Ile Maurice: Droit fondamental ou interdiction contestable ?

L'intervention de Joanna Bérenger, ce mardi 25 mars, lors des débats sur le Bail (Amendment) Bill à l'Assemblée nationale, a ravivé la question sur l'utilisation du Kreol Morisien au Parlement.

Après avoir commencé son discours en français et en anglais, la junior minister de l'Environnement a poursuivi en Kreol Morisien avant d'être interrompue par la speaker, Shirin Aumeeruddy-Cziffra. Cette dernière a rappelé que les Standing Orders de l'Assemblée nationale stipulent que seuls l'anglais et le français sont autorisés comme langues d'expression.

Cadre légal contesté

L'avocat et membre du MMM Nabil Moolna a réagi à cette interdiction en apportant un argumentaire juridique solide en faveur de l'usage du Kreol Morisien au Parlement. Selon lui, l'interprétation stricte de l'article 49 de la Constitution mauricienne, qui établit l'anglais comme langue officielle de l'Assemblée nationale, tout en permettant l'usage du français, ne signifie pas automatiquement l'exclusion du Kreol Morisien. Il soutient que l'application littérale de cet article repose sur le principe expressio unius est exclusio alterius (l'expression d'une chose implique l'exclusion d'une autre) mais qu'une telle lecture n'est pas la seule possible.

L'avocat préconise une approche plus contextuelle et téléologique de la loi, en se basant sur les articles 1 et 12 de la Constitution. L'article 1 définit Maurice comme un État souverain et démocratique tandis que l'article 12 garantit la liberté d'expression, sous réserve de restrictions justifiables dans une société démocratique. «Ces dispositions ne sont pas décoratives : elles sont le socle de notre ordre juridique», souligne-t-il.

Outil de démocratie

Me Moolna insiste sur le fait que le kreol morisien est la langue maternelle de la majorité des Mauriciens et qu'elle constitue un puissant outil d'expression démocratique. Exclure cette langue de la législature nationale crée, selon lui, une barrière linguistique injustifiée entre les parlementaires et la population qu'ils représentent. L'avocat invoque la règle d'or de l'interprétation juridique, qui permet de s'écarter d'une lecture littérale si elle conduit à des résultats absurdes ou injustes. «Empêcher un Mauricien de s'exprimer dans la langue nationale du peuple, au sein de l'Assemblée du peuple, est difficilement justifiable d'un point de vue démocratique», argue-t-il.

Au coeur de son argumentaire, l'avocat souligne que l'article 49 vise avant tout à assurer la clarté des procédures parlementaires et la cohérence des archives officielles. Il ne cherche pas, selon lui, à restreindre l'expression démocratique ou à figer des positions linguistiques. Il rappelle, par ailleurs, qu'une règle constitutionnelle doit être interprétée de manière à favoriser les droits fondamentaux plutôt que de les restreindre.

Il avance aussi qu'en l'absence d'une interdiction explicite, ce qui n'est pas formellement prohibé devrait être considéré comme autorisé dans un système démocratique. Il rappelle que l'article 49 ne mentionne pas l'interdiction du Kreol Morisien mais se contente de désigner l'anglais comme langue officielle et d'autoriser l'usage du français.

Initiative politique nécessaire

La speaker de l'Assemblée nationale, Shirin Aumeeruddy Cziffra, a interpellé le Premier ministre, Navin Ramgoolam, sur la nécessité de mettre en place un Select Committee afin d'examiner l'introduction du Kreol Morisien au Parlement. Elle estime qu'une majorité de députés soutiendraient cette démarche, réaffirmant son engagement en faveur de cette reconnaissance linguistique. En attendant, l'exclusion du Kreol Morisien au Parlement continue de susciter des interrogations sur la représentativité et l'accessibilité de l'Assemblée nationale pour l'ensemble des Mauriciens.

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