Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a récemment déploré le manque de viabilité de la filière laitière de son pays. Le 25 février 2025, lors de la célébration de la Journée nationale de l'élevage, il a ainsi indiqué que les importations de son pays étaient évaluées à 210 000 000 dollars US.
Cette forte dépendance aux importations met en lumière la fragilité de la filière lait local, encore largement insuffisante pour répondre à la demande croissante des consommateurs sénégalais. Faible productivité, variabilité saisonnière, manque d'infrastructures et de compétitivité... Les défis à relever sont nombreux.
Au Sénégal, la contribution du secteur de l'élevage dans le PIB est relativement faible avec un niveau de 3,5 % en 2023. Il est pratiqué par 38,7 % des ménages ordinaires et 87,1 % des ménages agricoles. L'élevage bovin occupe 3 % de la population et un peu moins de 0,1 % sont dans la production laitière, selon le dernier Recensement général de la population et de l'habitat.
Mes recherches portent, entre autres, sur l'analyse des filières agroalimentaires avec un accent particulier mis sur la compétitivité de la filière lait local.
Dans ce qui suit, j'analyse, d'une part, les obstacles auxquels la filière est exposée. D'autre part, je propose des pistes pour sa performance durable.
Trois système de production
La filière lait local du Sénégal est très peu développée et non durable. Elle est caractérisée par la coexistence de trois systèmes de production laitière :
- le système pastoral extensif transhumant, le plus important avec en moyenne 60 % de la production globale;
- le système agropastoral ou semi-intensif, constitué de vaches métisses en bonne partie avec des efforts de sédentarisation;
. le système intensif avec un cheptel constitué uniquement de vaches laitières de races.
La progression de la population et de l'amélioration des niveaux de vie des populations entraînent une demande croissante de lait. Or, la production de la filière lait local est insuffisante pour satisfaire cette demande. Des études effectuées dans Dakar et ses Niayes (une zone côtière) ont montré que cette demande était couverte à 80 % par l'importation, principalement avec du lait en poudre.
Au regard de ce contexte, l'expansion de la filière lait local devient un enjeu majeur pour satisfaire une demande croissante et réduire considérablement le coût de l'importation de lait et produits laitiers qui viennent essentiellement de la France et de la Nouvelle Zélande.
Obstacles au développement de la filière lait local
Les obstacles à l'expansion de la filière lait local peuvent être regroupés en trois axes : la faiblesse de la production, le manque de transformation et le manque de compétitivité sur le marché.
- Une productivité faible à caractère saisonnier
La quantité de lait produite par vache diffère significativement selon le système d'exploitation. Dans le système pastoral, la production journalière de lait par vache est de 2,47 litres en saison des pluies (juillet à novembre). Elle diffère significativement de celle de 0,71 litre enregistrée en saison sèche. Cette différence saisonnière concerne également les exploitations semi-intensives.
Cela confirme le caractère saisonnier de la production de lait dans les exploitations pastorales et semi-intensives. Durant la saison des pluies jusqu'en décembre, le cheptel se nourrit en abondance d'herbes fraîches riches en nutriments et l'eau est disponible en permanence. Ces conditions favorisent l'accouplement.
Elles permettent également aux vaches allaitantes de produire davantage, contrairement à la saison sèche. Durant cette dernière, les herbes de pâturage deviennent sèches ou inexistantes, l'eau se raréfie et la nourriture apportée, en complément aux vaches allaitantes, n'est pas suffisante.
Par ailleurs, en système pastoral, le rendement laitier est plus faible que dans le semi-intensif. Cette différence s'explique par la prédominance de races locales, mieux adaptées à la boucherie, contrairement aux races métisses du semi-intensif, plus productives en lait.
En outre, dans l'exploitation semi-intensive, on note des efforts de sédentarisation du cheptel par la mise à disposition, d'aliments constitués majoritairement de « ripasse », un aliment de bétail fabriqué par l'usine.
En revanche, en exploitation intensive, une vache produit environ 17 litres de lait par jour de manière constante. Ce rendement élevé s'explique par la sélection du cheptel, l'alimentation optimisée et l'insémination artificielle bien planifiée.
Dans ce système, le cheptel est en effet composé uniquement de races à vocation laitière, en majorité des Holsteins, des Montbéliardes et des Jerseyaises. Leur alimentation, très riche, est composée majoritairement d'ensilage, de concentrés minéraux vitaminés (CMV), de drêche, de ripasse et de paille de riz.
Toutefois, il est clair que ces rendements peuvent être encore améliorés. Une étude faite sur des exploitations du même type au Maroc a mis en lumière un rendement de 22,5 l par vache et par jour.
Eu égard à ces résultats, nous pouvons déduire que la filière lait local au Sénégal est peu productive. Le caractère saisonnier n'est pas lié à des raisons climatiques mais plutôt au régime alimentaire et au système d'exploitation mis en oeuvre.
- Manque de transformation et de diversification des produits laitiers
La transformation du lait est rare, sauf en système intensif où 71,4 % des éleveurs y participent. Les produits restent peu diversifiés, se limitant principalement au lait caillé et au lait frais pasteurisé.
Une bonne partie de la transformation est l'oeuvre de femmes qui l'achètent auprès des unités de production et le transforment artisanalement avec des moyens rudimentaires avant l'écoulement dans les quartiers.
Le manque de norme de qualité et d'hygiène douteuse dans le processus de transformation limite l'accès de ces produits laitiers locaux au circuits de grandes distributions et aux grandes surfaces dominés par le lait et les produits laitier importés.
- Une filière non compétitive
La compétitivité est la capacité des agents d'une filière à réduire les coûts unitaires pour s'adapter à la concurrence et anticiper ses effets. En s'appuyant sur la théorie de la demande et au regard des caractéristiques des biens, on distingue les déterminants prix - capacité à produire des biens et des services à des prix inférieurs à ceux des concurrents pour une qualité équivalente - et hors-prix de la compétitivité que sont la capacité physique de production, la qualité et la différenciation avec les autres produits.
L'enquête que nous avons menée auprès de 267 chefs de ménage donne un indice de satisfaction globale estimé à 51,39 sur 100 pour le lait local et 69,92 sur 100 pour le lait importé.
En somme, le lait local est moins compétitif que celui importé aussi bien en termes de compétitivité-prix qu'en terme de compétitivité hors-prix. Toutefois, lors de l'analyse de la perception des prix, nous avons trouvé que le prix n'est pas un facteur dissuasif pour les consommateurs dakarois, par exemple.
Les consommateurs y sont largement indifférents. Nous pouvons ainsi admettre que la non-compétitivité du lait local est davantage due aux facteurs hors-prix qu'au facteur prix.
Solutions d'amélioration durable
Au regard de ces résultats, nous proposons les implications de politiques économiques suivantes :
- intégration dans la filière lait local des industries orientées vers la transformation et la distribution de lait importé. Celles-ci peuvent parrainer des unités d'exploitation pastorales organisées en coopératives et les accompagner vers l'intensification pour en faire leurs premiers fournisseurs en lait local.
- mise en place d'une politique de développement de mini-laiteries modernes avec un cahier des charges qui intègre les aspects d'hygiène et de conditionnement des produits finis.
- mise en place des points de vente agréés dans les zones à grande consommation pour améliorer la disponibilité du lait local.
- réduction des taxes sur les produits laitiers locaux transformés pour les rendre plus abordables au consommateur.
- facilitation et vulgarisation de l'agriculture fourragère durable pour assurer une alimentation de qualité au cheptel sur toute l'année.
Ces politiques peuvent améliorer la performance de la filière et rendre le lait local plus compétitif.
En somme, la filière lait local fait face à de nombreuses insuffisances : alimentation et eau insuffisantes, problèmes de transformation et perception négative des consommateurs. Les stratégies actuelles privilégient la production et la rentabilité plutôt que l'équilibre social et environnemental, nécessitant ainsi des mesures pour réduire les risques liés à son développement.
Malick Mané, enseignant-chercheur, Groupe Supdeco Dakar