Ile Maurice: Le patriarcat, l'inaction politique et le système électoral au banc des accusés

Il y a une semaine, Gender Links Mauritius, dirigé par Anushka Virahsawmy, a organisé un symposium pour disséminer les résultats d'une étude portant sur les freins à l'avancement des femmes et des jeunes en politique dans la République de Maurice.

Etude menée par Sheila Bunwaree dans plusieurs régions, non seulement auprès de Mauriciens mais aussi de Rodriguais, d'Agaléens et de Chagossiens, dont les voix sont souvent négligées lors de discussions nationales. Et comme il fallait s'y attendre, le patriarcat, l'inertie et l'inaction politiques et le système électoral uninominal majoritaire à un tour ont été identifiés comme principaux obstacles.

Ce symposium, qui a été ouvert par Anishta Babooram, Junior minister à l'Egalité des genres, a aussi vu la présentation d'autres recherches, notamment sur l'égalité du genre et l'agenda 2030 par Verena Thandrayen, des observations sur Agaléga et les Chagos par Johanne Rannojee, cofondatrice de La Politique Expliquée Aux Jeunes, tout comme il y a eu des interventions pertinentes d'Anushka Virahsawmy, de Krishnee Appadoo sur les droits des femmes en tant que droits humains sous l'angle de l'autonomisation et d'Asrani Gopaul sur l'importance d'avoir des hommes comme alliés dans cette lutte pour l'avancement des femmes et des jeunes en politique.

Mais le plus gros morceau de la recherche financée par l'Union européenne, a été l'étude de Sheila Bunwaree. Le premier frein identifié est le patriarcat persistant en société qui fait que les politiciens plus âgés accaparent les postes importants dans les partis traditionnels qu'ils dirigent et sont réticents à faire de la place aux femmes et aux jeunes. «Par conséquent, il est essentiel que la mentalité des hommes évolue pour obtenir un réel changement et engagement au niveau politique», estime Sheila Bunwaree. Au niveau local, les stéréotypes du genre fortement enracinés en société font qu'il est difficile pour les femmes de se faire élire. Et au niveau national, les femmes se heurtent au plafond de verre mis en place par les hommes au pouvoir, ce qui limite leurs opportunités. De la même façon, les ailes jeunes dans les partis politiques demeurent grandement inaccessibles.

Inertie des politiciens

La deuxième entrave identifiée est l'inaction et l'inertie des politiciens. La recherche de Sheila Bunwaree souligne qu'il n'y a pas eu d'efforts ni l'introduction de politiques au niveau national pour changer la donne. «Il est urgent de poursuivre la discussion sur les quotas de genre, l'augmentation des financements et d'accorder une attention accrue au caucus parlementaire sur le genre. Cette dernière initiative a été mal comprise et ignorée par l'ancien président de l'Assemblée nationale, qui a laissé inactif ce caucus parlementaire sur le genre durant les huit dernières années.» L'actuelle speaker, Shirin Aumeeruddy-Cziffra, a manifesté son intérêt à relancer ce caucus parlementaire sur le genre mais elle doit encore prendre action.

Le troisième obstacle et non des moindres est le système électoral uninominal majoritaire à un tour (First-past-the post), qui favorise des alliances stratégiques axées sur l'éligibilité, «ce qui incite souvent à marginaliser les femmes et à permettre aux partis politiques dominés par les hommes de consolider leur pouvoir. De plus, ce système fausse la représentation car si un parti obtient 22 % des voix et un autre 19 %, ce dernier n'obtient aucune représentation.» Par conséquent, souligne Sheila Bunwaree, les partis dominants gardent le contrôle et empêchent les partis émergents, qui sont souvent plus inclusifs envers les femmes et les jeunes, d'accéder à la représentation politique.

Ce système électoral avantage aussi les inégalités entre partis et candidats. «Même si la majorité des électeurs du pays soutiennent le même parti, celui-ci peut ne être élu s'ils ne vivent pas dans les mêmes circonscriptions. Par conséquent, les élus ne sont souvent pas représentatifs de l'opinion publique.» Sans compter que ce système privilégie les grands partis au détriment des plus petits, qui n'ont pas de bases géographiques solides.

Impératif de réformer le système électoral

Sheila Bunwaree estime que ce système électoral est encore méconnu et mal compris par une majorité d'électeurs et de ce fait, il est essentiel d'appliquer des programmes de renforcement des capacités et des initiatives éducatives pour informer les électeurs à propos du fonctionnement du système First-past-the post. «Cette éducation devrait être dispensée dans les écoles, les organisations communautaires, les municipalités et d'autres institutions publiques.»

Dans une de ses études précédentes qui portait sur le genre, les élections et la gouvernance à Maurice, Sheila Bunwaree avait rappelé que la commission Sachs avait recommandé l'introduction d'une forme de représentation proportionnelle pour améliorer la représentation des femmes en politique. Cependant, cette réforme se fait attendre. «En sus de 'désethnitiser' le système électoral, ce changement pourrait aussi contribuer à démanteler le patriarcat en politique.» La chercheuse a rappelé que la plupart des pays utilisent la représentation proportionnelle à un ou deux tours, assurant ainsi que le parti obtenant la moitié des voix obtienne la moitié des sièges parlementaires alors que les autres partis reçoivent des sièges proportionnels à leurs résultats.

Soulignant la nécessité d'avoir une approche inter-sectionnelle de l'égalité des genres, Sheila Bunwaree a fait ressortir que le manque d'alliances et de soutiens mutuels au sein du mouvement en faveur de l'égalité du genre empêche aussi les progrès. «Renforcer la solidarité est essentiel pour faire avancer la représentation et les droits des femmes en politique.» Comme voie d'accès au pouvoir, la chercheuse propose plusieurs solutions.

Comme il a été démontré dans plusieurs pays et même à Maurice que le changement s'opère au niveau des collectivités locales, il faut donc se concentrer sur les progrès à ce niveau de gouvernance. Comme le National Youth Parliament - qui ne s'est réuni qu'à trois reprises depuis 2019 -, et les ailes jeunes et féminines au sein des partis politiques sont des portes d'entrées pour les femmes et les jeunes en politique, l'éducation et un changement de mentalité sont vitaux pour augmenter le nombre de candidates potentielles.

Sheila Bunwaree estime que des réformes législatives et politiques sont donc nécessaires pour parvenir à une gouvernance inclusive. «Il est essentiel de renforcer les lois et les politiques afin de créer un paysage politique plus équitable. En s'attaquant aux obstacles systémiques et en garantissant une meilleure représentation des femmes et des jeunes, les réformes peuvent contribuer à combler le fossé entre la société civile et le système politique.»

Autonomiser les femmes et les jeunes passe par un renforcement institutionnel qui peut se traduire par des formations en leadership, des programmes de mentorat et l'accès aux plateformes de prise de décision. Pour sensibiliser à l'importance de la participation politique pour obtenir une représentation équilibrée, des campagnes éducatives peuvent encourager le vote informé et l'implication active, en particulier parmi les groupes sous-représentés. «Finalement, le renforcement de l'éducation aux médias et la promotion d'une information responsable peuvent modifier les perceptions du public et réduire les préjugés. La formation des journalistes et des créateurs de contenu à l'adoption d'une approche sensible au genre améliorera la visibilité des diverses voix politiques.»

Quelle suite donner à ce symposium ? Anushka Virahsawmy déclare qu'elle va solliciter une rencontre avec la ministre de l'Egalité des Genres dans le but de présenter l'étude réalisée par Sheila Bunwaree pour voir comment traiter les lacunes identifiées. «Au cours de cette étude, nous avons réalisé qu'il y a encore trop de femmes qui ne connaissent pas la Constitution du pays pour commencer. Plusieurs des interrogées ont dit qu'elles ne voyaient pas l'importance d'aller voter ou encore qu'elles ont fait leur devoir civique parce que leur mari le leur avait demandé. Trop de femmes agissent comme agents sur le terrain pour les hommes politiques mais ne pensent pas qu'elles pourraient se positionner comme candidates. Il y a un gros travail d'éducation des électeurs à faire pour que les femmes et les jeunes comprennent l'importance d'aller voter, de se porter candidates et renforcer leur élocution et leur capacité d'expression.»

Cette éducation, poursuit-elle, doit aussi englober la société civile, le secteur privé, les femmes, les jeunes et les politiques. Ce travail, estime la directrice de Gender Links Mauritius, ne se fera pas en un jour. «Nous avons fait une étude de base et il faudra un suivi pour voir si les femmes et les jeunes ont compris l'importance de leur participation politique.»

La volonté politique doit aussi être présente. C'est pour cette raison qu'Anushka Virahsawmy veut rencontrer tous les leaders des partis politiques traditionnels comme émergeants pour leur faire comprendre qu'ils doivent ouvrir leurs portes aux femmes et aux jeunes. «C'est un gros travail et nous allons le poursuivre.»

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