Afrique de l'Ouest: Le Mali, le Niger et le Burkina Faso quittent la Francophonie - Rupture définitive ou crise passagère ?

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Contrecoup de la dégradation des relations entre la France et ces trois États, dirigés par des militaires arrivés au pouvoir au cours de ces dernières années grâce à des putschs, le Mali, le Niger et le Burkina Faso sortent de l'Organisation internationale de la Francophonie. Un coup d'éclat d'autant plus marquant que tous trois en ont été des acteurs majeurs au cours de sa longue histoire.

À quelques heures de la célébration annuelle de la Journée internationale de la Francophonie, trois États africains du Sahel (le Niger, le Burkina Faso et le Mali) se retirent presque simultanément de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

Le retrait de ces trois États, tous membres de l'Alliance des États du Sahel (AES), semble s'inscrire dans la continuité de la dégradation des relations entre ces pays et la France, depuis la prise de pouvoir par les militaires, successivement au Mali en 2020, au Burkina Faso en 2022 et au Niger en 2023.

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Si, dans sa lettre adressée aux ambassadeurs de son pays, le 17 mars dernier, le secrétaire général du ministère nigérien des affaires étrangères indique sobrement que « le gouvernement nigérien a décidé souverainement du retrait du Niger de l'Organisation internationale de la Francophonie », ce à quoi la porte-parole de la Francophonie a réagi en estimant que l'Organisation était le « dommage collatéral d'une situation géopolitique qui la dépasse », le retrait du Mali est, en revanche, soutenu par une accusation directe à l'égard de l'Organisation, exprimée dans la note verbale du ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale de la République du Mali, adressée au ministère de l'Europe et des affaires étrangères de la République française, le 18 mars 2025 :

« L'OIF, au lieu d'accompagner le Mali dans la réalisation des aspirations légitimes de son peuple, s'est illustrée par l'application sélective des sanctions et le mépris de la souveraineté du Mali. »

S'agit-il, pour ces trois États, d'une rupture de fond avec la Francophonie ou d'une crise diplomatique passagère liée essentiellement à la dégradation des relations entre ces pays du Sahel et la France, qui se trouve être le pays hôte du siège de l'OIF ? De même, le timing choisi, à savoir l'approche de la Journée internationale de la Francophonie que l'on célèbre annuellement dans tout l'espace francophone, est-il vraiment fortuit ou doit-on y déceler un message quelconque ? Ce triple retrait risque-t-il d'avoir quelque incidence dans d'autres pays francophones du continent africain qui, faut-il le rappeler, est l'épicentre et le coeur battant de la Francophonie ?

Le Niger, État fondateur et berceau de la Francophonie institutionnelle

Avec le retrait du Niger, la Francophonie perd non seulement l'un de ses membres fondateurs mais aussi, dans une certaine mesure, le pays d'où elle tire ses origines : il convient de rappeler que c'est à Niamey, sous l'impulsion du président nigérien de l'époque, Hamani Diori, l'un des pères de la Francophonie institutionnelle, que l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), dont l'OIF est l'héritière, a vu le jour, le 20 mars 1970.

Les relations entre la France et le Niger, suspendu de l'Organisation francophone depuis le coup d'État militaire du 26 juillet 2023 n'ont cessé de se dégrader jusqu'au retrait du 17 mars 2025. Un départ que la porte-parole de l'OIF Oria K. Vande Weghe a jugé regrettable lors d'une intervention sur RFI, tout en laissant entendre que la coopération avec Niamey ne prenait pas nécessairement fin pour autant :

« La volonté de la secrétaire générale, ce sera de solliciter l'avis des États pour voir dans quelle mesure l'OIF peut rester engagée auprès des populations de ces pays-là. On a des projets en cours. Le retrait du Niger des instances de la Francophonie, est-ce que cela doit nécessairement pénaliser les populations auxquelles nous sommes attachées ? L'Organisation internationale de la Francophonie a à coeur les communautés francophones, y compris dans les pays non membres. Donc, il n'y a pas de raison que ça cesse pour le Niger. »

Le Mali, autre symbole fort de la Francophonie institutionnelle

Si la note verbale précitée du ministère des affaires étrangères et de la coopération internationale du Mali accuse l'OIF de s'être « illustrée par l'application sélective des sanctions », le même document contient un rappel historique qui ne manque pas d'intérêt et souligne même l'attachement du Mali aux valeurs et aux idéaux promus par la Francophonie :

« La République du Mali, membre fondateur de l'Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), devenue par la suite l'Organisation internationale de la Francophonie, a contribué, de manière significative, à la construction et au renforcement de cette organisation. Le Mali a, à maintes occasions, démontré son attachement aux valeurs et idéaux promus par la Francophonie. »

Un tel rappel historique et cette convergence de vues soulignée, relativement aux valeurs et idéaux promus par la Francophonie, sont indéniablement une ouverture pour l'avenir des relations entre l'OIF et Bamako qui est le berceau de la Déclaration devenu le texte normatif de référence de la Francophonie. En effet, la Déclaration de Bamako du 3 novembre 2000 dote l'organisation internationale des moyens d'action en cas de rupture de la légalité démocratique ou de violations graves des droits humains dans un État membre.

La note verbale portant retrait de l'État malien de l'OIF préserve donc une certaine marge pour d'éventuelles discussions futures ; reste à voir quels seraient alors les éléments à partir desquels de telles discussions pourraient incidemment être engagées.

Quid du Burkina Faso ?

Si, pour le moment, rien de particulier ne filtre du retrait du Burkina Faso, intervenu en même temps que celui du Niger, il est presque certain que la problématique soit sensiblement la même que celle des deux autres États du Sahel.

En effet, cet État sahélien, qui est également un membre fondateur de la Francophonie et qui en fut longtemps l'un des piliers, a une grande proximité idéologique avec ses voisins malien et nigérien.

Cette proximité idéologique est en grande partie liée à la prise de pouvoir par l'armée dans ce pays également, à leur opposition commune à l'ancienne puissance coloniale (la France, donc), au retrait concerté de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), dont ils sont aussi des États membres fondateurs, et à la volonté de développer à l'international de nouveaux partenariats ; ce qui va se traduire notamment par un net rapprochement avec la Fédération de Russie.

La récurrence du phénomène de retrait des États des organisations internationales

Le retrait d'un État d'une organisation internationale, tout comme son adhésion, est un phénomène classique qui relève de son imperium, autrement dit de sa souveraineté-liberté. Ce phénomène s'est d'ailleurs régulièrement manifesté dans les relations internationales, y compris au cours de ces dernières années ou décennies.

Ainsi en est-il précisément du retrait effectif des trois États sahéliens du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, le 29 janvier 2025, comme celui du Royaume-Uni de l'Union européenne, depuis le 31 janvier 2020, ou comme celui du Burundi de la Cour pénale internationale (CPI), qui a pris effet à partir du 17 octobre 2017, celui du Royaume du Maroc de l'Union africaine en 1984 et de son retour dans la même organisation en 2017, ou encore celui des États-Unis de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) en 2017 et de leur retour dans la même organisation en 2023, etc.

Il n'est donc pas impossible que les trois États africains du Sahel qui viennent de se retirer de l'Organisation internationale de la Francophonie réintègrent un jour cette même organisation dont ils sont historiquement, nous l'avons souligné, des membres fondateurs ainsi que des piliers et des symboles importants.

Si l'idée que la Francophonie serait une victime collatérale « d'une situation géopolitique qui la dépasse » peut être jugée fondée, l'Organisation francophone peut aussi éventuellement en tirer les enseignements nécessaires et prendre des dispositions relatives à des situations de cet ordre qui, malheureusement, ne manquent pas dans les organisations internationales.

Reste alors l'accusation récurrente et épineuse du « deux poids-deux mesures » à laquelle les organisations internationales sont en réalité presque toutes confrontées et qui se trouve au coeur du retrait des trois pays sahéliens qui estiment infondées les critiques exprimées à leur égard par l'OIF depuis que des militaires y ont pris le pouvoir. En effet, de telles accusations ont été régulièrement formulées à l'égard des Nations unies, de la Cour pénale internationale, de l'Union africaine (y compris au sujet de la situation politique des États africains du Sahel au cours de ces dernières années) ou encore de la Cedeao dont le Burkina Faso, le Mali et le Niger se sont aussi retirés tout récemment, etc.

On l'aura compris : les retraits et retours d'États dans des organisations internationales sont des affaires relativement courantes, en quelque sorte inévitables, du fait même du fonctionnement de ces grandes institutions qui peinent parfois à convaincre l'ensemble de leurs membres de la justesse et de l'équité de leurs déclarations.

Prof. Roger K. Koudé, Titulaire de la Chaire UNESCO « Mémoire, Cultures et Interculturalité » Professeur de Droit international à l'Institut des droits de l'homme de Lyon (IDHL) Université Catholique de Lyon, UCLy (Lyon Catholic University)

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