Ile Maurice: Entre promesses, réalités et endettement massif - Le casse-tête du Budget à venir

Porté largement au pouvoir le 10 novembre dernier sur la base d'un manifeste électoral aux 25 mesures phares, à la fois innovatrices et populistes, le gouvernement de l'Alliance du changement sera à son premier test de confiance en juin avec son premier Budget Speech, dont les contours sont actuellement esquissés par les techniciens et conseillers économiques du ministère des Finances. Une première épreuve soumise à la réalité des chiffres après celle des urnes le 4 mai avec, à la clé, la prise du pouvoir dans les cinq mairies.

Si la bataille électorale pour reprendre le contrôle de ces cinq villes paraît un jeu d'enfant pour le gouvernement en place, en revanche, les préparatifs de ce premier exercice budgétaire demeurent une tâche herculéenne. Car l'héritage économique légué par le précédent régime est lourdement négatif. Le document The State of the Economy, publié par le ministère des Finances et rendu public le 10 décembre 2024, dresse un bulletin de santé d'une économie admise à l'unité des soins intensifs avec des statistiques faussées et des sociétés d'État croulant sous des dettes conjuguées en milliards de roupies.

Il va de soi que la direction de l'Alliance du changement ne souhaite pas prendre de mesures qui hypothéqueraient l'avenir économique du pays dans le prochain exercice budgétaire. Car entendons-nous : la tentation peut être forte dans la première année d'un nouveau mandat de présenter un Budget qui répond aux promesses électorales abondamment médiatisées pendant la campagne, d'autant plus qu'une partie de la population vit toujours l'effet de l'euphorie de la victoire du 10 novembre dernier.

Mais en même temps, il y a des urgences économiques à régler et, à en croire les nouveaux dirigeants du pays, chacun doit se préparer à faire des sacrifices. Est-ce que la population est prête à se serrer la ceinture maintenant pour des lendemains meilleurs et éviter dans la foulée un «downgrading» de la note souveraine du pays par Moody's, qui nous surveille comme le lait sur le feu ?

Le prochain Budget sera présenté dans un contexte économique local difficile où la caisse de l'État est étonnamment vide, avec une économie à reconstruire. Du coup, il n'est pas à écarter, à entendre ceux qui tiennent les manettes aux Finances, que le grand oral de Navin Ramgoolam en tant que Premier ministre et ministre des Finances contienne des mesures d'austérité. Or, la simple évocation de ce mot austérité rappelle douloureusement les pilules amères que les institutions étrangères comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont fait avaler à la population dans les années 80, en contrepartie de l'assistance financière accordée aux gouvernements de l'époque.

Il ne faut pas voiler la face : si le gouvernement décide de frapper à la porte de ces agences de financement internationales, il faut s'attendre à ce que le pays passe à la caisse car «there is no such thing as a free lunch», comme le dit un adage connu. Et, en contrepartie, on sait que ces mesures relèvent généralement d'une réduction, voire de l'élimination de subventions sur certains produits de consommation, du ciblage des prestations sociales ou encore de l'imposition de nouvelles taxes.

Il faudra probablement attendre les prescriptions du FMI dans son prochain rapport d'Article IV, et dont une mission dirigée par Mariana Colacelli est actuellement à Maurice pour entamer des consultations avec les officiels du gouvernement, les responsables d'institutions financières comme la Banque de Maurice et les représentants du secteur privé. «Le prochain Article IV offrira une ligne conductrice à l'ébauche du prochain Budget», nous dit-on au Trésor public.

Explosion de la dette publique

Par ailleurs, le rapport de l'Audit, déposé au Parlement la semaine dernière, rappelle comment l'explosion de la dette publique ces cinq dernières années sous l'ancien gouvernement est venue fragiliser la posture du ministère des Finances dans sa démarche d'équilibrer l'exercice budgétaire 2025-26. Quand la dette a augmenté de Rs 164 milliards en cinq ans, passant à Rs 546 milliards le 30 juin 2024, dont Rs 125 milliards reviennent de la dette étrangère aujourd'hui, on peut comprendre comment la marge de manoeuvre du ministère des Finances est relativement mince, sinon inexistante.

D'autant plus que, selon le directeur de l'Audit, Dharamraj Paligadu, pour Rs 100 de dépenses publiques, Rs 45 sont destinées au remboursement de la dette publique, bien au-delà de la règle appliquée par les institutions financières et bancaires. Et d'ajouter ce qui doit être le mantra pour le Grand argentier : «Le ministère doit équilibrer l'augmentation de ses dépenses avec des politiques fiscales efficaces et des stratégies de gestion de la dette afin de garantir que la dette reste gérable et ne devienne pas un fardeau pour le marché financier et la croissance économique.»

D'une année à l'autre, chaque ministre des Finances joue le clavier fiscal pour doper les sources de revenus gouvernementales. Dans son dernier rapport publié en janvier dernier, Moody's a invité les autorités à poursuivre un plan de consolidation budgétaire pour augmenter les recettes, faire baisser les dépenses, réduire le déficit public à 4,9 % du Produit intérieur brut en 2025-26, et stabiliser la dette publique à 77 % en juin 2026.

En langage direct et simple : il faudra taxer plus pour renflouer la caisse et atteindre... ces objectifs macroéconomiques. Or, l'une des principales sources de revenus demeure la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), une taxe sur la consommation qui frappe indistinctement tous les consommateurs, qu'ils soient de la classe aisée, moyenne ou défavorisée. Au terme de la dernière année fiscale de juin 2024, l'objectif de recueillir Rs 61,5 milliards sous forme de TVA n'a pas été réalisé, avec un manque à gagner de Rs 8 milliards.

Doit-on s'attendre à une hausse de la TVA pour doper les recettes fiscales, sachant que chaque point de cette taxe est susceptible d'apporter entre Rs 3,5 milliards et Rs 4 milliards dans les caisses de la Mauritius Revenue Authority ? On imagine mal le tandem Ramgoolam-Bérenger opter pour un tel choix, alors que durant toute la campagne électorale, il a fait de la baisse du pouvoir d'achat un de ses thèmes majeurs.

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