Soudan: Deux ans de conflit entachés par l'échec mondial à protéger les civils

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Lettre conjointe des ONG à la HRVP Kaja Kallas et aux ministres des Affaires étrangères de l'UE

Madame la Haute Représentante,

Mesdames et Messieurs les ministres des Affaires étrangères de l'UE,

Alors que deux années se sont écoulées depuis le début du conflit dévastateur au Soudan qui continue de briser la vie de milliers de personnes et de détruire les infrastructures civiles à travers le pays, l'Union européenne (UE) et les autres acteurs internationaux n'ont pas su agir de manière significative pour protéger les civils attaqués.

Le conflit en cours au Soudan entre les Forces armées soudanaises (FAS) et les Forces de soutien rapide (FSR), qui a éclaté en avril 2023, a causé la mort de dizaines de milliers de personnes et en a blessé de nombreuses autres. Le Soudan fait actuellement face à la plus grande crise de déplacements au monde. 12,9 millions de personnes ont fui leur foyer, dont 8,9 millions déplacées à l'intérieur du pays (53 % sont des enfants), tandis qu'environ 3,8 millions d'autres sont réfugiées dans les pays voisins et vivent souvent dans des conditions désastreuses.

Les personnes encore présentes au Soudan sont confrontées à des meurtres, à des exécutions sommaires, à des blessures, à des viols, y compris collectifs, à l'esclavage sexuel et d'autres formes de violence sexuelle, à la torture, aux disparitions forcées et aux pillages généralisés, qui constituent tous des crimes de guerre et dont certains peuvent également constituer des crimes contre l'humanité.

Les enfants ont été pris sous le feu croisé de bombardements aériens et de tirs d'obus, causant de nombreuses victimes et de graves répercussions sur leur sécurité, leur éducation et leur bien-être. Depuis le début de la guerre, l'accès à une information indépendante et fiable est menacé, les journalistes étant la cible de menaces de mort, de violences et d'attaques de la part des deux parties belligérantes. Les infrastructures médiatiques, y compris les bureaux et le matériel, ont été pillées, incendiées et délibérément détruites.

Les meurtres à motivation ethnique, les déplacements forcés et les violences sexuelles perpétrés par les deux parties ont refait surface, établissant des parallèles alarmants avec la crise du Darfour de 2003-2005, lorsque des atrocités massives ont été commises à l'encontre de communautés ethniques.

La résurgence de ces tactiques fait craindre un retour aux heures les plus sombres des guerres du Soudan, marquées par des campagnes systématiques de nettoyage ethnique et des crimes de guerre ayant dévasté des communautés entières.

Les parties au conflit ont à plusieurs reprises délibérément bloqué et/ou pillé l'aide humanitaire et pris pour cible les intervenants d'urgence, menaçant à nouveau les survivants. Les défenseurs des droits humains, en particulier ceux qui travaillent sur la bonne gouvernance, la consolidation de la paix, la documentation des violations des droits humains, et les violences sexistes et sexuelles, ont été spécifiquement ciblés par les deux parties au conflit.

Les efforts diplomatiques ont échoué à changer le comportement des parties belligérantes et à mettre fin aux violations. La récente décision du gouvernement des États-Unis de suspendre l'aide étrangère ne fait qu'amplifier l'urgence d'une action diplomatique forte et rapide, d'une assistance vitale et d'un engagement renouvelé contre l'impunité au Soudan, en faveur des victimes de violations des droits humains et en soutien aux organisations de la société civile qui oeuvrent sur le terrain.

Dans sa résolution du 13 mars, le Parlement européen a lancé un appel urgent aux parties belligérantes ainsi qu'à l'UE et à ses États membres à agir afin de protéger les civils, fournir une aide humanitaire suffisante et faire en sorte que les auteurs de crimes rendent des comptes.

À l'occasion de ce second anniversaire, nos organisations appellent à ce que la situation au Soudan soit inscrite comme point à part entière à l'ordre du jour du prochain Conseil des Affaires étrangères du 14 avril, afin de renforcer l'action de l'UE.

Nous continuons à appeler l'Union européenne et ses États membres à agir fermement et stratégiquement en faveur des droits de toutes les personnes affectées par le conflit dévastateur au Soudan, en particulier à :

  • Condamner les violations commises par toutes les parties belligérantes, et les exhorter à :
    • Cesser immédiatement toutes les formes de violence et les attaques contre les civils et les infrastructures civiles, y compris les attaques indiscriminées, les exécutions sommaires, les viols généralisés et les autres formes de violence sexuelle contre les femmes et les filles, ainsi que la destruction d'habitations, d'écoles et d'hôpitaux.
    • Cesser les attaques ciblées et le harcèlement des activistes soudanais, défenseurs des droits humains, journalistes et de la société civile.
    • Mettre fin à l'obstruction délibérée de l'aide, à toutes les attaques contre les travailleurs humanitaires et médicaux, y compris les membres des Salles d'Intervention d'Urgence (Emergency Response Rooms, ERR). Faire pression sur toutes les parties au conflit pour qu'elles autorisent un accès humanitaire immédiat, sûr et sans entrave, en coopérant à cette fin avec les Nations unies, l'Union africaine, l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et les autres États impliqués.
    • Rétablir les services de communication dans l'ensemble du Soudan, en mettant fin aux coupures d'Internet qui violent le droit à l'information des Soudanais, entravent la fourniture de services humanitaires et d'urgence, ont un impact sur la sécurité et la protection des civils et font obstacle à la surveillance et à l'établissement des faits sur les violations actuelles des droits humains et du droit humanitaire international.
  • Redoubler l'action de l'UE :
    • Utiliser tous les instruments à la disposition de l'UE et de ses États membres pour répondre d'urgence aux graves violations des droits humains et du droit humanitaire international au Soudan, et pour que les auteurs de ces violations soient tenus de rendre des comptes.
    • Publier des conclusions du Conseil définissant la stratégie de l'UE et des États membres pour concrètement mettre en oeuvre leurs engagements en matière de droits humains, de droit humanitaire, de justice, de responsabilité et de protection des civils au Soudan et pour faire clairement savoir aux responsables qu'ils seront tenus pour responsables des graves violations commises.
    • Augmenter le financement d'urgence pour la réponse humanitaire au Soudan et dans les camps de réfugiés des pays voisins, notamment en soutenant les acteurs locaux et les défenseurs des droits humains. Garantir un soutien adéquat à l'éducation en situation d'urgence et apporter un appui spécifique aux mécanismes de protection, de soins, de traitement et d'aide aux victimes de violences sexuelles et sexistes.
  • Protéger les civils :
    • Soutenir activement les autres acteurs internationaux et régionaux pour mettre en place des initiatives solides pour la protection des civils, y compris pour la surveillance et la documentation de violations des droits humains, et en soutenant les efforts de lutte contre l'impunité dans l'ensemble du Soudan.
    • Appeler les pays tiers, y compris les Émirats arabes unis, à respecter l'embargo sur les armes décrété par le Conseil de sécurité des Nations unies pour le Darfour en s'abstenant de tout transfert d'armes et de munitions aux FAS, aux FSR et aux autres groupes armés. Veiller à ce que tous les pays et entités qui ont violé l'embargo sur les armes au Darfour soient tenus pour responsables.
  • Défendre la justice et l'obligation de rendre des comptes
    • Financer et soutenir pleinement tous les efforts en cours en matière d'enquête et de reddition des comptes, y compris les travaux des missions d'établissement des faits du Conseil des droits de l'homme des Nations unies et de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples.
    • Veiller à ce que le bureau du procureur de la Cour pénale internationale (CPI) dispose des ressources nécessaires pour l'ensemble de ses activités, y compris pour enquêter sur les violations commises au Darfour. Apporter un soutien politique total aux travaux de la CPI et plaider pour que sa compétence soit étendue aux crimes internationaux commis dans l'ensemble du Soudan.
    • Travailler avec les parties belligérantes et les États voisins pour faciliter l'accès de tous ces mécanismes de responsabilité aux territoires qu'ils contrôlent.
    • Renforcer le recours à la compétence universelle pour enquêter et poursuivre les responsables de violations graves au Soudan et veiller à ce qu'ils ne trouvent aucun refuge dans les États membres de l'UE.
  • Soutenir les civils soudanais, les défenseurs des droits humains, la société civile et les journalistes :
    • Veiller à ce que les défenseurs des droits humains et les organisations de la société civile soudanaises, y compris les intervenants humanitaires locaux et les journalistes, soient véritablement consultés et que leurs points de vue et leurs préoccupations soient pris en compte dans tout processus de paix ou toute autre prise de décision les concernant. Conformément aux Lignes mig de l'UE sur les défenseurs des droits humains, protéger, promouvoir et soutenir activement leur travail.
    • Assurer la protection et le soutien des personnes fuyant le Soudan, en ouvrant des voies sûres et légales de migration, y compris hors d'Afrique. Ne pas renvoyer les ressortissants soudanais au Soudan ni dans tout pays tiers où ils risquent d'être renvoyés au Soudan.
    • Mener des négociations globales d'accès pour garantir l'acheminement de l'aide humanitaire par tous les canaux possibles, y compris les transports transfrontaliers et aériens, et garantir un accès équitable à tous les acteurs humanitaires, y compris les ONGI et les intervenants locaux dans les zones où les Nations unies ne sont pas présentes, qui peuvent intensifier leur réponse si les conditions d'accès et les ressources s'améliorent.
    • Garantir un soutien durable aux défenseurs des droits et aux journalistes soudanais (y compris ceux en exil) afin qu'ils puissent poursuivre leur travail essentiel. Soutenir les programmes de réinstallation des défenseurs des droits humains, offrir un refuge sûr à ceux qui sont en danger et fournir des voies légales d'asile.

Nous vous remercions de votre attention et restons à votre disposition, Madame la Haute Représentante, et Mesdames et Messieurs les ministres des Affaires étrangères, pour toute information complémentaire.

Signataires:

African Centre for Justice and Peace Studies

Almostagball For Enlightenment and Development Organization (AEDO)

Amnesty International

Cairo Institute for Human Rights Studies

Christian Solidarity Worldwide

Free Press Unlimited (FPU)

Front Line Defenders

Human Rights Watch

Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH)

REDRESS

Sudan Human Rights Monitor

Sudanese Organization for Researches and Development

Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT)

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