Ouganda: Un documentaire sur la caricature et les caricaturistes sous le régime d'Amin Dada

Comment pouvait-on être caricaturiste de presse sous le régime du dictateur Idi Amin Dada ? C'est la question qui est au coeur du dernier documentaire du cinéaste néerlandais Michiel van Oosterhout, The Tongue Turns To The Aching Tooth.

Dans ce film, Jimmy Spire Ssentongo, l'un des plus grands caricaturistes ougandais actuels, part à la rencontre des dessinateurs de presse des années 1970, lorsqu'Amin Dada régnait sur le pays. Certains, anonymes à l'époque, s'expriment sur leur métier pour la première fois.

Ainsi, leurs dessins ont marqué la culture ougandaise mais à Kampala très peu connaissent leurs noms et leurs visages. Il a fallu plusieurs années à l'équipe du film pour retrouver les caricaturistes qui témoignent.

« Ils avaient peur pour leur sécurité. Même les personnes qui travaillaient dans leurs journaux que j'ai pu rencontrer, aucun n'a pu me donner leurs noms. On m'a simplement expliqué qu'ils déposaient leurs dessins dans une boite, repartaient et personne ne les rencontrait », précise Michiel van Oosterhout, le réalisateur.

Parmi les témoins retrouvés se trouve JJSS, (John Jones Salongo Serwanga), le doyen des caricaturistes ougandais, âgé de 102 ans.

Il se souvient comment est née sa vocation : « Nous étions en train d'applaudir le kabaka, le roi, en visite, et j'ai repéré trois hommes avec des carnets et une caméra... qui ne s'étaient pas agenouillés. Ils m'ont dit qu'ils travaillaient dans la presse. Je me suis dit : Ces gens sont libres. Je veux faire comme eux. »

Dans le documentaire, chacun témoigne sur sa relation au pouvoir et à la censure sous Amin Dada, entre terreur et chape de plomb.

« On pouvait te tuer, pour avoir parlé d'Idi Amin », affirme James Tumusiime. Il s'en souvient... un de ses dessins lui a valu d'être traqué par les services de sécurité.

« Sur le dessin, un homme entrait dans une boucherie et demandait une tête de cochon. Le vendeur répondait : mais tu ne vois pas que je suis un humain ? Je n'ai pas une tête de cochon. Il se trouve que la nuit précédente, le régime avait fait tuer l'archevêque et Amin était surnommé « le boucher » et donc, ses services lui ont dit : dans ce dessin, il parle de toi. »

Recherché, James Tumusiime s'est alors exilé, avant de revenir en Ouganda pour continuer à dessiner.

« J'ai arrêté de dessiner des cochons », précise-t-il.

Un témoignage précieux sur la société et les moeurs de l'époque

Pour contourner la censure, les caricaturistes qui témoignent racontent la façon dont ils évitaient les sujets politiques ou la religion, préférant aborder des questions de société. Les dessins évoqués dans le documentaire constituent donc un témoignage précieux sur la société et les moeurs de l'époque, et notamment le statut des femmes.

Il règne, sur ces années, un parfum de misogynie comme nous l'explique Florence Brisset Foucault, chercheuse, maître de conférence à l'université Paris1, et l'une des co-auteurs du documentaire, jointe par RFI.

« On voit notamment beaucoup de personnages de prostituées ou d'épouses mécontentes ou encore de jeunes femmes qui s'habillent de manière provocante et ce que ça laisse transparaître, c'est la manière dont les comportements féminins étaient critiqués sous Idi Amin Dada, à la fois par l'État, mais aussi par la société. »

En effet, il y a eu une des lois passées par Idi Amin, pendant la dictature, qui est assez connue. C'était une loi qui interdisait... on le disait souvent, une loi qui interdisait les mini-jupes. En fait, ce n'était pas seulement les mini-jupes qui étaient interdites. C'étaient aussi les mini shorts, les pantalons moulants, les perruques, le maquillage trop ostentatoire... et ce que l'on observe dans ces dessins, c'est que ces mesures étaient, en fait, plutôt populaires au sein de la société ougandaise et qu'il y avait une forte critique sur des comportements de femmes qui paraissaient trop libérés et trop provocateurs aux yeux de la société patriarcale, en Ouganda, à l'époque.

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