L'Initiative présidentielle pour la production agricole (2024-2029) et l'Offensive agropastorale et halieutique (2023-2025) sont deux programmes ambitieux de l'Etat burkinabè. Ils visent tous à donner un coup de fouet aux productions dans les domaines agricole, animale et halieutique, avec en ligne de mire, l'atteinte de l'autosuffisance alimentaire. Dans la filière riz, où nous braquons nos projecteurs, l'intervention de l'Etat à travers ces deux leviers fait des merveilles dans les régions des Cascades et des Hauts-Bassins.
Ce matin du mercredi 27 novembre 2024, le basfond rizicole aménagé de Lelekoussé est vide et calme. Sur la superficie qui s'étend à perte de vue dans ce quartier du village de Toumousséni, situé à 18 kilomètres (km) de Banfora sur l'axe Banfora-Sindou, les producteurs ont achevé, il y a quelques jours, la moisson de leur riz. L'aménagement de cet ancien bas-fond, jadis à production archaïque, date de 2024, juste avant l'installation de la saison des pluies. 63 hectares (ha) sur les 66,5 aménagés ont été effectivement exploités, cette saison pluvieuse. L'exploitation est assurée par la Coopérative « Y-Ougne » (manger à sa faim en langue turka), forte de plus de 200 membres.
Le périmètre a été parcellé en lopins de 0,20 à 0,27 ha chacune pour les exploitants. Quelques membres du bureau nous attendaient sur les lieux aux environs de 10 heures. Avec un encadrement technique à l'appui, la moisson a été bonne cette année, un record, affirme Yaya Siri, Secrétaire général (SG) de la Coopérative. Tous les exploitants, confie-t-il, ont eu au minimum 12 sacs de 100 kilogrammes (kg) de riz paddy par parcelle. Du jamais vu à Lelekoussé où avant, la semi à la volée du riz régnait en maître.
« D'habitude je ne récoltais pas plus de 5 sacs à la fin de la saison, mais cette année j'ai eu plus de 20 sacs », affirme ce jeune chef de ménage avec beaucoup de satisfaction. Yaya Siri est convaincu que l'aménagement du basfond fera tache d'huile à Lelekoussé. « J'ai un oncle qui a semé à la volée hors du basfond et sur plus d'un hectare, il n'a eu que 32 sacs.
Mon ménage a exploité 0,5 hectare sur le périmètre aménagé et a récolté plus de 20 sacs », compare 't-il. Les raisons de ce « miracle » à Lelekoussé : l'Initiative présidentielle pour la production agricole (2024-2029) et l'Offensive agropastorale et halieutique (2023-2025) sont passées par là. La Coopérative a donc bénéficié, en plus de l'aménagement du basfond, d'un appui technique, du labour gratuit de toute la superficie exploitée et d'un fonds de roulement de plus de 10 millions F CFA.
Avec le fonds de roulement, explique Yaya Siri, la coopérative a pu acquérir de l'engrais et l'a mis à la disposition des producteurs, à crédit remboursable après récolte. A ce rythme M. Siri est sûr que l'autosuffisance en riz est possible dans quelques années.
70 % des exploitants sont des femmes
A proximité des rizières, des femmes armées de bois, tapent dans un rythme cadencé, sur un tas de tiges de riz entassées à même le sol. En effet, c'est la seule technique pour elles d'extraire le riz paddy, par manque de batteuse mécanique. « Il y a des producteurs qui ont fauché leur riz depuis plus de deux semaines, mais ne l'ont pas encore battu.
Une batteuse sera d'un grand apport pour nous », souhaite le SG de la Coopérative. Comme Awa Souratié, trésorière de la coopérative, 70 % des exploitants du basfond sont des femmes. Avec sa superficie exploitée de 0,25 ha, elle a moissonné une dizaine de sacs de 100 kg de riz paddy. Pour elle, c'est la condition de vie de dizaines de femmes du village qui se voit améliorer à travers ces initiatives de l'Etat. Un peu plus tôt, sur la plaine rizicole aménagée de Karfiguela, à une dizaine de km de Banfora, c'est un jour de récolte dans la famille Ouattara, en plein travail collectif dans la fraicheur matinale. Aujourd'hui, c'est le tour du doyen de la famille de bénéficier de l'entraide communautaire. Une trentaine de personnes composées d'adolescents, de femmes et d'hommes ont pris d'assaut, depuis le lever du jour, un demi-hectare de riz.
Les uns fauchent, d'autres ramassent et un troisième groupe muni d'une batteuse mécanisée assure le battage. Sous la musique des pétarades, la machine sépare le riz paddy de la paille. Lassina Ouattara a exploité une superficie d'un hectare sur la plaine et espère récolter, à terme, trois tonnes de riz décortiqué.
Avec d'autres producteurs, tous membres d'une même Coopérative, ils ont bénéficié de l'accompagnement de l'Initiative présidentielle et de l'Offensive agricole dans leur production, notamment en labour gratuit, affirme-t-il. Ce riziculteur apprécie à sa juste valeur l'appui de l'Etat, même s'il souhaite que cet appui soit revu à la hausse et élargi à d'autres riziculteurs de la pleine.
Des chiffres encourageants
A Bama dans le Houet, à une trentaine de km de Bobo-Dioulasso, les deux programmes font également leurs effets sur les 1 260 ha de la plaine rizicole irriguée. L'Union des coopératives rizicoles Faso Djigui de Bama (UCRB), créée en 2001, fédère les 1 385 riziculteurs membres de neuf Coopératives de producteurs exploitant cette plaine. Selon le président de l'UCRB, Soumana Sanou, l'Union produit, transforme et commercialise le riz.
Avec un rendement moyen de 5,5 tonnes à l'hectare, fait savoir M. Sanou, la plaine produit autour de 10 000 tonnes de riz paddy par an dont seulement, dit-il, environ 1 500 tonnes sont transformées par l'unité de l'union et le reste revendu à des rizeries de la zone. L'Initiative présidentielle et l'Offensive agricole ont été d'un grand apport pour les producteurs de cette plaine.
« Si l'Initiative et l'Offensive n'existaient pas il fallait les créer. Elles nous ont sauvés », se félicite Soumana Sanou. L'UCRB, affirme-t-il, a bénéficié d'intrants dans le cadre de l'Initiative présidentielle, qu'elle a mis à la disposition de ses membres qui le remboursent après production et du carburant pour assurer les labours. Aussi, en 2023, rappelle-t-il, l'Initiative présidentielle, à travers un contrat, a racheté le riz transformé par l'UCRB. Les chiffres de l'Offensive agricole en faveur de la production du riz sont encourageants dans les régions des Hauts-Bassins et des Cascades.
Une batterie d'actions y a été prise dans le cadre de ce programme piloté par le ministère en charge de l'agriculture et ses démembrements. Dans les Hauts-Bassins, foi du directeur régional de l'agriculture, des ressources animales et halieutiques, Eric Pascal Adanabou, plusieurs actions sont exécutées ou en cours d'exécution.
Il s'agit notamment de nouveaux aménagements de basfonds et de périmètres irrigués, de la réhabilitation et l'extension de périmètres irrigués, de labours gratuits et des intrants au profit des producteurs. 260 ha de nouveaux basfonds, 882 ha de périmètres irrigués ont été aménagés et 5 900 ha ont été labourés gratuitement pour les producteurs dans les Hauts-Bassins au cours de la campagne humide écoulée.
« La plaine irriguée de Bama est en cours de réhabilitation pour produire au moins trois fois par an, et cela est bien possible si le problème d'eau ne se pose pas », affiche avec conviction Eric Pascal Adanabou. La plaine aménagée de Banzon a, quant à elle, bénéficié d'une extension passant de 450 à 527 hectares. S'agissant des intrants, 558 tonnes de semences améliorées de riz et 13 586 tonnes d'engrais ont été distribuées à un prix subventionné aux producteurs (Ndlr : l'engrais a bénéficié à toutes les spéculations confondues).
Toutes ces actions mises en branle, aux dires de M. Adanabou, ont eu un effet positif sur la production du riz. Pour la campagne agricole 2024-2025, annonce-t-il avec beaucoup d'enthousiasme, 138 686 tonnes de riz sont attendues pour la campagne humide et 2 458 tonnes pour la campagne sèche dans les Hauts-Bassins.
Une innovation majeure
Une innovation majeure pour la filière riz, voulue par le ministre chargé de l'Agriculture, a été implémentée cette saison dans les Hauts-Bassins. Il est question ici d'aménagements dits « sommaires », d'au moins 30 ha dans chaque Zone d'appui technique (ZAT) et pilotés par chaque chef de zone, avec un budget à l'appui. « Ce sont autour de 1 200 hectares d'aménagements sommaires avec un rendement de 6 tonnes à l'hectare qui ont été pilotés par les chefs de ZAT et les résultats sont satisfaisants », indique Eric Pascal Adanabou.
Les objectifs assignés à la région des Hauts-Bassins, fait remarquer le directeur, ont largement été atteints. Dans la région des Cascades, les mêmes actions ont été mises en oeuvre pour le développement de la production rizicole. Le directeur régional chargé de l'agriculture, Minyemba Souobou, totalise entre autres, 3 700 hectares de basfonds labourés gratuitement, plus de 875 hectares de basfonds aménagés, des appuis aux riziculteurs en intrants, 880 hectares de périmètres irrigués en cours d'aménagement dont 600 à Douna et 280 à Sindou.
« Les producteurs ont été suffisamment accompagnés pour réussir la production de riz », insiste Minyemba Souobou. Une année après la mise en oeuvre de l'Offensive, M. Souobou rassure que les acquis dans sa région sont énormes et qu'à ce rythme, le Burkina Faso est dans la bonne dynamique pour l'atteinte de l'autosuffisance alimentaire. Le problème d'eau est une épine dans le pied des producteurs surtout en saison sèche.
Le basfond de Lelekoussé, comme pour plusieurs basfonds et périmètres aménagés, par manque de retenues ou de sources d'eau ou par insuffisance d'eau, n'est exploitable qu'une seule fois dans l'année. Mais des alternatives sont en passe d'être trouvées pour pallier ce manque d'eau. Dans les Hauts-Bassins tout comme dans les Cascades des forages à gros débits sont en cours de réalisation pour permettre aux producteurs de travailler en contre-saison. 16 forages sont déjà réalisés dans la région des Hauts-Bassins, confirme Eric Pascal Adanabou.
Un nouveau souffle pour la transformation
Mahamadou Ouédraogo est le Président directeur général (PDG) de la rizerie « Nebnooma » sise à Bobo-Dioulasso et spécialisée dans la transformation du riz local. Créée en 2017, c'est en 2020 que cette rizerie a véritablement pris son envol. A écouter son PDG, elle est en plein essor aujourd'hui. « De 2020 à ce jour, l'entreprise ne fait qu'accroître son volume d'approvisionnement », laisse-t-il entendre.
Nebnooma compte à ce jour 33 employés, dont 17 permanents et 16 temporaires. En 2020, la rizerie était à 841 tonnes de riz paddy collectée, en 2023, à environ 3 000 tonnes, et pour 2024, nous souffle le chef d'entreprise, elle nourrit un objectif de 6 000 tonnes de riz paddy à collecter pour la transformation. Depuis les deux dernières années, l'unité de transformation « Nebnooma » tourne quasiment tous les 12 mois de l'année.
Ce qui, à entendre son patron, lui donne une marge pour améliorer l'offre d'emploi de l'entreprise. « Nous avons lancé le recrutement de 3 techniciens, dont un responsable qualité et deux électroniciens », annonce le chef d'entreprise. « Nebnooma » pratique l'agriculture contractuelle avec les riziculteurs et a, à son actif, près de 75 coopératives de producteurs partenaires avec 8 000 petits producteurs.
La vision de cette rizerie, soutient son premier responsable, est de satisfaire les Burkinabè en riz de qualité et, pourquoi pas, conquérir le marché sous régional. « Nebnooma » a été subventionnée par l'Initiative présidentielle en 2023 à hauteur d'une cinquantaine de millions F CFA et a remboursé cette subvention en riz. « C'est la première fois que nous avons vu l'Etat s'engager à ce point directement en faveur des transformateurs de riz local », se félicite Mahamadou Ouédraogo. Avec toute la politique mise en branle par l'Etat, le riz « made in Burkina » est en train de prendre sa place sur le marché national, affirme M. Ouédraogo.
Le problème de financement
Seydou Konaté est le président de la Société coopérative simplifiée des transformateurs de riz « Faso Dembe » dont la rizerie est implantée à Bama, depuis 2004. D'une petite machine d'une capacité de transformation de 900 kg par heure à ses débuts, « Faso Dembe » dispose aujourd'hui d'une rizerie complète avec une capacité de 3,5 tonnes par heure. Avec un grain de sourire, le président Konaté affirme que sa société se porte « un peu bien » aujourd'hui.
« Nous sommes très bien équipés, mais sur le plan du fonctionnement, nous avons quelques difficultés. Nous avons mis beaucoup de moyens dans le matériel et nous n'avons pas assez de fonds pour le faire tourner comme il se doit », évoque-t-il. L'appui de l'Initiative présidentielle est donc venu à point nommé pour cette rizerie, même s'il ne résorbe pas toutes ses difficultés. « L'Initiative présidentielle est venue pratiquement à notre secours. C'est vrai que ça ne vaut pas ce que nous souhaitons, mais ce qui est fait est déjà beaucoup », avoue-t-il.
« Faso Dembe » n'a pas un fonds de roulement à la hauteur de ses ambitions. « Pour faire bien fonctionner notre rizerie, il nous faut un milliard F CFA. Mais où allons-nous trouver ces fonds ? », s'interroge Seydou Konaté. Pour illustrer l'impact du manque des ressources, il fait savoir avec regret que sa rizerie a promis fournir 2 000 tonnes à l'Initiative présidentielle, mais que par manque de financement pour acheter suffisamment de riz paddy, elle n'a pu fournir que 120 tonnes, juste pour rembourser les intrants.
Besoin d'une « vrai » banque agricole
Avoir un financement relève du parcours du combattant, du moins, à écouter les responsables de rizeries rencontrés. Les banques nationales, reconnait Mahamadou Ouédraogo, sont réticentes dans le financement du secteur agricole. Au forceps, poursuit-il, la nature des prêts n'est pas adaptée à son activité. « Ce sont des prêts classiques qui nous sont accordés au même titre que les particuliers et qui tournent au tour de 14, 15 ou 16 % de taux d'intérêt.
Les taux sont très élevés », dénonce le PDG de « Nebnooma ». Or, avec la concurrence du riz importé, insiste-t-il, les transformateurs locaux ne peuvent pas augmenter le prix de leurs produits finis pour compenser ces taux d'intérêt jugés excessifs. Seydou Konaté vit actuellement une mauvaise expérience avec sa banque.
« Je devais racheter le surplus de paddy de mes producteurs partenaires, mais malheureusement jusqu'à ce jour, je n'ai pas reçu le financement que j'ai demandé à ma banque », raconte-t-il désemparé. Il dit être à la recherche d'un bailleur potentiel qui ne saurait être les banques ordinaires pour financer conséquemment sa rizerie. Comme alternatives, le président de « Faso Dembe » demande que l'Etat fasse encore des efforts supplémentaires en faveur des transformateurs.
« On souhaiterait un dispositif mis en place par l'Etat pour nous accompagner de façon conséquente. Cela nous permettrait d'exploiter tout notre potentiel, et par ricochet, de motiver les producteurs à la base », soumet sieur Konaté. Aussi, ajoute-t-il, le secteur agricole au Burkina Faso a besoin d'une « vraie » banque agricole à même de donner des prêts à des taux assez bas avec des échéances conformes à l'agriculture.
« Actuellement, toutes nos banques, y compris celles qui portent le nom agricole, sont commerciales », fait-il remarquer. Soumana Sanou de l'UCRB lui, se remémore avec nostalgie, l'époque de la Caisse de péréquation. « A la récolte, nous pouvions avoir 400 millions F CFA avec la Caisse pour l'achat de la production et nous remboursions au fur et à mesure », se rappelle-t-il. L'Offensive agricole et l'Initiative présidentielle ont apporté une bouffée d'oxygène à la filière riz dans les Cascades et les Hauts-Bassins. Ce qui donne ainsi plus de chance au riz « made in Burkina » de s'affirmer sur le marché. Pour peu que le cap soit maintenu.