À l'instar de ce qui secoue l'administration fédérale américaine, toutes proportions gardées bien évidemment, Maurice est aujourd'hui confrontée à une résistance bureaucratique tenace, venue non pas des urnes mais des bureaux feutrés des ministères. À peine installés, plusieurs ministres font face à une opposition silencieuse mais efficace : celle de hauts fonctionnaires, nommés sous l'ancien régime, qui freinent ou bloquent la mise en oeuvre de nouvelles orientations politiques.
«Ce que les fonctionnaires ne disent pas, c'est qu'ils mettent des bâtons dans les roues de l'agenda gouvernemental», confie un membre influent du cabinet. «On ne peut pas généraliser, mais beaucoup sont restés figés dans une culture de la routine : horaires rigides, longues pauses déjeuner, omniprésence sur les boards parapublics qui justifient leur absence du bureau...»
Dans les coulisses, certains n'hésitent pas à parler de «sabotage». Une récente injonction intentée par un groupe privé a failli priver des fonctionnaires de leurs salaires et des retraités de leurs pensions, révélant un climat de défiance entre ministres et fonctionnaires. Un Senior Minister ne cache plus son exaspération. Dans une confidence à l'express, il lance : «Il faudrait un DOGE à la mauricienne pour secouer tout ça.»
Un DOGE mauricien ?
Le terme DOGE, acronyme du Department of Government Efficiency, a été propulsé sur la scène politique américaine par Donald Trump, avec l'appui de figures comme Elon Musk et Vivek Ramaswamy. À Maurice, l'idée d'un tel «ministère de l'efficacité gouvernementale» semble de moins en moins farfelue, tant le malaise est profond.*
«La fonction publique ne se réforme pas par décret»*, rétorque toutefois un syndicaliste. Selon lui, le retour de plusieurs hauts fonctionnaires ayant quitté l'administration il y a dix ans entre en collision frontale avec les jeunes chefs nommés sous le précédent régime. Un choc de culture et d'allégeance, aggravé par l'introduction annoncée du Performance-Based Budgeting, mal perçu comme une remise en cause des compétences des cadres.
La situation prend une tournure explosive. Un ministre accusé de «taper du poing sur la table» a été dénoncé pour autoritarisme auprès des syndicats et de la presse. «Ce n'est pas d'autoritarisme qu'il s'agit, mais d'autorité», insiste un proche du dossier.
À Washington comme à Port-Louis, la même question surgit : faut-il réformer la bureaucratie en profondeur, quitte à provoquer un séisme institutionnel ? Pour certains, la purge américaine serait un désastre en devenir ; pour d'autres, une révolution nécessaire. À Maurice, le débat ne fait que commencer.