Ile Maurice: Gestion des fonds publics - Les défaillances persistantes épinglées

Le rapport de l'Audit 2023-24, publié hier, met en lumière de nombreuses failles structurelles dans la gestion des ressources publiques. Bien que certaines améliorations soient notées, les problèmes récurrents de gouvernance, de passation de marchés, de digitalisation et de suivi budgétaire continuent de nuire à l'efficacité du service public.

Dépenses publiques : contrôles insuffisants et gaspillage

Le directeur de l'Audit souligne à nouveau de sérieuses lacunes dans le contrôle des dépenses et la gestion des projets. Sur 301 recommandations formulées dans le rapport 2022-23, seules 38 % ont été pleinement mises en oeuvre, tandis que 18 % sont restées lettre morte. Le rapport dénonce l'absence d'un registre des actifs gouvernementaux complet, la non-évaluation des passifs sociaux réels et l'incapacité à détecter les litiges juridiques potentiels, ce qui affecte la fiabilité des états financiers.

Transformation numérique : Un chantier en panne

Malgré plus de Rs 4 milliards investies depuis une décennie dans des projets numériques, la digitalisation de la fonction publique progresse lentement. Plusieurs projets clés, comme le Human Resource Management Information System, l'e-Social Security ou encore la refonte du site météo, ont été abandonnés ou retardés, malgré des coûts cumulés dépassant les Rs 500 millions.

Le rapport pointe l'absence d'un plan directeur d'e-gouvernement, un manque de coordination entre les ministères concernés et une faible adoption des services en ligne par les citoyens. Sur les 123 e-services disponibles, seuls 10 % ont connu une utilisation significative, comme le renouvellement en ligne du permis de conduire.

Sur 150 projets TIC recensés, plusieurs ont été abandonnés ou n'ont jamais atteint leurs objectifs :

  • Projet Internet dans les écoles secondaires : Rs 81,7 millions dépensés, zéro école connectée.
  • Human Resource Management Information System (HRMIS) : Rs 422 millions depensés sur sept ans, aucun module operationnel.

Dette élevée

Au 30 juin 2024, la dette du secteur public s'élevait à plus de Rs 546 milliards, représentant 81,4 % du produit intérieur brut. L'État peine à récupérer plusieurs prêts accordés à des entités publiques déficitaires.

Des investissements publics en chute libre

Au 30 juin 2024, la valeur des investissements du gouvernement dans Metro Express Ltd et la Wastewater Management Authority a connu une dépréciation significative. Initialement acquis pour Rs 15,2 milliards et Rs 2,6 milliards, ces investissements ne valent plus que Rs 11,7 milliards et Rs 831 millions respectivement. Quant aux actions de MauBank Holdings Ltd, achetées pour Rs 5,7 milliards, elles sont désormais comptabilisées à une juste valeur de zéro.

Depuis leur acquisition, ces trois entités n'ont généré aucun retour sur investissement pour l'État. Metro Express Ltd et la Wastewater Management Authority affichent des pertes dans leurs derniers bilans financiers, respectivement arrêtés au 30 juin 2021 et au 30 juin 2023. Seule MauBank Holdings Ltd a enregistré un bénéfice, selon ses états financiers audités au 30 juin 2022. Ces chiffres soulèvent des questions sur la rentabilité de ces investissements et la gestion des fonds publics.

Santé, éducation, infrastructures : Dysfonctionnements multiples

Le rapport couvre une vingtaine de ministères et entités parapubliques. Parmi les secteurs les plus touchés :

Ministère de la Santé : retards dans la mise en oeuvre du système e-Health, surcoûts liés aux achats de médicaments, gestion opaque des heures supplémentaires.

Éducation : violences scolaires en hausse et connectivité internet toujours absente dans les écoles secondaires malgré Rs 81 millions investies.

Police : système radar côtier obsolète, mauvaise gestion du parc automobile VIP et retards dans le traitement des affaires en suspens.

Logement : inadéquation persistante entre l'offre et la demande de logements sociaux.

Gouvernance et responsabilité: Alertes ignorées

Le National Audit Office (NAO) alerte une fois encore sur la non-conformité aux lois financières, l'absence de suivi efficace des projets et le manque d'appropriation des outils numériques. Le cloisonnement des ministères, l'absence de comités interinstitutionnels actifs et le peu d'attention aux indicateurs de performance freinent toute tentative de modernisation.

La création d'une Mauritius Digital Transformation Agency, pourtant approuvée depuis 2022, n'a toujours pas été mise en oeuvre. De même, le site de secours du centre de données gouvernemental, pourtant stratégique, n'est toujours pas opérationnel après dix ans.

Indices internationaux : Stagnation inquiétante

Le rapport souligne que Maurice, malgré un bon classement en Afrique dans l'indice EGDI (E-Government Development Index), stagne au niveau mondial (76e en 2024, contre 77e en 2010). L'Afrique du Sud, à titre de comparaison, est passée de la 97e à la 40e place. Le pays affiche aussi des scores en recul sur l'e-participation et les services en ligne.

Recommandations prioritaires

Le NAO recommande entre autres :

· L'élaboration urgente d'un plan directeur d'e-gouvernment.

· Le renforcement des compétences numériques dans la fonction publique.

· La mise en place d'indicateurs de performance numériques clairs.

· Une meilleure évaluation des projets financés par des fonds publics.

· La priorisation de la cybersécurité et de la résilience informatique.

· Des indicateurs de performance inspirés de Singapour

· Des enquêtes citoyennes sur les services publics.

Le rapport de l'Audit 2023-24 confirme que la qualité de la gestion publique reste un défi majeur pour Maurice malgré des moyens mobilisés. Sans une réforme en profondeur de la gouvernance, de la transparence et de la coordination interinstitutionnelle, le pays risque de continuer à perdre en efficacité et en compétitivité.

Les points saillants

Ministère des Finances : la dette publique continue de croître.

· La dette publique totale a atteint Rs 546 milliards au 30 juin 2024, soit 81,4 % du PIB, bien au-delà du plafond de 80 % fixé par la loi.

· La dette a augmenté de Rs 164 milliards en cinq ans (+43 %).

· Le service de la dette pour l'année s'élève à Rs 125,6 milliards, soit 40 % des dépenses totales de l'État.

· Le gouvernement a perdu Rs 1,1 milliard en pertes de change sur sa dette extérieure cette année.

Santé : vaccins Covid inutilisés, Rs 494 millions en jeu

· Le ministère a provisionné Rs 494 millions pour des vaccins Pfizer et Johnson & Johnson non livrés et devenus inutiles.

· Des doses commandées mais jamais reçues ont atteint 1,3 million d'unités.

· Une dette supplémentaire de Rs 549 millions pour des vaccins Sputnik est toujours en suspens sans provision ni divulgation.

· Le NAO dénonce l'absence de stratégie pour éviter ces engagements inutiles.

Transports : équipements à l'abandon et dépenses sans retombées

· Le système intelligent de gestion du trafic, coûtant Rs 59,6 millions, est toujours inopérant.

· L'achat de panneaux de signalisation intelligents pour Rs 25 millions est resté lettre morte faute de planification des installations.

· À la National Land Transport Authority, des retards persistants dans la digitalisation ont causé la perte de milliers de certificats d'enregistrement.

Éducation : gaspillage numérique et infrastructures vétustes

· Plus de Rs 81 millions ont été investies dans des équipements numériques dans les écoles, mais de nombreux établissements restent sans connexion internet.

· Le ministère a aussi payé Rs 11,4 millions pour des tablettes inutilisées, restées en stock pendant deux ans.

· Le rapport de l'Audit dénonce un manque de suivi dans la distribution et la maintenance du matériel éducatif.

Police : équipements obsolètes, mauvaise gestion du parc automobile

· Le système radar côtier de Rs 135 millions est devenu inopérant faute de maintenance.

· Des véhicules VIP affectés aux hauts gradés ont été utilisés sans autorisation, avec des frais d'entretien de plus de Rs 4 millions sans justification.

· 2 800 cas criminels restent non résolus en raison du retard dans les analyses ADN.

Logement : des projets sociaux en désalignement avec la demande

· Plusieurs projets de logements sociaux ont été lancés sans étude de faisabilité.

· Des terrains attribués sans infrastructure de base sont restés inutilisés.

· Le coût moyen par logement a grimpé à Rs 2,6 millions, contre un plafond initial de Rs 1,8 million.

Énergie et eau : dettes impayées et pertes colossales

· La CWA n'a pas remboursé ses dettes depuis 2017, avec des pertes de Rs 267 millions en 2023-24.

· La Wastewater Management Authority affiche des pertes similaires, sans mesures de redressement.

· Le déploiement de compteurs intelligents, prévu depuis 2018, n'a pas dépassé 12 % de la couverture cible.

Digitalisation de l'État : Rs 4 milliards investies, peu de résultats

· Sur 123 e-services publics lancés, seuls 10 % sont réellement utilisés par la population.

· Des projets comme le HRMIS (gestion RH numérique) et l'e-Social Security ont coûté plus de Rs 500 millions sans aboutir.

· Le centre de données de secours, annoncé en 2013, n'est toujours pas opérationnel.

Comptabilité et gouvernance : lacunes systémiques

· Le rapport de l'Audit note un manque de contrôle des actifs de l'État, avec plusieurs ministères incapables de fournir un registre à jour.

· Plus de Rs 14,9 milliards de liquidités et Rs 8,8 milliards d'investissements sont mal classifiés dans les comptes.

· Sur 301 recommandations faites en 2022-23, seulement 38 % ont été mises en oeuvre.

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