Monsieur l'Attorney General, pouvez-vous nous expliquer le besoin concret de créer une nouvelle cour d'appel indépendante de la Cour suprême, alors que le rapport Mackay préconisait déjà une section d'appel interne à la Cour suprême ?
La section d'appel interne, comme vous la décrivez, existe déjà, et c'est ce système que nous souhaitons améliorer. Il faut d'abord comprendre que, comme énoncé dans le discours-programme, le gouvernement souhaite réformer notre système judiciaire pour le rendre plus efficace, accessible et juste.
Un des aspects de cette vision est de séparer les juges de première instance des juges d'appel, afin que les mêmes ne soient pas appelés à se prononcer à tour de rôle sur les décisions des uns et des autres de leurs collègues. Cela nuit, par exemple, à la perception d'indépendance et d'impartialité. Cela dit, une séparation - en termes de personnel et d'emplacement - ne se fera pas au détriment de nos principes démocratiques fondamentaux, dont l'indépendance judiciaire et la séparation des pouvoirs.
Pourquoi envisager de faire appel à des juges étrangers ou contractuels, alors même que la Constitution, notamment l'article 80(3), prévoit que les juges d'appel doivent être issus de la Cour suprême ?
Il faut d'abord préciser que la réforme est à plusieurs volets. Un des volets est la constitution d'un international commercial court avec un but précis. Un deuxième est la nouvelle cour d'appel. Un troisième concerne une réforme des procédures pour les appels et la standardisation de toutes les procédures d'appel au civil comme au pénal. Il y en a d'autres.
Il y a une école de pensée qui croit que l'apport de juges étrangers, comme les Seychelles le font par exemple, emmènera une nouvelle vision. Une autre, bien ancrée dans l'immobilité qui nous caractérise depuis des années, est d'un avis contraire. Nous respectons ces avis contraires mais nous voulons proposer quelque chose de nouveau qui apportera les résultats que le citoyen attend avec impatience. Il s'agit d'idées, parmi d'autres, que nous avons fait circuler auprès de certaines parties concernées, dont la cheffe juge elle-même, afin de recueillir les opinions.
L'intérêt de faire appel à des étrangers - des juristes de stature internationale et au parcours incontesté - est de doter notre international commercial court d'international judges pour donner à cette nouvelle juridiction l'étoffe voulue. Nous voudrions insuffler un nouveau regard et une compétence nouvelle à notre système, comme Singapour l'a fait avec sa Cour internationale de commerce, reproduite récemment au Bahreïn.
Cela peut rassurer à la fois la population et nos partenaires étrangers, notamment les investisseurs. Mais rien ne viendra perturber l'équilibre constitutionnel de nos institutions. C'est soit mal me connaître, soit tenter une politique de déstabilisation que de prétendre le contraire.
Comment le gouvernement entend-il garantir l'impartialité et l'indépendance de cette nouvelle juridiction, dans un contexte où certains observateurs évoquent des motivations politiques derrière la réforme ?
Merci pour cette question, car elle me permet de me demander qui sont ceux qui tiennent ce langage alors que la réforme dans son ensemble n'est pas connue du grand public. Elle me donne aussi l'occasion de tordre le cou aux rumeurs infondées et aux procès d'intention.
Ma réponse est sans ambiguïté : nous n'allons pas réformer le judiciaire parce qu'on a un problème avec la personne de X ou de Y. Ce gouvernement, mené par Navin Ramgoolam, a trop d'amour pour notre pays pour jouer ainsi avec nos institutions. C'est justement le contraire que nous avons fait jusqu'ici, notamment avec l'amendement à la FCC Act pour garantir les pouvoirs du DPP - le contraire de l'idée derrière la mort-née Prosecution Commission ! Si nous avions les mêmes intentions sinistres à l'encontre de la Cour suprême, pourquoi partager nos idées en amont, avec autant de transparence ?
Nous allons au contraire consulter de façon large et reprendre les travaux de ceux qui nous ont précédés, notamment les rapports Mackay et Sachs, tout en apportant les modifications qui s'imposent en 2025. Ne soyons pas dans le déni, le système au jour d'aujourd'hui ne marche pas comme il devrait. En tout état de cause, l'indépendance de la Cour d'appel sera garantie par la Constitution, par sa procédure et par sa composition - incluant le mode de nominations qui ne sera pas du ressort de l'Exécutif.
Les rapports Mackay et Sachs mettent tous deux l'accent sur le mérite, la compétence locale et la connaissance du droit mauricien comme critères fondamentaux de nomination. En quoi votre projet s'en distingue-t-il ?
Encore une fois, il n'y a pas encore de projet arrêté. Et je peux vous dire que ni ces rapports, ni les principes que vous citez ne seront ignorés. Après, il faudra aussi prendre du recul et interroger nos a priori. Par exemple, les excellents juges du Privy Council, qui décident des questions de droit en dernier ressort, ne sont pas Mauriciens, et cela ne nuit en rien à la qualité de leurs jugements, au contraire nous serons tentés de dire. Nous ne sommes pas le nombril du monde. Osons et ne nous cantonnons pas aux usages et procédés qui ont existé depuis l'indépendance.
«Nous allons au contraire consulter de façon large et reprendre les travaux de ceux qui nous ont précédés, notamment les rapports Mackay et Sachs, tout en apportant les modifications qui s'imposent en 2025.»
Face aux inquiétudes soulevées par la société civile et certains anciens juges, comme Vinod Boolell, sur une possible dérive institutionnelle par rapport à la séparation des pouvoirs, quel mécanisme de consultation ou de transparence le gouvernement comptet-il mettre en place pour garantir un débat démocratique sur cette réforme ?
Je n'ai pas lu ces déclarations comme des inquiétudes de dérive. Pas du tout. Cependant, j'ai bien pris en compte les rappels importants concernant la nécessité de précaution et de consultation. Je félicite d'ailleurs la Rédaction de votre journal d'avoir consacré de la place à cette question, car bien qu'elle ne soit pas souvent en avant dans le débat public, elle reste cependant essentielle à notre santé démocratique.
Cependant il me semble qu'un échange direct aurait pu enrichir davantage cette réflexion et éviter les malentendus. En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, évidemment, une fois notre projet défini après moult consultations avec les acteurs principaux, il sera circulé et débattu, puis de nouveau discuté à l'Assemblée. Sans compter les travaux de la future Constitutional Review Commission, qui sera appelée à se prononcer sur l'équilibre institutionnel qui devra exister entre cette réforme et les autres changements constitutionnels.
«Nous n'allons pas réformer le judiciaire parce qu'on a un problème avec la personne de X ou de Y.»