Le 24 mars 2025 par Peter Sands, directeur exécutif
Bien qu'il soit possible de la prévenir et de la guérir, la tuberculose a fait 1,25 million de victimes en 2023, reprenant le premier rang mondial des causes de décès par maladie infectieuse. Cette infection des voies respiratoires, qui tend à résister aux médicaments, met en péril la sécurité sanitaire mondiale.
Après avoir été ralentie par le COVID-19, la lutte contre la maladie a connu une relance spectaculaire, mais les récentes coupures dans l'aide au développement pour la santé risquent de freiner cet élan. Un grand nombre des pays les plus touchés par la maladie ont de graves déficits de financement pour l'achat de tests et de traitements. Or, tout ralentissement de la lutte contre la tuberculose ne fera qu'augmenter les risques et les coûts - partout dans le monde.
La tuberculose est une maladie extrêmement dangereuse. En 2023, environ 10,8 millions de personnes ont contracté la maladie. En fait, le nombre de nouveaux cas de tuberculose augmente depuis 2020. Dans notre monde hyperconnecté, la tuberculose sévit dans toutes les grandes villes, dans tous les pays - le nombre de cas de tuberculose aux États-Unis a atteint un sommet inégalé depuis 2011. En Europe, on assiste à une hausse alarmante des infections tuberculeuses chez les enfants. Une personne atteinte de tuberculose active non traitée peut contaminer jusqu'à 15 personnes en un an.
Les 1,25 million de décès attribuables à la tuberculose en 2023 donnent un taux de mortalité de 12 %, beaucoup plus élevé que celui du COVID-19. La plupart de ces décès étaient évitables. La grande majorité des cas de tuberculose sont « pharmacosensibles », c'est-à-dire qu'ils peuvent être guéris au moyen d'un traitement relativement bon marché, quoiqu'assez long. Les principaux défis de la lutte contre cette forme de la tuberculose sont de trouver les personnes qui ont contracté la maladie, les mettre sous traitement et veiller à ce qu'elles suivent leur traitement jusqu'au bout. Étant donné que la plupart des infections tuberculeuses surviennent parmi les populations pauvres et marginalisées, aucun de ces défis n'est facile à relever.
Mais ce n'est pas tout. Il existe une forme encore plus dangereuse de la tuberculose, et de loin. En 2023, environ 400 000 personnes ont développé l'une des nombreuses formes de tuberculose « pharmacorésistante », qui sont beaucoup plus difficiles à traiter, et beaucoup plus mortelles. Parce que la tuberculose pharmacorésistante est difficile à diagnostiquer et que son traitement est coûteux et complexe, seulement 2 personnes sur 5 qui en étaient atteintes en 2023 ont reçu un traitement. Les personnes traitées n'ont pas toutes survécu, et la plupart de celles qui n'ont pas été traitées sont mortes. La tuberculose pharmacorésistante est l'une des principales causes de mortalité associée à la résistance aux antimicrobiens.
Du point de vue de la sécurité sanitaire mondiale, le pire scénario serait une prolifération à grande échelle de formes pharmacorésistantes de la tuberculose, compte tenu de la difficulté de les traiter et de leur létalité élevée. Bien entendu, cette prolifération pourrait résulter de l'infection par les personnes atteintes de la tuberculose pharmacorésistante non traitées.
Mais elle pourrait aussi résulter de l'incapacité des personnes atteintes de la tuberculose pharmacosensible à suivre leur traitement jusqu'au bout, laissant la possibilité à l'agent pathogène de refaire surface sous une forme pharmacorésistante. Nous devons également tenir compte du fait que les processus d'évolution génétique à l'origine de la résistance aux médicaments sont toujours en action. Il ne faut surtout pas sous-estimer le risque de voir apparaître des formes encore plus transmissibles et résistantes de la maladie.
Si nous échouons à contrôler la tuberculose, tout le monde sera en danger. À l'heure actuelle, la tuberculose est la « pandémie des pauvres » : la plupart des décès surviennent parmi les communautés les plus défavorisées, les personnes vivant avec le VIH ou les populations marginalisées, comme les personnes déplacées et réfugiées, les personnes incarcérées et les personnes qui consomment des drogues injectables. La stigmatisation et la discrimination à l'endroit de ces populations entravent leur accès aux services vitaux et exacerbent leur vulnérabilité. Mais la tuberculose deviendra une menace pour tout le monde si elle n'est pas maîtrisée. N'oublions pas qu'il y a un siècle, la tuberculose était l'une des principales causes de mortalité dans presque tous les pays riches du monde.
En plus des impératifs pour la sécurité sanitaire, il y a également une excellente raison économique d'investir dans la lutte contre la tuberculose. Comme elle affecte de manière disproportionnée les personnes en âge de travailler et est coûteuse et difficile à traiter, la tuberculose entraîne d'énormes pertes de productivité et de lourdes dépenses pour les systèmes de santé. Les investissements dans la prévention, la détection précoce et le traitement de la tuberculose génèrent des rendements extrêmement élevés.
Malgré les récents bouleversements dans le domaine de la santé mondiale, il y a matière à demeurer optimiste. Lors de la Réunion de haut niveau des Nations Unies sur la lutte contre la tuberculose, les pays ont réitéré leur engagement à atteindre les cibles mondiales conduisant à l'élimination de la maladie. Des innovations promettent des améliorations considérables dans le diagnostic, la prévention et le traitement.
Les efforts d'orientation des marchés dirigés par des partenaires mondiaux, en collaboration avec le secteur privé, aboutissent à des réductions considérables du prix des produits de lutte contre la tuberculose, de sorte que les outils qui sauvent des vies sont plus accessibles et abordables que jamais. Les investissements dans les programmes de lutte contre la tuberculose renforcent également les systèmes de santé et communautaires à tous les niveaux, les rendant plus inclusifs, plus résilients et mieux préparés aux autres menaces sanitaires. En 2024, un nombre record de personnes ont été diagnostiquées avec précision et traitées avec succès contre la tuberculose.
Ce n'est pas le moment de ralentir la lutte ou de tourner le dos à la tuberculose. Au contraire. C'est le moment de redoubler d'ardeur pour mettre fin à la maladie une fois pour toutes - des millions de vies et notre avenir collectif sont en jeu. Nous avons les outils à notre disposition, et nous connaissons les stratégies qui fonctionnent. Ce qu'il nous faut maintenant, c'est la volonté politique et le financement.
Cet article d'opinion a été originalement publié dans Forbes.