civiles», dit-elle.
D'ajouter que «le résultat est de passer par un canal officiel, permettant aux citoyens et aux médias de suivre la performance du gouvernement et d'évaluer les progrès (ou non) sur certaines des promesses électorales majeures», car les attentes du public sont élevées face à ce gouvernement et que la nécessité de livrer est grande.
Les discours périodiques et les sessions en direct sontils appropriés pour toucher un large public ? À cette question, Roukaya Kasenally indique que de nombreux chefs d'État utilisent désormais largement les plateformes de médias sociaux pour communiquer. «À Maurice, la campagne électorale de 2024 a été en grande partie menée via les médias sociaux. Par conséquent, c'est une sorte d'extension naturelle de la manière de communiquer. Concernant la communication officielle du gouvernement, son efficacité dépendra de la manière dont elle est présentée», dit-elle.
Elle fait ressortir que «les communiqués traditionnels, qui sont plats et unidirectionnels, sont connus pour être inefficaces», ce qui indique qu'«il faudra beaucoup de réflexion pour rendre le message engageant et pertinent». Quant aux sessions en direct, leur valeur réside dans leur effet en temps réel, mais encore une fois, trop de sessions en direct finissent par engendrer une certaine fatigue parmi le public cible et diluent le concept de nouveauté. «Ce qui est important, c'est de garantir un équilibre, un impact et une pertinence.»
Alors que les réseaux sociaux sont devenus les plateformes de communication du gouvernement, des risques de désinformation et de manipulation peuvent aussi surgir. Pour la chargée de cours, il faut s'assurer que l'information à publier est «vérifiée et crédible». Mais aussi que la vérification des faits fait partie de la manière de sélectionner l'information et que le compte officiel des médias sociaux du gouvernement soit protégé des hackers. «La désinformation et la manipulation se produisent lorsqu'il n'y a pas de garde-fous.»
Face à ce désir politique de s'adresser directement à la nation, les médias traditionnels auront davantage à jouer le rôle d'analyser les messages, de questionner les politiciens et moins celui de simple reportage. «La pertinence des médias traditionnels résidera essentiellement dans leur capacité à être des faiseurs d'opinion, en rassemblant des points de vue opposés, en couvrant des sujets pertinents, en éclairant des questions potentiellement controversées et en offrant ce que l'on appelle désormais le journalisme de solutions», dit-elle.