Comment avez-vous vécu les dernières élections ? Qu'est-ce qui a changé pour vous ?
La vie a complètement changé à 100 %. C'est avec beaucoup de gratitude envers la circonscription numéro 8 que je suis là aujourd'hui pour mener ce combat que nous menons depuis toujours avec Rezistans ek Alternativ. Quand je reçois les mandats au Citizen Advice Bureau, je fais mon maximum pour les aider. Entre-temps, je pense qu'il faut du temps pour changer tout un système afin d'aider ceux qui font face à des problèmes graves.
À Maurice, nous avons la perception que, quand une personne devient ministre, c'est automatiquement signe de grosse voiture ou grosse maison. Sauf que pour vous, c'est autre chose. Vous tenez même à continuer à voyager en bus. Pourquoi ?
Parce que, quand j'ai eu le rôle de députée, je l'ai pris comme une responsabilité et un sens du devoir envers le peuple. Ce qui est important pour moi, c'est de vivre nos valeurs et nos convictions. Au sein de ReA, nous croyons beaucoup en ce qui concerne le travail collectif. Nous aimons cette simplicité pour le bien-être de tous et aussi de la nature. Ce qui m'a toujours marquée et me marque encore aujourd'hui, c'est par exemple José Mujica. Leur simplicité indique que, quand le peuple vous a attribué un rôle pour travailler pour lui, vous devez le faire. Des fois, c'est vrai que c'est difficile, surtout que le service des bus reste encore à améliorer à Maurice, mais donnons l'exemple aux jeunes. Ce n'est pas cette belle voiture ou belle maison dont nous avons besoin pour que le peuple se tienne debout demain.
Quels sont les points principaux qui ont amené à l'adhésion entre ReA et les deux partis historiques ?
Si le MMM et le PTr ont accepté de s'allier à nous, c'est qu'ils ont reconnu qu'ils viennent d'un peuple de travailleurs et de luttes. Ils ont reconnu les valeurs qui les ont mis en place. Ce retour vers le passé a renforcé ce sentiment de lutte. Ces deux partis ont aussi compris l'importance d'une réforme électorale car on ne peut pas continuer avec un système qui engendre des divisions archaïques et qui ne reflètent pas notre richesse en tant que Mauriciens, notre identité en tant que Mauriciens, notre identité en tant que métis. On ne peut pas continuer avec une absurdité pareille qui crée la division et le communalisme. C'est en étant au pouvoir qu'on peut changer cela.
Nous accueillons ces deux grands partis quand ils mettent en avant ces combats comme leur combat aussi. Les réformes constitutionnelles sont là pour changer le système, le destin et l'avenir du pays. C'est très important et c'était au centre de notre accord électoral. Après, c'est aussi gratifiant de voir ces deux partis accueillir notre combat en tant qu'écologistes. Ils ont mis en avant ce droit à la nature. Quoi demander de plus ? Les deux partis ont aussi accepté de mettre le droit des travailleurs en avant. Nous savons tous que, dans le domaine du travail, c'est là qu'il y a le plus d'abus, d'exploitation qui nous fait ressentir ce passé d'esclavage encore sur le dos. Cette semaine de 40 heures est bien importante et les partis sont d'accord avec cela.
Les gens ont un certain manque de confiance et je comprends cela quand ils disent : «Ayo gouvernman sa, zot pa pou sanze, zot tou ena mem diskour.» Désolée, mais un programme électoral est un contrat entre nous et le peuple. Si nous ne le respectons pas, ils doivent nous mettre dehors. C'est une promesse que nous devons mettre en place, et nous allons le faire car nous sommes redevables au peuple. Puis, comme vous l'avez dit plus tôt, l'électorat connaît son pouvoir. Ce n'est pas parce que nous avons peur de perdre notre place, mais aussi parce que nous sommes là pour le changement promis et pour que les droits du peuple soient respectés.
Justement, est-ce qu'une victoire de 60-0 est une bonne chose ? Car la perception, c'est que le peuple n'a pas une opposition solide au Parlement pour faire entendre sa voix...
Quand nous voyons comment cela se passe au Parlement... Lors des deux premières sessions, Anabelle Savabaddy a pris position pour ses mandants avec ardeur. Je ne dis pas que nous jouons le rôle de l'opposition, mais nous posons les bonnes questions pour que les mandants soient écoutés et pour alléger la souffrance du peuple. Dire qu'un 60-0 est antidémocratique, c'est vrai. On aurait préféré qu'il y ait un espace plus équilibré, mais la réalité fait que ce gouvernement travaille pour le peuple car il y a des gens qui travaillent pour ce peuple.
Deuxièmement, c'est la décision du peuple d'avoir un gouvernement de 60-0 pour travailler pour lui. Nous ne devons pas sous-estimer l'opposition extra-parlementaire. Hier, j'ai écouté un représentant de Linion Moris qui a rappelé l'importance d'une opposition extra-parlementaire. Rappelons-le, pendant les cinq dernières années avant les élections, c'était ReA qui était l'opposition extra-parlementaire, qui faisait des émissions, entre autres, pour alerter l'opinion publique. Ce 60-0 ne veut pas dire que la démocratie est affectée, mais avec un peuple avisé et des jeunes conscients, nous voyons que la démocratie revit dans le pays.
Néanmoins, il y a une certaine frustration au sein du pays. Certains sont déçus du non-paiement du 14e mois mais aussi de la baisse du prix de l'essence, qu'ils estiment ne pas avoir été faite correctement. C'est une certaine attente que le peuple a envers Rezistans ek Alternativ car vous avez ce lien d'extra-parlementaire. Que répondez-vous à cela ?
Quand vous venez au pouvoir et que vous voyez les manquements et démantèlements qu'il y a eu, nous devons prendre des décisions pour l'avancement du pays. Nous ne devons pas tomber dans le populisme. Nou pa dan sa sistenm kot nou pran enn gro loan zis pou fer popilasion la plezir. Kisannla pou pey sa plitar ? Le pays est déjà gravement endetté, et nous le savons tous. Ce fardeau est très lourd à porter. Il y a eu des manquements graves.
Dans la circonscription numéro 8, la mediclinic de Quartier Militaire est très bien aérée, un joli bâtiment, mais qui n'a pas d'ascenseur et, à l'étage, il y a des patients dialysés. Il y a eu des projets, des eyewash, qui ne répondent pas nécessairement aux besoins du public. Si on va mettre un ascenseur, il faut connaître le coût. Il est mieux de mettre en place un projet bénéfique à la population sur le long terme. J'aurais aimé qu'on donne un 14e mois à tout le monde, mais je préfère qu'il y ait un système d'alignement salarial sur l'inflation qui sera plus bénéfique sur le long terme, dans l'intérêt national.
Vous êtes très engagée concernant la représentation des femmes en politique. Quelle stratégie adoptez-vous pour qu'il y ait, plus tard, une politique plus "gender conscious" ?
Quand il y a des préjugés et des pratiques très ancrées, comme vous l'avez vu lors de la campagne électorale -- une certaine culture très masculine et très machiste -- un mode de pensée qui ne veut pas changer du jour au lendemain, il faut un vaccin. Et ce vaccin, c'est un quota. Dans les pays étrangers, on a vu qu'ils ont été obligés d'engager des femmes qui ont fait un travail remarquable. Donc, le vaccin, c'est le quota. C'est la réponse qu'il faut.
Justement, dans ce contexte mauricien où le patriarcat demeure une réalité sociale et politique, vous trouvez que le quota est une solution viable ?
C'est très important, car la réalité, c'est que les femmes sont très engagées. Je l'ai dit plusieurs fois : nous avons beaucoup de conseillères de village et de présidentes de village. Kifer zot pa al pli lwin ki sa ? C'est parce qu'on choisit toujours des hommes. Bann misie ki bizin vinn minis !! Si les femmes engagées font déjà le travail de terrain, un travail de fourmi, et connaissent déjà le village, elles doivent avoir l'espace de se poser comme candidates.
Avec les dernières élections, nous voyons une prise de conscience du peuple. J'étais moi-même une personne que la circonscription numéro 8 ne connaissait pas. Je suis rentrée en campagne électorale en quatre semaines, et c'est là que les gens ont commencé à me connaître. Certains ont même dit : Ou mem pou fer travay la pli bien, madam. Ce sont les décideurs politiques, lorsqu'ils alignent des candidats, qui feront que nous aurons plus de femmes. Quand je marche quotidiennement, je vois les jeunes et les femmes qui viennent me demander comment faire pour être candidates. Il y a cette motivation.
Vous pensez qu'il y a une certaine amélioration aussi dans la partie où les femmes occupent des postes plus décisionnels et pas des postes de "ti minis", comme le disent si bien certains ?
Oui, ou des sections très sociales ou gender biased... (Soupirs) Pour le moment, c'est un début, mais nous devons aller plus loin. Avec l'honorable Jyotee Jeetun, qui détient un portefeuille entre guillemets "masculin", ou encore madame la speaker, qui est un exemple, ou encore la Chief Whip. C'est un début.
Quelle est la position de ReA concernant l'appartenance ethnique ?
ReA a milité pour qu'il y ait une clause où les Mauriciens peuvent poser candidature en tant que "candidats mauriciens". Nous allons vers ça et nous attendons incessamment la réforme constitutionnelle qui va phase out l'ancien modèle.
Et ça prend du temps...
Oui, ça prend du temps pour le rédiger et le faire valider, mais déjà dans la perception du public, ça peut se faire très vite. Mardi dernier, il y a eu deux bills très importants, dont le premier qui permet aux gens de voter, alors qu'avant, plus de 400 000 personnes ne pouvaient pas le faire. Avant de rédiger un bill, des experts doivent travailler dessus. Après, un autre bill va permettre à ce que chaque budget soit expliqué. Saluons les équipes qui travaillent dessus, et ça viendra en temps et en heure, car tout ne peut pas se faire en même temps.
Sur le terrain, avez-vous eu des questions sur le retard de ce changement ?
Oui, j'essaie d'expliquer tant que je peux. Concernant le système de pension, les gens sont en colère, et je comprends. Nous luttons comme on peut, mais changer un système qui a mal fonctionné pour le remplacer par un autre plus efficace, ça prend du temps, malheureusement, car il faut aussi voir s'il va fonctionner et ajuster le système dans la conjoncture mauricienne.
Vous évoquez souvent l'exploitation des femmes dans le système néolibéral. Comment lutter contre ce que nous appelons le travail invisible des femmes dans le domaine du care ou domestique ?
Vous avez raison. Le travail du soin apporte beaucoup en termes d'argent au PIB et de richesse au pays. Sauf que c'est un travail qui est pris pour acquis, et les personnes ne sont pas rémunérées. Ce que le gouvernement a fait avec la semaine de 40 heures, c'est assurer qu'il y ait un certain équilibre entre la vie et le travail. Quand c'est pour l'homme et la femme, ils peuvent partager ce travail du soin beaucoup plus. Le plus important, c'est qu'ils puissent avoir leur week-end et, pendant la semaine, s'occuper de leur famille.
En se basant sur vos études postcoloniales, pensez-vous que l'île Maurice a bien entamé le processus de décolonisation dans le système juridique ou politique ?
C'est un très gros projet, que nous avons d'ailleurs commencé avec des réformes constitutionnelles. Nous allons vers la décolonisation de la pensée ethnique de la société. C'est fondamental. La division ethnique, c'est l'héritage empoisonné de l'époque coloniale. Quand nous allons démanteler ces divisions, nous nous tournons vers la décolonisation de la pensée ethnique. Décoloniser, c'est aussi intéressant avec l'élection de ce gouvernement. C'est déjà une étape.
Quand nous regardons les contextes postcoloniaux, il y a un marasme, un pessimisme. Juste après les élections, j'ai eu un webinar des représentants de la SADC. La Namibie a présenté son cas, où il y a eu des élections et rien n'a changé. Quand j'ai présenté le cas de Maurice, tout le monde m'a dit bravo de voir un peuple qui s'est levé pour sauver son pays. Avec l'époque coloniale, avec l'histoire de Maurice qui n'était pas un peuple autochtone, quand nous nous rassemblons ensemble au-delà, comme une nation de nos différences, c'est un grand moment de décolonisation.