Egypte: Le pays sous pression - Un fragile jeu d'équilibriste entre Gaza et Trump

analyse

En 2019, le président américain Donald Trump avait décrit le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi comme son « dictateur préféré », mais leurs relations sont complexes.

Le retour de Trump à la Maison Blanche pour un second mandat a suscité des inquiétudes au Caire. En janvier 2025, Trump a proposé une solution à la guerre entre Israël et le Hamas à Gaza consistant à déplacer de force les Palestiniens vers l'Égypte et la Jordanie. Il a en même temps menacé de retirer l'aide américaine si ces pays ne se conforment pas à sa proposition. L'Égypte de Sissi doit gérer habilement l'ambition de Trump sans compromettre la survie du régime. May Darwich, qui a étudié les politiques étrangères et les alliances des États arabes au Moyen-Orient, analyse les enjeux de cette situation.

A quel point l'Egypte dépend-elle des États-Unis ?

Au fil du temps, l'Égypte a reçu plus d'aide étrangère américaine que n'importe quel autre pays, à l'exception d'Israël. Elle a reçu 78 milliards de dollars d'aide économique et 90 milliards de dollars d'aide militaire depuis 1946.

Un accord de paix avec Israël en 1979 a mis fin à la guerre entre les deux pays. Les forces israéliennes se sont retirées de la péninsule égyptienne du Sinaï. Depuis lors, les États-Unis accordent chaque année à l'Égypte une aide fixe de 1,5 milliard de dollars américains, dont 1,3 milliard de dollars américains d'aide militaire. Ce montant sert à financer l'achat d'armements auprès des entreprises de défense américaines. Cette aide est le pilier des relations relations égypto-américaines depuis des décennies.

Depuis 1979, l'Égypte joue un rôle central de la stratégie américaine au Moyen-Orient. L'aide militaire est jugée essentielle pour garantir que le régime égyptien s'aligne sur les intérêts américains. En même temps, cette aide contribue largement à la survie du régime autoritaire égyptien.

Mais l'histoire montre que l'Égypte a su atténuer l'impact potentiel des suspensions d'aide américaine lors des périodes de tensions diplomatiques.

Les États-Unis ont suspendu une partie de l'aide militaire à l'Égypte après le changement de régime en 2013. Pendant cette période, al-Sissi, qui a été élu président en 2014, a reçu le soutien de l'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis. Il a également augmenté les importations d'armes en provenance de France et de Russie.

Finalement, après un examen de la situation, l'administration de Barack Obama a rétabli l'aide américaine afin de préserver les intérêts stratégiques des États-Unis. Comme l'avait alors expliqué John Kerry, secrétaire d'État de l'époque :

Nous obtenons un retour sur investissement qui n'est pas négligeable. L'armée égyptienne nous aide à renforcer la sécurité dans le Sinaï (en Égypte). L'armée nous aide également à faire respecter la paix à Gaza.

Si cette relation devait à nouveau être mise à l'épreuve, l'Égypte pourrait apprendre à devenir encore plus indépendante. L'influence de la Chine en Égypte est croissante, et les États du Golfe, alliés proches de Sissi, pourraient également décider de lui apporter leur soutien financier.

Comment l'Égypte a-t-elle concilié ses intérêts entre les États arabes, Israël et les États-Unis ??

La signature du traité de paix égypto-israélien en 1979 a marqué un tournant dans la politique étrangère égyptienne. Le traité a rapproché l'Égypte de l'Occident avec la reconnaissance d'Israël. Cette décision a toutefois conduit à l'isolement de l'Égypte dans le monde arabe et à son expulsion de la Ligue arabe (elle a été réadmise en 1989).

Lorsque Mohamed Hosni Moubarak a pris le pouvoir après l'assassinat d'Anouar el-Sadate en 1981, l'Égypte a dû jongler entre son partenariat avec les États-Unis, le maintien de la paix avec Israël et la réconciliations avec les États arabes.

L'Égypte a condamné l'agression israélienne contre les Palestiniens et contre le Liban en 1982 et 2006, et a gelé les efforts de normalisation des relations avec Israël. Ce qui a renforcé sa position centrale dans le monde sans remettre en cause le traité de paix avec Israël.

Parallèlement, elle facilite le transit des forces militaires américaines dans la région et assure la fluidité des exportations pétrolières via le canal de Suez. Elle a su maintenir la paix et la stabilité avec Israël. En exerçant des pressions sur les mouvements de résistance palestiniens pour éviter l'escalade, l'Égypte se positionne comme un médiateur incontournable dans le conflit israélo-palestinien.

Sous Sissi, l'Égypte s'est efforcée de maintenir cet équilibre. Cependant, la guerre de Gaza met le Caire face à de nouveaux défis. Il s'agit notamment de l'afflux de réfugiés et de l'instabilité à la frontière. La guerre remet également en question le rôle traditionnel de l'Égypte comme acteur central dans la région du Moyen-Orient.

Comment la guerre à Gaza menace-t-elle le jeu d'équilibriste de l'Égypte ?

Le déclenchement de la guerre à Gaza en octobre 2023 a mis l'Égypte dans une situation délicate. Le Caire redoute une stratégie potentielle d'Israël consistant à déplacer de force les Palestiniens dans la péninsule du Sinaï, qui se trouve sur son territoire. Pour les autorités égyptiennes ce scénario constitue une ligne rouge à ne pas franchir. Le Caire ne veut pas être perçu comme un acteur affaiblissant la cause palestinienne.

L'Égypte craint également qu'une présence massive de Palestiniens dans le Sinaï - zone stratégique reliant l'Afrique à l'Asie et frontalière d'Israël et de Gaza - ne transforme la région en base arrière pour des attaques contre Israël. Un tel scénario obligerait l'Égypte à réprimer ces activités ou à risquer des représailles israéliennes.

Cette crainte trouve son origine dans un incident survenu en 1955. L'armée israélienne avait alors attaqué un camp militaire égyptien dans la bande de Gaza, sous contrôle égyptien à l'époque, en réponse à l'assassinat d'un Israélien par un militant palestinien. L'opération, qui a coûté la vie à 17 soldats égyptiens, s'était accompagnée de manifestations de Palestiniens contre un projet de déplacement forcé vers le Sinaï, entraînant une confrontation directe entre l'armée égyptienne et les Palestiniens. Cet événement a laissé une empreinte durable sur la politique étrangère de l'Égypte, qui rejette toute idée de relocalisation des Palestiniens dans le Sinaï.

La guerre actuelle a mis en évidence les faiblesses structurelles de l'économie égyptienne déjà précaire. Les attaques des Houthis dans la mer Rouge qui ont commencé en 2024 ont provoqué une forte baisse des revenus du canal de Suez, une source essentielle de devises pour l'Égypte.

Sissi a joué sur les craintes européennes que les événements de Gaza ne nuisent à la situation économique de l'Égypte et n'entraînent une migration massive vers l'Europe. Toutefois, ces soutiens financiers ponctuels ne suffisent pas à résoudre les défis économiques de fond du pays.

Le rôle de médiateur que l'Égypte joue entre l'Occident, Israël et le monde arabe est aujourd'hui mis à l'épreuve. D'autres acteurs, comme le Qatar, émergent comme médiateurs.

Quels facteurs influenceraient la réponse de l'Égypte à la proposition de Trump de relocaliser les Palestiniens ?

La proposition de Trump place le régime égyptien dans une position précaire. Accepter un tel plan représenterait une rupture majeure avec la doctrine diplomatique traditionnelle de l'Égypte et risquerait de provoquer une vague de mécontentement au sein de la population.

En revanche, refuser la proposition pourrait rendre les relations entre Le Caire et Washington tendues. Ce qui mettrait en péril l'aide américaine dont dépend en partie le régime de Sissi. L'Égypte pourrait alors être contrainte de chercher un soutien financier auprès d'autres partenaires.

Le conflit de Gaza rappelle à quel point l'Égypte est historiquement et politiquement liée à la question palestinienne.

May Darwich, Associate Professor of International Relations of the Middle East, University of Birmingham

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