Sud-Soudan: Des bombes incendiaires ont tué et brûlé des civils

communiqué de presse

Nairobi — Le gouvernement devrait cesser l'usage indiscriminé de ces armes aux effets cruels, et autoriser le déploiement de forces de maintien de la paix de l'ONU

L'utilisation par le Soudan du Sud d'armes incendiaires improvisées larguées par voie aérienne a tué des dizaines de personnes, dont des enfants, dans l'État du Haut-Nil, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui ; ces attaques ont aussi infligé d'atroces brûlures à d'autres habitants, et détruit des infrastructures civiles. L'utilisation de ces armes par le gouvernement dans des zones peuplées pourrait constituer une série de crimes de guerre.

Des personnes ont décrit à Human Rights Watch l'utilisation d'armes incendiaires improvisées lors d'au moins quatre attaques dans les comtés de Nasir, de Longechuk et d'Ulang, dans l'État sud-soudanais du Haut-Nil ; ces attaques ont fait au moins 58 morts, et gravement brûlé d'autres personnes. La Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS, ou UNMISS en anglais), dotée d'un mandat solide de protection des civils, devrait établir des bases opérationnelles temporaires dans les zones à haut risque et réagir de manière proactive à la détérioration de la situation. Les membres du Conseil de sécurité de l'ONU devraient exhorter le Soudan du Sud à cesser ses attaques illégales, et exiger le déploiement urgent de forces de maintien de la paix dans les zones touchées.

« Ces armes incendiaires ont tué des dizaines de personnes, dont des enfants, et ont infligé à des survivants de graves brûlures qui risquent d'entraîner des séquelles durables », a déclaré Nyagoah Tut Pur, chercheuse sur le Soudan du Sud à Human Rights Watch. « Le gouvernement devrait immédiatement cesser d'utiliser de manière indiscriminée des armes incendiaires contre des communautés et faciliter l'accès sécurisé à l'aide humanitaire ; l'ONU devrait déployer d'urgence des forces de maintien de la paix dans les zones touchées. »

Les bombardements aériens menés par le gouvernement se sont intensifiés à partir du 16 mars, en réponse à deux attaques : une attaque menée le 4 mars par le groupe armé « White Army » (« Armée blanche », composé surtout de jeunes membres de l'ethnie Nuer) contre une base militaire gouvernementale à Nasir, et une autre attaque menée le 7 mars par des hommes armés contre un hélicoptère de l'ONU, qui a tué un membre d'équipage de l'ONU et plus d'une vingtaine de soldats sud-soudanais.

Carte de l'État du Haut-Nil (Soudan du Sud)

Le 17 mars, le ministre de l'Information du Soudan du Sud a déclaré que l'Armée de l'air avait bombardé des « zones de la soi-disant Armée blanche », et a insinué à tort que les civils qui ne quittaient pas ces zones pouvaient être légalement pris pour cible. Il a aussi indiqué que l'Ouganda fournissait un soutien technique aux Forces de défense du peuple du Soudan du Sud (South Sudan People's Defence Forces, SSPDF), ce que l'Ouganda a également confirmé.

Un porte-parole des forces ougandaises (Uganda Peoples' Defence Forces, UPDF) a déclaré à Human Rights Watch que le soutien apporté par l'UPDF ne comprenait pas d'attaques aériennes ou terrestres, mais qu'il pouvait être envisagé, si le gouvernement sud-soudanais le demandait ou le jugeait nécessaire. L'UPDF a précédemment réfuté les allégations selon lesquelles ses forces auraient ciblé des civils et des biens civils, ou utilisé des « armes chimiques et des barils d'explosifs ».

Les armes incendiaires infligent de terribles brûlures et d'autres blessures physiques, qui peuvent entraîner des dommages psychologiques, des cicatrices et des handicaps à vie, et donc une exclusion sociale et économique. Elles provoquent également des incendies susceptibles de détruire de manière indiscriminée des biens civils. L'utilisation de ces armes dans des zones peuplées viole le droit international humanitaire et, si elle est commise avec une intention criminelle, constitue un crime de guerre.

Le Protocole III à la Convention sur certaines armes classiques interdit explicitement l'utilisation d'armes larguées par voie aérienne conçues pour incendier et brûler des personnes dans des zones comprenant des « concentrations de civils ». Bien que le Soudan du Sud ne soit pas un État partie à ce Protocole, son utilisation de ces armes souligne la nécessité de renforcer le droit international qui les régit.

Image satellite 1 : Mathiang

Human Rights Watch a mené des entretiens avec huit personnes dont des témoins, des secouristes locaux et deux représentants du gouvernement, au sujet de l'attaque du 16 mars à Mathiang, dans le comté de Longechuk.

Des témoins ont décrit des « barils » - des armes incendiaires improvisées - largués depuis ce qui semblait être un avion multimoteur. Une femme de 39 ans a déclaré : « [Le baril] est tombé vers nous, j'ai cru qu'il allait s'abattre sur notre propriété... Puis nous avons vu [l'avion] larguer d'autres barils. En tombant, [ils ont pris feu].»

Une autre femme, âgée de 40 ans, s'est réveillée en sentant « la terre trembler » et a couru dehors. Elle a alors « vu le village en feu ». Elle a ensuite vu les corps calcinés de son voisin, Khor Ruach Kerjiok, de sa femme et de leurs deux enfants âgés de moins de 10 ans. Une autre habitante a déclaré que les corps calcinés de deux femmes, Nyedier Kuach et Nyeget Kier, avaient été retrouvés dans le domicile qu'elles partageaient ; l'une avait 60 ans, l'autre était plus âgée.

Un haut responsable des services de santé a déclaré qu'au moins 21 personnes avaient été tuées, dont trois lors de leur transport vers l'Éthiopie pour y être soignées. Des agents de santé, intervenant avec des ressources très limitées, ont indiqué que les victimes souffraient de brûlures importantes. L'un d'eux a indiqué que les brûlures continuaient de se propager sur les corps des patients, indiquant qu'une substance causant des brûlures avait été utilisée lors de l'attaque.

Les témoignages des personnes sur ce qu'elles ont vu et senti lorsque les armes incendiaires improvisées ont été larguées indiquent que plusieurs types de substances inflammables ont été utilisées comme agents incendiaires.

Un secouriste a expliqué que « la zone où la [substance inflammable] a atterri a brûlé pendant plusieurs jours, avec des crépitements ». La pluie a finalement éteint les incendies, « mais ça sent toujours... pas l'essence ou le kérosène », a-t-il ajouté.

Plusieurs complexes résidentiels ont été incendiés, ainsi qu'une partie du marché et deux pompes à eau, selon un secouriste.

Une vidéo publiée sur les réseaux sociaux le 17 mars montre une fissure dans le sol avec un feu actif visible à l'intérieur. La vidéo révèle une vaste zone brûlée, comprenant plusieurs « tukuls » (petites maisons traditionnelles). Des images satellite montrent une trace de brûlure apparue entre le 16 et le 17 mars, ainsi que des tukuls incendiés à 100 mètres au nord-est du marché.

Deux témoins ont déclaré qu'au moins trois femmes ont fait des fausses couches ou ont donné naissance à des enfants mort-nés à la suite du bombardement.

Image satellite 2 : Nasir

Des armes incendiaires improvisées larguées par avion ont également été utilisées dans la ville de Nasir les 16 et 19 mars. Deux responsables ont déclaré qu'au moins 22 personnes avaient été tuées et des dizaines de maisons incendiées. Human Rights Watch a également examiné des images satellite montrant des traces de brûlures et des structures incendiées, notamment un ancien site de la MINUSS et des dizaines de structures le long de la route principale, entre le 16 et le 20 mars.

Image satellite 3 : Kuich

Les témoignages recueillis et les photographies suggèrent qu'une arme incendiaire a également été larguée à Kuich, dans le comté d'Ulang, le 21 mars. Trois témoins ont dit avoir vu ce qui semblait être un avion à hélice larguer des barils remplis de substances incendiaires.

« [L'avion] a largué quelque chose qui était en feu et il y a eu une forte explosion [lorsqu'il a touché le sol], et immédiatement tout ce qui était autour a pris feu », a déclaré une personne. « Tout le monde s'est mis à courir dans diverses directions. » Après son retour, il a appris que « des gens [avaient été] tués sur le coup et de nombreuses personnes grièvement blessées ».

Quatre témoins ont déclaré que cette attaque avait tué 15 personnes, dont 3 enfants, et gravement brûlé 17 autres personnes. Un secouriste à Ulang a décrit les victimes, la plupart brûlées : « Leur peau noircie se détachait. Un homme décédé à l'hôpital avait même les dents brûlées. J'ai aussi vu une femme âgée de 70 ans, elle avait de grosses cloques. » Au 30 mars, sept personnes survivantes étaient toujours dans un état critique.

Parmi les structures civiles incendiées figuraient un centre de nutrition et un dispensaire. Un garde, Duop Bichiok Diew, âgé d'une cinquantaine d'années, est décédé des suites de brûlures. Des abris et un marché ont également été détruits.

Des photos publiées sur les réseaux sociaux le 24 mars montrent plusieurs structures réduites en cendres près de la rivière Sobat, à Kuich. À proximité du centre de nutrition, des sites d'impact visibles brûlaient encore. Des images satellite ont confirmé qu'au moins une douzaine de structures avaient brûlé entre le 21 et le 22 mars.

Les attaques menées par le gouvernement contre des zones peuplées des trois comtés, notamment par des tirs d'hélicoptères et des tirs de munitions, se poursuivent, mettant davantage en danger les civils et aggravant la situation humanitaire, déjà marquée par une épidémie de choléra.

Des dizaines de milliers de personnes ont fui le Soudan du Sud, notamment vers l'Éthiopie. L'accès humanitaire reste fortement limité, les organisations humanitaires étant confrontées à la violence et aux restrictions bureaucratiques.

Le Soudan du Sud reste soumis à un embargo sur les armes imposé par l'ONU, interdisant tout soutien militaire extérieur aux parties belligérantes. La participation des forces ougandaises aux opérations constitue une violation de l'embargo. Le Conseil de sécurité devrait dénoncer les violations commises par l'Ouganda et garantir le renouvellement de l'embargo afin de protéger les civils contre les violences illégales, a déclaré Human Rights Watch. Le Conseil devrait aussi faire pression sur le Soudan du Sud pour qu'il garantisse la sécurité des opérations de la mission de l'ONU, et approuve toute demande de renforts onusiens.

« Le gouvernement du Soudan du Sud continue de faire preuve d'un mépris affligeant envers les civils, en larguant des barils enflammés par voie aérienne », a conclu Nyagoah Tut Pur. « La communauté internationale devrait faire pression sur le gouvernement pour qu'il mette fin à ces attaques illégales, et pour qu'il prenne plutôt des mesures concrètes pour protéger la vie des civils. »

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